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«La bataille de l’uranium a commencé»

publié le 07/02/2008 | par Jean-Paul Mari

Chef historique de la rébellion touareg au Niger, Rhissa Ag Boula annonce le lancement d’une offensive contre les mines, les usines et les convois d’uranium. «Nous n’avons pas le choix, dit-il, car le régime de Niamey ne respecte pas les accords de paix de 1995 et se livre à une terrible répression contre les civils»


(Photo Christian Lionel-Dupont)

Le Nouvel Observateur. – Quelle est aujourd’hui la situation militaire ?
Rhissa Ag Boula.

– Dans le nord, elle est très grave pour l’armée nationale nigérienne, incapable d’affronter dans ses bases les combattants du Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ). Militairement, l’armée nationale connaît une véritable déroute. D’où son retournement contre les populations civiles, qui doivent quitter leurs oasis pour aller se réfugier le plus loin possible du champ de bataille. Comme toujours, le régime justifie le conflit en parlant de «bandits armés et de trafiquants qui perturbent l’ordre public»… Ce n’est que simple rhétorique, un slogan pour masquer la réalité. Moi, je ne connais pas de «bandits armés» qui attaquent avec succès des bases militaires entières ! Le plus grave est qu’il n’y a aucun signe d’ouverture et de dialogue du gouvernement. Alors la situation pourrit de jour en jour, et le pays est menacé dans son intégrité, dans son unité nationale. Les combats se sont déplacés de la zone nord à 1 000 kilomètres vers le sud, où des attentats touchent les grandes villes et la capitale, Niamey.

N. O. – Quand vous parlez de «combats», concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ?

R. Ag Boula. – Les affrontements se font avec des armes sophistiquées, mitrailleuses lourdes, lance-roquettes RPG7, orgues de Staline et canons de 23 mm. Les routes sont minées : mines russes pour la guérilla, mines chinoises en plastique, antichars et antipersonnel pour l’armée nigérienne. Nous attaquons les centres urbains, les axes routiers et les casernes de l’armée nigérienne, condamnée à se tenir sur la défensive. Hier soir, le MNJ a investi pendant cinq heures la ville de Tânout, vers la frontière sud du pays, à 350 kilomètres d’Agadez, à 150 kilomètres au nord de Zinder. Tânout est le chef-lieu d’une région de 100 000 habitants, avec une base militaire. Bilan de l’opération : 17 morts, 11 prisonniers, dont le préfet et le commandant de la caserne. Début décembre, l’opération d’Iferouâne pour empêcher le ravitaillement de la base militaire nous a permis de faire 5 prisonniers. En novembre, nous avons attaqué l’axe Arlit-Agadez. Là aussi, plusieurs victimes, des blessés et des prisonniers militaires. Une des plus grosses opérations a frappé en juin dernier la caserne de Tezirzeb, au nord d’Iferouâne : 15 morts, 40 blessés, 72 prisonniers.

N. O. – Et l’armée ne réagit pas ?

R. Ag Boula. – Elle n’en a pas les moyens. Alors elle réprime les populations touareg, qu’elle considère comme complices de la rébellion. Toutes les oasis dans l’Air autour d’Iferouâne, Timia, Tinteloust se vident de leur population. Le tourisme n’existe plus. Au moins 3 000 personnes sont déjà arrivées à Agadez et Arlit et certaines vont jusqu’à se réfugier dans la capitale et au sud du pays. L’armée refuse d’affronter le MNJ, mais elle tue les civils. Le 9 décembre dernier, 7 commerçants qui revenaient de Libye ont été abattus à quelques kilomètres d’Agadez. Et après l’explosion d’une mine sur l’axe Agadez-Arlit, 4 nomades ont été tues dans leur campement. Nous avons une liste nominative des victimes et des documents photographiques sur cinq fosses communes, avec 33 morts au total. L’armée massacre aussi le bétail dans les pâturages, comme ce troupeau de vingt chameaux abattu à la mitrailleuse lourde, calibre 12,7. Voilà ce que veut cacher le régime nigérien en interdisant la région à la presse.

N. O. – La guérilla a-t-elle des connexions avec les islamistes armés du GSPC, affiliés à Al-Qaida ?

R. Ag Boula. – Absolument pas ! La guérilla est composée des anciens combattants formés lors de la résistance des années 1990, des hommes entraînés en Libye dans les années 1980 et des jeunes qui intègrent le mouvement aujourd’hui. Récemment, une centaine de militaires nigériens d’autres ethnies Djermas, Haoussas,Toubous – se sont ralliés au MNJ. Parmi eux, il y a un ancien commandant militaire d’Agadez. Aucune connexion avec un groupe étranger ! Les islamistes armés du GSPC occupent plutôt l’Ouest algérien. Ils opèrent sur les frontières mauritanienne et malienne. Le GSPC se méfie de nous : nous ne sommes pas «totalement musulmans», ni de grands pratiquants, et surtout pas des intégristes ! Il ne peut pas y avoir de contacts entre nous.

Nous, les Touaregs, sommes une frontière naturelle contre l’intégrisme. Nous avons d’ailleurs eu des affrontements avec les islamistes en 2006, et l’un des chefs du GSPC a été tué par nos frères touaregs du Nord-Mali. Du Nord-Niger au Nord-Mali, c’est le même peuple, libre, la même civilisation. Le GSPC essaie de lever des taxes sur les trafiquants de drogue qui passent du cannabis à partir du Maroc vers l’Algérie, l’Egypte, et traversent la Méditerranée vers l’Europe. Nous n’avons pas de contacts avec eux. Les Américains, les Algériens, les Français… tout le monde sait cela.

N. O. – Pourquoi avez-vous déclenché une véritable offensive contre le pouvoir nigérien ?

R. Ag Boula. – Parce que le régime ne tient pas ses promesses ! En 1995, j’ai signé des accords de paix qui prévoyaient une décentralisation à la française – communale, départementale, régionale. Douze ans après, seule la communalisation a été mise en place et les préfets, nommés par décret, font tout pour geler leur fonctionnement. Cinquante ans après l’indépendance du Niger, les Touaregs n’acceptent plus que d’autres gèrent leurs affaires à leur place. Nous en avons assez d’être dominés ! Les Touaregs vivent sur les deux tiers du pays, avec une zone de 90 000 kilomètres carrés riche en uranium et en pétrole. A partir de 2006, le gouvernement a distribué des concessions d’uranium comme des petits pains ! Canadiens, Australiens, Chinois, Indiens, Sud-Africains et Français, tout le monde a été servi. A eux seuls, les Chinois ont obtenu 40% des nouvelles concessions et ils construisent des cités minières, amenant avec eux leurs propres ouvriers. Au total, 120 permis d’exploitation ont été délivrés en un an, sans consulter la population et sans parler des conséquences sur l’environnement.

Aujourd’hui, les prix de l’uranium montent, la nouvelle énergie est surtout nucléaire, et chacun veut avoir une centrale nucléaire civile. Le Niger, déjà cinquième producteur d’uranium, est sur le point de parvenir au deuxième rang mondial. Trois nouvelles zones de recherches pétrolières ont été ouvertes à des sociétés chinoises, américaines et françaises (Total). La Chine vend ses armes – mines, véhicules, chars – au gouvernement, et c’est une société d’Etat chinoise qui distribue toutes les commissions à une mafia pilotée par le fils du président nigérien. Sans compter les droits d’exploitation des mines payés au ministère des Mines.

N. O. – Quel est le rôle des Américains ?

R. Ag Boula. – En dehors du rôle commercial, ils écoutent, observent et renseignent le pouvoir. Ils ont une base d’écoutes téléphoniques à Tamanrasset, en Algérie, une grosse base au Maroc, un centre léger à Arlit, au Niger, et un autre en Mauritanie. Sans compter les observations satellites. C’est sans doute grâce à ces renseignements que le gouvernement a pu arrêter les deux journalistes français qui revenaient d’un reportage en pays touareg. Pour les empêcher de témoigner de la réalité.

N. O. – Quelle est la position d’Areva au Niger ?

R. Ag Boula. – Areva contrôle l’uranium. Le plus grand gisement, à Imouraren, donne déjà 3 000 tonnes de minerai par an et va être agrandi pour produire 5 000 tonnes de plus, soit 8 000 tonnes au total. Les Chinois, eux, contrôlent l’essentiel du pétrole et ils vont s’entendre avec les Américains pour profiter du pipeline qui passe au Nigeria. La France, c’est d’abord Areva. Et elle participe au silence général pour ne pas gêner la production d’uranium.

Aujourd’hui, les gisements du Gabon sont épuisés. L’uranium nigérien participe pour 40% à la production d’électricité d’EDF Avec les nouveaux permis d’exploitation signés la semaine dernière, on atteindra les 70%. Et quand le gouvernement français vend des centrales dans le monde, il faut bien qu’il prévoie la façon de les alimenter. Et pas avec de la farine ! Le prix de l’uranium brut, l’uranate, est passé en août dernier de 23 000 CFA à 40 000 CFA le kilo (1). L’année prochaine, il devrait atteindre 60 000 CFA… en sachant qu’Areva le revend 1 30 000 CFA sur le marché international. Il y a de gros intérêts économiques et géostratégiques en jeu. Cette partie du Sahara est devenue un enjeu mondial.

N. O. – L’uranium, c’est la richesse du régime, mais aussi son ventre mou. Et c’est là que vous intervenez…

R. Ag Boula. – Nous pensons que maintenant ça suffit ! Il faut briser le consensus du silence sur ce conflit. Il faut composer avec les Touaregs, créer les conditions d’un dialogue, et nous sommes décidés à nous faire entendre de la France et de l’Union européenne qui participe à 60% au budget national nigérien.

N. O. – Vous entrez vraiment en guerre ?

R. Ag Boula. – Nous pouvons mobiliser un millier de combattants touaregs derrière Aghali Alambo, qui est le chef militaire et la direction politique clandestine. On ne peut pas exploiter l’uranium sans nous. Et l’hiver ne fait que commencer ! Nous allons attaquer les mines d’uranium, dont celles d’Areva, arrêter le fonctionnement des usines, l’exploitation des nouvelles carrières et nous occuper des cargaisons qui prennent la route pour aller jusqu’à la mer…

N. O. – Etes-vous en train d’annoncer que vous lancez la «bataille de l’uranium» ?

R. Ag Boula. – Exactement. Nous sommes là, et on ne pourra pas faire comme si nous n’existions pas. Nous passerons ensuite à la troisième étape, en occupant des centres urbains en pays touareg de façon permanente : Agadez, Arlit, Iferouâne, In Gall…, en tout une dizaine de villes.

N. O. – A ce rythme, la prochaine étape sera la proclamation d’un «gouvernement provisoire national touareg», non ?

R. Ag Boula. – Pas exactement… Parlons plutôt d’une déclaration du «gouvernement provisoire de la lutte du peuple touareg». Oui, si l’on continue de nous ignorer, si l’on nous y force, nous irons jusque-là.

N. O. – Quel est votre calendrier ?

R. Ag Boula. – Il y aura des élections législatives et présidentielle en 2009. Tout doit se jouer avant.

N. O. – Il reste un an à peine.

R. Ag Boula. – L’année 2008 sera donc déterminante.

(1) 65 000 CFA = 100 euros.

Rhissa Ag Boula

Fondateur du Front de Libération de l’Air et de l’Azaouagh (FLAA), Rhissa Ag Boula, 51 ans, qui fut ministre du Tourisme et de l’Artisanat de 1997 à 2004, est le chef historique de la résistance armée touareg du Niger, repartie au combat sous le nom du Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ) après l’échec du processus de paix.

L’insoluble question touareg…

3 août 1960. Proclamation de l’indépendance du Niger.
1984. Une grave famine touche le nord du pays. De nombreux Touaregs nigériens se réfugient en Algérie et en Libye.
Mai 1990. Des affrontements entre des réfugiés touaregs rapatriés de Libye et l’armée éclatent. La répression fait de nombreux morts (massacre de Tchin-Tabaraden).
Décembre 1992. Adoption par référendum d’une nouvelle Constitution.
24 avril 1995. Signature d’un accord de paix entre les mouvements rebelles touaregs et le président Mahamane Ousmane.
27 janvier 1996. Coup d’Etat militaire : le colonel Ibrahim Baré Maïnassara prend le pouvoir.
9 avril 1999. Nouveau coup d’Etat : Ibrahim Baré Maïnassara est assassiné.
Novembre 1999. Un ancien militaire, Mamadou Tandja, leader de l’ex-parti unique, est élu à la tête du pays.
Décembre 2004. Tandja est réélu avec 65,5% des voix.
Eté 2005. La crise politique semble close mais le pays, exsangue, traverse une grave crise alimentaire.

Jean-Paul Mari
Le Nouvel Observateur


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