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La fin du rêve américain

publié le 20/01/2025 par Jean-Paul Mari

La réélection de Donald Trump marque sans doute un moment clé dans la décadence de l’Amérique et son modèle

Photo officielle du président Donald Trump- D.R

Que peut-on penser d’un pays et d’un peuple qui a élu et… réélu un homme comme Trump ?
Les États-Unis étaient le symbole de la démocratie. L’ancien président, battu, s’en est pris physiquement au Capitole à Washington, le bâtiment qui sert de siège au Congrès, le pouvoir législatif des États-Unis. Et sa première décision sera de signer l’amnistie immédiate des 1 200 personnes inculpées, dont plus de la moitié ont été condamnées à des peines de prison ferme. Une décision qui marquera évidemment l’arrêt des enquêtes et des poursuites sur le reste des assaillants incriminés.

Un président délinquant

Rien de surprenant. Le nouveau président des États-Unis, censé défendre le droit et la justice, est un délinquant multirécidiviste :

– Dans l’affaire des paiements à Stormy Daniels : En mars 2023, Trump a été inculpé à New York pour 34 chefs d’accusation de falsification de documents commerciaux, liés à des paiements effectués à l’actrice de films pour adultes Stormy Daniels avant l’élection présidentielle de 2016. Trump a été reconnu coupable de tous les chefs d’accusation le 30 mai 2024.

– Dans l’affaire des documents classifiés : En juin 2023, Trump a été inculpé au niveau fédéral pour 40 chefs d’accusation relatifs à la mauvaise gestion de documents gouvernementaux classifiés et à une conspiration visant à obstruer les efforts du gouvernement pour récupérer ces documents.

Dans l’affaire de fraude financière à New York : En septembre 2022, la procureure générale de New York a intenté une action civile contre Trump, ses trois enfants aînés et la Trump Organization, les accusant de fraude et de fausses déclarations. En février 2024, le juge a ordonné à Trump de payer une amende de 450 millions de dollars et lui a interdit de diriger toute entreprise à New York pendant trois ans.

– Dans l’affaire E. Jean Carroll : En mai 2023, un jury fédéral à New York a reconnu Trump responsable d’abus sexuels et de diffamation à l’encontre de la journaliste E. Jean Carroll, l’obligeant à lui verser 5 millions de dollars de dommages et intérêts.

– Dans l’enquête sur l’ingérence électorale : Trump fait l’objet d’enquêtes concernant ses tentatives présumées d’inverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020, notamment en Géorgie.

Comme par miracle, dès l’élection de Donald Trump, toutes les procédures et les jugements se sont délités : renvois, suspensions, instructions gelées. Le temps où le président Richard Nixon avait dû démissionner après l’affaire du Watergate n’est plus. Aujourd’hui, un délit n’est plus un délit moral et politique. C’est un instrument parmi d’autres d’une méthode politique. C’est la fin de la justice pour un homme, élu président, et qui est censé défendre le droit.

Les droits de l’homme aux oubliettes

Les États-Unis, notamment après le premier mandat de Trump, mais pas seulement, sont en constante régression. Sur les droits humains, quand ce pays, construit, fabriqué, modelé par l’immigration, en arrive à déclarer les migrants comme des ennemis. Sur les droits de la femme, en menant une politique agressive et réactionnaire – façon extrémistes religieux chrétiens ou musulmans dans le monde – contre l’avortement. Et au plus haut niveau de la juridiction, quand les nominations à la Cour suprême, censée être le dit de la loi au plus haut niveau, ont transformé le noble instrument en un exécutant politique à la solde du président élu.

La vérité, voilà l’ennemi

L’abandon de la recherche de la vérité. L’histoire, la littérature, les médias, les films hollywoodiens n’ont cessé de proclamer la sacro-sainte religion de la Vérité. Une valeur conditionnée, bien sûr, aux critères propres au pays, à ses convictions, à son idéologie, mais une valeur sacralisée. Aujourd’hui, elle a été remplacée par la « vérité alternative », les fake news, en un mot le mensonge. Le mensonge n’est plus une faute, mais un outil, du candidat puis du président, donc du gouvernement, donc autorisé à tout un système, un peuple. Et la grossièreté du mensonge – allant jusqu’à accuser des migrants haïtiens de manger les chiens et les chats de leurs voisins – n’a plus aucune importance. La preuve du mensonge par la vérification des faits n’a plus aucune valeur puisque le mensonge, s’il vient d’en haut, devient vérité, alternative certes, mais officielle. Si la vérité gêne, il suffit de la supprimer.

Longtemps, la presse américaine a fait office de modèle. La qualité, la rigueur, l’intégrité. Avec des titres comme des drapeaux, du New York Times au Wall Street Journal. Aujourd’hui, certains comme le Washington Post – rappelons-nous Les Hommes du président – ou le brillant Newsweek, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Ils sont en partie remplacés par des réseaux sociaux, cafés du commerce numériques où chacun, anonyme, peut se croire juge ou journaliste, étaler sa vulgarité et déverser sa haine, des réseaux tentaculaires tenus par quelques oligarques milliardaires – Musk, Bezos, Zuckerberg – enclins plus à se soumettre  qu’à s’opposer.

La religion des armes devenue officielle

Peu à peu, la démocratie cède le pas à d’autres religions, omniprésentes. La religion des armes n’est pas nouvelle, soutenue mordicus par le lobby de la NRA s’appuyant sur une interprétation partisane du Deuxième amendement. Tous les précédents présidents « éclairés » – Clinton, Obama, Biden – n’ont eu de cesse d’essayer, en vain, de s’opposer à cette militarisation des citoyens qui peuvent accéder à des armes de guerre et provoquer une « tuerie de masse » – 4 morts au minimum – par semaine. Pas le nouveau président qui, au contraire, du sommet de l’État valide l’emploi sans contrôle des armes, rejoignant ainsi de l’intérieur et avec toute sa puissance le lobby commercial des armes de la NRA.

La fin de la défense des démocraties dans le monde.

Alors que les États-Unis, capitalisant pendant les dernières décennies sur leur rôle mythique contre les nazis lors de la Seconde Guerre mondiale, ont proclamé être les plus grands défenseurs de la démocratie versus le communisme, jusqu’à l’excès, intervenant mais échouant au Vietnam, en Irak et en Afghanistan, on entend aujourd’hui le président américain tenir un discours impérialiste contre ses propres alliés démocrates, et prétendre s’emparer du Groenland et annexer le Canada. Dans le même temps, le premier pays de l’OTAN revient sur son principe, substitué par un autre : « Qui paie ? », et envisage de ne pas défendre un pays de l’union qui serait attaqué, mais n’aurait pas payé assez. Une vision mercenaire à des années-lumière du principe de création de l’OTAN.

La Russie de Poutine comme modèle

Plus spectaculaire est la bascule historique d’une Amérique dont le nom résonnait comme une lutte acharnée contre le nazisme puis contre le communisme de Moscou ou le post-communisme de Poutine, ancien du KGB. Il était donc logique, au nom de la démocratie, de soutenir l’Ukraine victime d’une invasion russe. Or, voilà qu’avec le départ de Biden et l’arrivée de Trump, non seulement le discours mais l’action de la Maison-Blanche ont changé. L’opposition résolue a cédé la place à une forme d’admiration, un alignement sur un modèle. Oublions l’Ukraine, l’Abkhazie, l’Ossétie, la Géorgie, la Moldavie, oublions les opposants internés, la répression forcenée, le peuple intoxiqué ou bâillonné, et ne retenons que l’image d’un président fort et sans complexes qui impose, piétine, joue des muscles et des armes. Un modèle qui fascine Trump, dont la photographie officielle, symbole de dureté et de défi, pourrait être affichée au-dessus du bureau non ovale du Kremlin.

L’Amérique ne s’oppose plus, elle imite. Le nouvel impérialisme de Trump passe aussi désormais par l’écrasement en interne de tous les contre-pouvoirs. Le mensonge comme doctrine, l’argent comme une religion unique, le droit comme une dimension variable, la force comme une philosophie.

La fin d’un mythe

Que reste-t-il du « Rêve américain » ? Un mythe certes inventé pour une éternelle autopromotion, mais qui faisait croire à un espoir du futur pour chaque individu à la poitrine barrée de la bannière étoilée ? Plus grand-chose, en vérité. Et les Européens commencent à le comprendre, réalisant qu’il faudra vivre sans, voire contre l’Amérique. L’avantage est peut-être que nos enfants ne seront plus baptisés Kevin ou Jordan, noms tirés de mauvaises séries d’Hollywood, mais l’impératif est désormais, puisque l’Amérique a renoncé à son rôle historique de plus grand pays démocratique du monde, de reconstruire une Europe, désormais seule mais authentique, à la puissance limitée mais réelle, qui garderait la capacité de dire non, à l’Est et aujourd’hui à l’Ouest, où le « Rêve américain » est en train de virer au cauchemar. Un cauchemar qui n’est plus un accident, mais qui risque de durer, un changement de nature, par le choix déterminé de la majorité du peuple américain, comme l’a prouvé la réélection d’un certain Donald Trump.

Que reste-t-il du « Rêve américain » ? Un mythe historique, désormais vidé de sa substance.


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