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La France otage

publié le 09/03/2013 | par Jean-Paul Mari

Depuis l’intervention au Mali, les intérêts et les personnels français de toute la région sont devenus la cible prioritaire des groupes islamiques


La mise en scène est lamentable. Cette vidéo est une farce tragique. Des tissus chamarrés font office de décor. Un drapeau noir marqué de deux kalachnikovs pour étendard. Trois combattants déguisés, visages et corps cachés par des treillis léopard un brin maniérés et des chèches vert trop brillants. Et, au milieu, leur prise de guerre…le père, Tanguy, en tee-shirt, lunettes sur le nez, visage marqué et barbe de plusieurs jours, sa femme, Albane, enfouie d’office sous un voile noir, son frère, l’air incrédule, et quatre mômes blonds, assis en tailleur, qui ont l’air de se demander pourquoi les messieurs les obligent à voir un aussi mauvais film.

Le père, contraint, lit un communiqué court et pompeux où on apprend que la famille a été enlevée par la secte islamiste de Boko Haram qui exige la libération de ses femmes détenues au Nigeria et de « frères » prisonniers au Cameroun. Ensuite, un des hommes entame une longue litanie en arabe avec les trémolos du guerrier d’Allah qui vient de défaire l’Occident. Avant de promettre que toute la famille sera égorgée si les revendications ne sont pas satisfaites. C’est tout ? Oui.
Que nous apprend cette prise d’otages ?

D’abord, il s’agit bien de Boko Haram, de « livre » et d’« interdit » en langue Haoussa, en substance « la culture de l’occident est un pêché ». Un mouvement né en 2002, à Maiduguri, au nord du Nigéria, une zone connue depuis longtemps pour son ultra-violence, sa criminalité, les attaques contre les églises, les assassinats ciblés, les raids sanglants et les massacres. Boko Haram veut l’instauration d’un émirat islamique régi par la charia. Dans un Nigéria miné par la corruption, l’inégalité et la pauvreté, le gouvernement réprime, à sa façon, avec une très grande brutalité. Résultat : 3000 morts depuis 2009.

Jusqu’ici, seul Ansaru, l’autre mouvement dissident, prenait des otages, comme le français Francis Collomb. Ansaru reprochait jusqu’ici à Boko Haram de ne pas s’attaquer aux « croisés ». C’est fait. La famille a été enlevée dans la réserve naturelle de Waza. A deux pas de Maïduguri, dans le nord du Cameroun, tout près du poste-frontière de Kousséri, au bord du fleuve, face à N’Djamena, la capitale du Tchad. Pour le Cameroun, Boko Haram n’est donc plus seulement un danger, c’est une menace nationale. Et, après l’intervention au Mali, les Français n’y sont plus en sécurité.

C’est aussi un agent de Boko Haram qui a préparé l’enlèvement des deux jeunes français…au Niger. Et c’est encore des combattants de Boko Haram, noirs et anglophones, qui accompagnaient les troupes d’Ansar Dine et d’Aqmi dans la bataille de Diabali, au Mali. Le constat est clair : toute la région grouille d’islamistes, avides d’actions, et qui ont trouvé avec l’intervention française, leur nouvelle terre bénie de Djihad. On découvre aussi que, loin des regards, toute cette zone d’Afrique, de la Mauritanie à la Somalie des Shebabs, est méthodiquement noyautée par des mouvements islamistes.

A Maroua, grande ville du Nord-Cameroun, autrefois havre de paix et de tourisme, les barbus nigérians se promènent en ville où pullulent des « ONG » saoudiennes, turques et iraniennes. Profitant d’un Etat en vacance et de la misère, ils distribuent généreusement argent et nourriture aux mosquées en veillant à ce que les imams prêchent leurs discours extrémistes. Des enquêtes au Nigeria ont révélé que Boko Haram recevait de l’argent notamment des pétromonarchies du Golfe. En clair, du Qatar et d’Arabie Saoudite, états avec qui la France entretient d’honorables relations, eux qui achètent nos armes et offrent Beckam au PSG.

Mieux, Philippe Hugon, chercheur l’Iris, Institut de relations internationales et stratégiques, a affirmé (journal Libération) qu’il était « à peu près sur que le Croissant-Rouge a aidé le Mujao dans le nord du Mali ». Conclusion : pendant qu’on se regardait le nombril en décortiquant minutieusement la déliquescence de la Françafrique, des Etats employaient généreusement tous leurs moyens à l’embrigadement des populations musulmanes du Sahel. Au nom d’Allah et contre les « croisés de l’Occident ».

Il serait temps de mettre un terme à cette hypocrisie internationale. Comme il était temps d’intervenir et de crever l’abcès. Ce faisant, la France et les français sont devenus la cible en Afrique. Et Paris ne va pas seulement affronter les Katiba d’Aqmi dans le désert du Nord-Mali. Il faudra aussi compter avec les islamistes armés de Boko Haram et d’Ansaru au Nigéria, les Shebabs de Somalie, les salafistes du Soudan, de Libye, d’Egypte
de Mauritanie, d’Algérie, de Tunisie…Cette guerre va durer longtemps.


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