La France vacille, l’Europe tremble
La crise française fragilise l’Union européenne. L’arrivée du Rassemblement national au pouvoir serait pour Bruxelles une catastrophe
Photo : couverture du Financial Times
Macron glorifié… puis condamné
Six mois après l’accession d’Emmanuel Macron à l’Élysée, en novembre 2017, Time Magazine, prestigieux hebdomadaire américain, consacrait sa couverture au nouveau président de la République française. Une photo avantageuse du chef de l’État accompagnait un titre flatteur : « Le prochain leader de l’Europe… », suivi en plus petits caractères d’une restriction prémonitoire : « …encore faudrait-il qu’il arrive à diriger la France. » Raté ! Le chaos politique créé par la dissolution de 2024 fait d’une nation déjà difficile à gouverner un pays totalement ingouvernable. Time craignait la colère populiste si Emmanuel Macron échouait. Aujourd’hui, cet emportement s’est mué en rage « dégagiste ». Le spectacle donné par la classe politique française toute entière, obsédée par ses seuls intérêts électoraux et les ambitions présidentielles de ses leaders, exaspère les Français.
L’Union européenne pourrait ne pas s’en relever
Lâchetés, reniements, trahisons s’accumulent au fil des jours. La réversibilité des vestes semble une mode prisée de tous, et l’exclamation « Courage ! Fuyons ! » un cri de ralliement pour beaucoup. À tel point que le parti national-populiste de Marine Le Pen se distingue comme une « force tranquille », seule garante de stabilité politique. L’Europe contemple cette mascarade avec stupeur. D’abord sarcastique, elle se laisse gagner par une sourde inquiétude. Car les capitales européennes voient bien que la crise politique accélère la crise économique et financière. Et que si le Rassemblement national franchit les portes du pouvoir, confirmant la poussée d’extrême droite visible aux quatre coins du continent, l’Union européenne pourrait ne pas s’en relever — à la grande joie de Trump et Poutine.
Un effet domino à l’étranger
L’irresponsabilité de la classe politique française peut donc avoir d’énormes conséquences. Déjà, les médias européens s’enrichissent du spectacle. En Grande-Bretagne, The Guardian n’en revient pas. Sébastien Lecornu a battu le record du gouvernement le plus éphémère — détenu par la conservatrice Liz Truss — avec 44 jours d’exercice. Le Français a tenu une nuit. The Independent note, alarmiste : « cette crise n’est pas qu’une farce française ». En Belgique, Le Soir estime que « le monde politique français nage dans l’inconnu ». En Suisse, Le Temps constate l’impuissance de l’Élysée. En Espagne, El Mundo remarque qu’Emmanuel Macron est devenu l’objet de toutes les critiques. La Frankfurter Allgemeine Zeitung parle de « misère française », la Süddeutsche Zeitung dénonce un président « buté » au comportement « mesquin », voire « infantile ».
Un risque systémique pour le continent
Mais ce sont sans doute les Italiens — longtemps moqués par la France pour leur instabilité gouvernementale — qui sont les plus cruels. Le Corriere della Sera s’en prend à « l’arrogance de Macron ». Il Messaggero s’interroge ironiquement : « Mais où est passée la grandeur ? » Tous, au-delà des Alpes, évoquent le « chaos » français. Les hommes politiques, eux, sont souvent plus mesurés, peu soucieux d’en rajouter — ce qui montre l’importance de leur inquiétude. Que la deuxième économie de l’Union — et sa seule puissance nucléaire — chancèle n’a rien de rassurant. À Bruxelles, sans réaction officielle cette semaine, dans les couloirs de la Commission, on ne parle que de la crise française. Même si tout le monde a connu des crises et des problèmes divers — l’Espagne, depuis trois ans, n’a toujours pas réussi à voter un budget — la situation française présente un risque systémique pour l’ensemble du continent.
Menace frontale sur l’équilibre européen
Du coup, même Giorgia Meloni, présidente du Conseil italien, évite de pavoiser. Elle qui rêverait d’une arrivée au pouvoir du RN. L’Allemagne se garde de toute dramatisation, le gouvernement fédéral se contente de rappeler que « la stabilité de la France est importante pour l’Europe ». Le chancelier et le président français sont en contact permanent. Certes, la France est protégée par son appartenance à la zone euro. Mais cette dernière doit demeurer forte face aux assauts de la concurrence chinoise et aux droits de douane américains. Sans compter la menace russe contre laquelle Paris a joué un rôle mobilisateur. La défaillance française serait fatale pour l’Europe. La perspective d’un gouvernement RN à Paris est vue à Bruxelles et à Berlin comme une menace existentielle.
L’Europe a terriblement besoin d’une France qui défende ses intérêts
Jordan Bardella, au Parlement de Strasbourg, à l’inverse de Giorgia Meloni, s’oppose à toutes les orientations de la Commission : l’élargissement à l’Ukraine, le libre-échange, la décarbonation, la politique agricole, le pacte sur les migrations, etc. La question est désormais de savoir si la France, avec la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque, pourrait constituer une minorité de blocage faisant le jeu de Poutine. Car l’Europe a terriblement besoin d’une France qui défende ses intérêts et non ceux de ses ennemis.
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