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Précarité. Des livreurs sans papiers qui ne gagnent pas assez pour manger ?

publié le 09/02/2022 | par grands-reporters

“Parfois, on vous paye, parfois, on ne vous paye pas. On ne peut rien faire, on est clandestins. »

 

Des   livreurs  qui   ne   gagnent   pas  assez  pour   manger ?  Cela  provoque “beaucoup  de  rage”  chez  Circé  Liénard, responsable  du  site  pour Coopcycle, fédération de coopératives qui veut offrir une alternative aux plateformes.
Depuis l’aube, Ahmed  a  livré petits-déjeuners, pizzas et plats asiatiques. Lui, en revanche, n’a rien à manger. Alors, à la tombée  de  la nuit, le voilà, sac Deliveroo  sur  le  dos et  vélo  en  mains, dans la  file  d’attente  d’une distribution alimentaire à Paris.

À LA MAISON DES COURSIERS À PARIS

Des travailleurs souvent sans papiers, doivent, pour beaucoup, exercer sous l’identité d’un autre ou sous-louer des comptes. © D. R.

“J’ai attendu toute la journée de venir ici, c’est mon seul repas”, explique ce Tunisien de 26 ans, après avoir englouti le plateau servi par l’Armée du Salut dans un hangar du quartier populaire de Barbès, accolé à la toute nouvelle “Maison des coursiers”.
Tous les jours depuis un an, il enfourche un vélo “vers 6h du matin”, jusqu’à 23h ou minuit.

Et tous les soirs depuis des mois, il dîne là. Sans papiers, il est contraint de travailler avec le compte d’un “patron”, qui lui reverse 400 euros par mois.
Une fois déduits le loyer pour sa colocation à Sarcelles, en banlieue, son abonnement Véligo (vélos partagés) et l’argent qu’il envoie au pays pour nourrir sa famille, il ne lui reste “plus rien”.

“Quand je suis arrivé en France, j’ai dormi des mois sous un pont. J’aimerais sortir de cette galère mais je n’ai rien d’autre. Alors je n’ai pas le choix”, confie à l’AFP cet ancien employé d’une station-service en Tunisie.

Produit de luxe 
C’est lors du premier confinement que l’Armée du Salut a vu affluer des livreurs à ses distributions alimentaires, se souvient Françoise, responsable du souper ce soir de février. Symbole, pour elle, de la “casse sociale” dont ils sont victimes.
Depuis, les repas sont fournis dans ce nouveau lieu partagé avec la “Maison des coursiers”, ouverte depuis mi-janvier.
Les livreurs en grande précarité peuvent y recharger leurs batteries, prendre un café, accéder à des toilettes et, surtout, à une aide pour leur régularisation.

Des livreurs qui ne gagnent pas assez pour manger ? Cela provoque “beaucoup de rage” chez Circé Liénard, responsable du site pour Coopcycle, fédération de coopératives qui veut offrir une alternative aux plateformes.
Le but : “casser la précarité” en salariant les coursiers. “Se faire livrer en quelques minutes, c’est un produit de luxe. Si ça ne coûte presque rien, c’est parce que la réduction des coûts se fait sur le dos des livreurs”, déplore-t-elle.

Des travailleurs souvent sans papiers qui doivent, pour beaucoup, exercer sous l’identité d’un autre ou sous-louer des comptes. C’est le cas de Koné, un Ivoirien de 22 ans, livreur Deliveroo depuis une semaine à peine. “Pour l’instant, je ne gagne presque rien”, avoue-t-il après une tournée de trois heures, en dévorant des chouquettes à disposition.

“Parfois, on ne vous paye pas”
“Pour ceux qui commencent, c’est toujours la galère”, soupire Keita Siriki, son compatriote de 50 ans, attablé plus loin. Lui a obtenu sa régularisation, “aboutissement d’une longue bataille” engagée contre son employeur avec l’aide d’un syndicat. Il espère pouvoir bientôt être salarié de Frichti, pour qui il livre depuis trois ans, ou bien renouer avec son ancien métier de chauffeur poids lourd en Côte d’Ivoire.

Mais, comme les autres, Keita Siriki a commencé le travail sous “alias” : “Quand on arrive, on ne connaît pas nos droits. Mais ici (à la Maison des coursiers), on nous aide, les choses avancent. Quand j’arrive ici, je me sens chez moi. Et je dis aux autres, venez trouver de l’aide.”

Ce mercredi, Keita a justement amené Alpha, Guinéen de 29 ans, qui découvre le lieu minimaliste : un frigo, deux tables, une cafetière, un canapé.

Le jeune homme a les yeux rivés sur le compte à rebours qu’affiche son smartphone : dans 38 minutes, il doit prendre son service devant une “dark kitchen”, ces cuisines “fantômes” pensées pour les plateformes de livraison. Lui aussi attend sa carte de séjour avec impatience car, depuis ses débuts en 2019, il roule avec le compte d’un tiers.

“Parfois, on vous paye, parfois, on ne vous paye pas. On ne peut rien faire, on est clandestins. Parfois on bosse cinq heures, on ne nous donne même pas 30 euros. Ces jours-là, moi aussi je dois aller à la distribution alimentaire”, assure le père de famille.


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