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« Le jour où ils ont menacé ma fille… »

publié le 12/12/2006 | par Jean-Paul Mari

L’auteur de « la Malédiction » avait juré, il y a quelques mois à peine, de ne pas partir d’Alger. Les menaces des intégristes ont eu raison de sa résistance. Notre collaborateur l’a rencontré quelque part dans son exil marocain


Le Nouvel Observateur. – Pourquoi avez-vous quitté l’Algérie pour vous exiler ici au Maroc ?
Rachid Mimouni. – Pour deux raisons essentielles. La première est que j’étais, depuis longtemps, menacé par les intégristes. Ce n’était pas nouveau. J’ai pris position, j’ai mes idées, je les défends et j’étais prêt à en assumer les conséquences. Mais j’avoue que je n’aurais jamais cru qu’ils s’en prendraient à ma famille. J’ai une fille de 13 ans. Le jour où ils l’ont directement menacée de mort… cela m’est devenu insupportable.
N. O. – Comment avez-vous vécu ces derniers mois en Algérie ?
R. Mimouni. – Vécu ? Disons plutôt que j’ai survécu ! Entouré d’un luxe de précautions : ne pas avoir d’horaires précis, donc commencer par abandonner mes cours à la faculté ; ne jamais suivre les mêmes itinéraires pour sortir ou rentrer chez moi, faire des détours, des demi-tours, ne jamais donner de rendez-vous à des heures précises, ne jamais être seul en voiture… Depuis un an, le simple fait de marcher dans la rue était devenu impensable. C’était le plus dur.
N. O. – Vous étiez devenu un écrivain reclus ?
R. Mimouni. – Je ne pourrais jamais vivre comme Salman Rushdie. Je n’étais pas vraiment reclus, mais il était impossible d’avoir ce qu’on appelle tout simplement une vie. Et puis il y avait les menaces. Je n’aime pas en parler. En Algérie, on peut recevoir des menaces qui ne sont que de simples mesures d’intimidation. On peut aussi ne jamais recevoir de menaces et être abattu, comme c’est arrivé à quelques intellectuels qui étaient mes amis. Je savais que mon nom était prononcé et affiché dans les mosquées alentour. Ils procèdent comme cela. Le nom est affiché et l’action est laissée à la discrétion des fidèles. D’un côté il y a les ennemis ; de l’autre, les amis qui fréquentent la mosquée et qui vous conseillent de ne plus parler, ou moins souvent. Ou différemment. J’ai reçu des lettres en arabe et en français ; elles disaient toutes la même chose : « Tu es un mécréant. On t’aura ! » Et des coups de téléphone : des insultes, des menaces de mort ou, parfois, un simple halètement au bout du fil. Ou un bruit, celui d’un couteau qu’on aiguise à l’autre bout du fil.
N. O. – Beaucoup de gens en Algérie ont reçu ce genre de menaces : journalistes, intellectuels, écrivains, tous ceux qui se sont vigoureusement opposés aux islamistes.
R. Mimouni. – Je ne m’oppose pas violemment à l’intégrisme. Je dis simplement que leur projet de société ne tient pas debout. A tort ou à raison. Mais j’essaie d’argumenter, j’accepte la contradiction. Le problème est que la seule fois où j’ai pu discuter sur une antenne de radio avec un intellectuel intégriste, il s’est contenté d’appeler par trois fois au meurtre, en direct. Leurs tracts disent : « Ceux qui nous

critiquent par la plume doivent périr par le sabre. »
N. O. – Aviez-vous obtenu une protection rapprochée ?
R. Mimouni. – Toutes les protections sont illusoires. Et comment protéger sa famille ? Pour leur éviter de trop s’inquiéter, je passais mon temps à aller moi-même chercher le courrier et je surveillais le téléphone. Mais mes enfants ont fini par comprendre que j’étais menacé. Qu’une porte claque la nuit dans l’appartement du voisin, et toute la famille était debout ! A l’école, quand un prof grondait un de mes gosses, c’était aussitôt une crise de sanglots. Mon fils de 12 ans faisait des cauchemars, il se réveillait la nuit en pleurs en criant : « Je ne veux pas qu’on te tue ! » Tout ce que je trouvais à faire pour le calmer était d’ouvrir le Coran à n’importe quelle page pour le lire avec lui, à haute voix. Jusqu’à ce qu’il se rendorme. Et puis, un jour, le téléphone a sonné, mon fils a décroché, et une voix a demandé nommément à parler à ma petite fille. Quand elle a pris le combiné, la voix l’a menacée de mort. Cela a recommencé. Trois fois. Vous devinez dans quel état je l’ai retrouvée !
N. O. – Pour vous, c’en était trop ?
R. Mimouni. – Oui. Trop dur. Jusqu’alors j’étais fortement accroché à l’idée de rester en Algérie. Partir ? J’avais du mal à l’imaginer, même dans les pires moments. Mais le mois de décembre a été terrible en Algérie. Et puis tout s’est précipité en quelques jours. Un ami m’a proposé de m’aider, le téléphone a encore sonné… Et je me suis décidé. Je n’avais rien préparé à l’étranger. Je croyais pouvoir toujours vivre en Algérie.
N. O. – Pourquoi avoir choisi le Maroc ?
R. Mimouni. – Parce que j’aime ce pays et que je m’y sens moins déraciné qu’ailleurs. En dépit de la rupture que cela implique, je reste au Maghreb. Ailleurs ? Vous savez, j’ai passé une année sabbatique en France. Etrange année. En fait, à force d’aller-retour entre Paris et Alger, je me suis aperçu que j’avais passé plus de temps dans mon pays ! Ici, au Maroc, je reste proche de l’Algérie, même si c’est difficile de débarquer dans un pays avec ses valises à la main, le soir du réveillon, et d’entasser sa famille dans un hôtel sans savoir comment on va vivre.
N. O. – Il y a un an, vous refusiez l’idée même de l’exil et vous le disiez haut et fort. Est-ce un échec ?
R. Mimouni. – Un échec personnel ? Non, je ne crois pas. D’autres que moi ont dû se résoudre à partir. C’est un drame. Je ne vois pas d’issue. L’intelligentsia d’un pays est toujours la première à s’en aller, comme cela s’est passé au Liban, en Iran, en Palestine ou ailleurs. En Algérie, les intégristes ont décidé de s’attaquer aux intellectuels pour les faire partir. Ils ont, en partie, réussi. Pour eux, c’est une grande victoire.
Propos recueillis par Jean-Paul Mari

L’auteur de « la Malédiction » avait juré, il y a quelques mois à peine, de ne pas partir d’Alger. Les menaces des intégristes ont eu raison de sa résistance. Notre collaborateur l’a rencontré quelque part dans son exil marocain
Le Nouvel Observateur. – Pourquoi avez-vous quitté l’Algérie pour vous exiler ici au Maroc ?
Rachid Mimouni. – Pour deux raisons essentielles. La première est que j’étais, depuis longtemps, menacé par les intégristes. Ce n’était pas nouveau. J’ai pris position, j’ai mes idées, je les défends et j’étais prêt à en assumer les conséquences. Mais j’avoue que je n’aurais jamais cru qu’ils s’en prendraient à ma famille. J’ai une fille de 13 ans. Le jour où ils l’ont directement menacée de mort… cela m’est devenu insupportable.
N. O. – Comment avez-vous vécu ces derniers mois en Algérie ?
R. Mimouni. – Vécu ? Disons plutôt que j’ai survécu ! Entouré d’un luxe de précautions : ne pas avoir d’horaires précis, donc commencer par abandonner mes cours à la faculté ; ne jamais suivre les mêmes itinéraires pour sortir ou rentrer chez moi, faire des détours, des demi-tours, ne jamais donner de rendez-vous à des heures précises, ne jamais être seul en voiture… Depuis un an, le simple fait de marcher dans la rue était devenu impensable. C’était le plus dur.
N. O. – Vous étiez devenu un écrivain reclus ?
R. Mimouni. – Je ne pourrais jamais vivre comme Salman Rushdie. Je n’étais pas vraiment reclus, mais il était impossible d’avoir ce qu’on appelle tout simplement une vie. Et puis il y avait les menaces. Je n’aime pas en parler. En Algérie, on peut recevoir des menaces qui ne sont que de simples mesures d’intimidation. On peut aussi ne jamais recevoir de menaces et être abattu, comme c’est arrivé à quelques intellectuels qui étaient mes amis. Je savais que mon nom était prononcé et affiché dans les mosquées alentour. Ils procèdent comme cela. Le nom est affiché et l’action est laissée à la discrétion des fidèles. D’un côté il y a les ennemis ; de l’autre, les amis qui fréquentent la mosquée et qui vous conseillent de ne plus parler, ou moins souvent. Ou différemment. J’ai reçu des lettres en arabe et en français ; elles disaient toutes la même chose : « Tu es un mécréant. On t’aura ! » Et des coups de téléphone : des insultes, des menaces de mort ou, parfois, un simple halètement au bout du fil. Ou un bruit, celui d’un couteau qu’on aiguise à l’autre bout du fil.
N. O. – Beaucoup de gens en Algérie ont reçu ce genre de menaces : journalistes, intellectuels, écrivains, tous ceux qui se sont vigoureusement opposés aux islamistes.
R. Mimouni. – Je ne m’oppose pas violemment à l’intégrisme. Je dis simplement que leur projet de société ne tient pas debout. A tort ou à raison. Mais j’essaie d’argumenter, j’accepte la contradiction. Le problème est que la seule fois où j’ai pu discuter sur une antenne de radio avec un intellectuel intégriste, il s’est contenté d’appeler par trois fois au meurtre, en direct. Leurs tracts disent : « Ceux qui nous critiquent par la plume doivent périr par le sabre. »
N. O. – Aviez-vous obtenu une protection rapprochée ?
R. Mimouni. – Toutes les protections sont illusoires. Et comment protéger sa famille ? Pour leur éviter de trop s’inquiéter, je passais mon temps à aller moi-même chercher le courrier et je surveillais le téléphone. Mais mes enfants ont fini par comprendre que j’étais menacé. Qu’une porte claque la nuit dans l’appartement du voisin, et toute la famille était debout ! A l’école, quand un prof grondait un de mes gosses, c’était aussitôt une crise de sanglots. Mon fils de 12 ans faisait des cauchemars, il se réveillait la nuit en pleurs en criant : « Je ne veux pas qu’on te tue ! » Tout ce que je trouvais à faire pour le calmer était d’ouvrir le Coran à n’importe quelle page pour le lire avec lui, à haute voix. Jusqu’à ce qu’il se rendorme. Et puis, un jour, le téléphone a sonné, mon fils a décroché, et une voix a demandé nommément à parler à ma petite fille. Quand elle a pris le combiné, la voix l’a menacée de mort. Cela a recommencé. Trois fois. Vous devinez dans quel état je l’ai retrouvée !
N. O. – Pour vous, c’en était trop ?
R. Mimouni. – Oui. Trop dur. Jusqu’alors j’étais fortement accroché à l’idée de rester en Algérie. Partir ? J’avais du mal à l’imaginer, même dans les pires moments. Mais le mois de décembre a été terrible en Algérie. Et puis tout s’est précipité en quelques jours. Un ami m’a proposé de m’aider, le téléphone a encore sonné… Et je me suis décidé. Je n’avais rien préparé à l’étranger. Je croyais pouvoir toujours vivre en Algérie.
N. O. – Pourquoi avoir choisi le Maroc ?
R. Mimouni. – Parce que j’aime ce pays et que je m’y sens moins déraciné qu’ailleurs. En dépit de la rupture que cela implique, je reste au Maghreb. Ailleurs ? Vous savez, j’ai passé une année sabbatique en France. Etrange année. En fait, à force d’aller-retour entre Paris et Alger, je me suis aperçu que j’avais passé plus de temps dans mon pays ! Ici, au Maroc, je reste proche de l’Algérie, même si c’est difficile de débarquer dans un pays avec ses valises à la main, le soir du réveillon, et d’entasser sa famille dans un hôtel sans savoir comment on va vivre.
N. O. – Il y a un an, vous refusiez l’idée même de l’exil et vous le disiez haut et fort. Est-ce un échec ?
R. Mimouni. – Un échec personnel ? Non, je ne crois pas. D’autres que moi ont dû se résoudre à partir. C’est un drame. Je ne vois pas d’issue. L’intelligentsia d’un pays est toujours la première à s’en aller, comme cela s’est passé au Liban, en Iran, en Palestine ou ailleurs. En Algérie, les intégristes ont décidé de s’attaquer aux intellectuels pour les faire partir. Ils ont, en partie, réussi. Pour eux, c’est une grande victoire.
Propos recueillis par Jean-Paul Mari


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