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Le soupçon de manipulation boursière qui colle à Trump

publié le 11/04/2025 par Pierre Feydel

Quelques heures avant la volte-face sur les droits de douane qui provoqua une flambée boursière, Trump avait conseillé d’acheter. Certains ont gagné des millions de dollars. Et lui ?

Photo :Le secrétaire au Trésor américain Scott Bessent (2e à droite) et le secrétaire au Commerce Howard Lutnick regardent le président Donald Trump s’exprimer après la signature d’un décret dans le bureau ovale de la Maison Blanche, le 9 avril 2025 à Washington, DC. (Photo by SAUL LOEB / AFP)

« C’est le moment idéal pour acheter »

La volte-face trumpienne sur les droits de douane, annoncée par le président lui-même comme un acte d’amour pour l’humanité toute entière saisie d’effroi, célébrée comme un coup de génie par ses porte-cotons en mal de superlatifs pour louer leur seigneur, fut aussitôt entachée d’une forte suspicion de délit d’initié et de manipulations boursières. On se rassurait : chez Trump, le cœur n’était jamais loin du portefeuille. L’affaire aurait permis à plusieurs de ses proches, y compris lui-même, de s’enrichir grassement.

Lorsqu’il posta sur son réseau social Truth Social, mercredi matin à 9h37 : « C’est le moment idéal pour acheter » — sous-entendu sur les marchés financiers —, voulait-il seulement conjurer le pessimisme général ou savait-il déjà ce qu’il allait annoncer plus tard, à savoir un revirement sur les droits de douane, susceptible de provoquer une envolée des cours ? Il signa son message « DJT », à la fois ses initiales et le code boursier de sa société Trump Media & Technology Group.

Un conseil d’investissement présidentiel ?

Personne ne s’attendait à ce qu’un chef d’État joue les conseillers en investissement. Reste que le conseil s’avéra excellent. À peine quatre heures plus tard, les bourses s’emballèrent à l’annonce du report de la hausse des droits de douane, limités universellement à 10 %. À Wall Street, le principal indice, le Dow Jones, gagna plus de 10 % en moyenne, le Standard & Poor’s 500 augmenta de 9,5 %, le Nasdaq de plus de 12 %. Et l’action du groupe de Trump bondit de 22 %. La valeur de sa participation dans sa propre société s’accrut de 415 millions de dollars. L’action Apple remonta de 16 %, celle de Tesla de 22 %. Elles ne récupérèrent que la moitié, à peine, de ce qu’elles avaient perdu depuis le début de la crise, mais tout de même. Les places européennes et asiatiques suivirent. Le soulagement fut immense sur l’ensemble de la planète. Mais l’hypothèse de la manipulation restait entière.

Une vidéo embarrassante à la Maison-Blanche

Elle prit même de la consistance lorsqu’une vidéo montra, à la Maison-Blanche, Donald Trump félicitant deux hommes d’affaires amis d’avoir gagné, pour l’un, 2 milliards de dollars, pour l’autre, 900 millions. Et tout cela grâce à lui, dans la journée. Qui avait bien pu stupidement laisser sortir cette quasi-preuve d’un délit d’initié, qui devait inciter la SEC (Securities and Exchange Commission), l’organisme de contrôle des marchés aux États-Unis, à intervenir immédiatement ? C’est d’ailleurs ce qu’annonça Paul Atkins, son président, qui ouvrit une enquête sur ces transactions suspectes pour déterminer s’il y avait eu manipulation du marché ou utilisation d’informations confidentielles. La SEC disposait de tous les moyens pour connaître les mouvements ayant affecté le marché. Elle pouvait savoir qui avait acheté quoi, et quand. D’ailleurs, des transactions inhabituelles sur des options d’achat furent observées juste avant l’annonce du retrait des droits de douane.

La contre-attaque démocrate

Les Démocrates, qui avaient enfin trouvé un angle d’attaque contre Trump, se ruèrent dans la brèche. Ils se déchaînèrent au Congrès, par la voix d’Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts, figure de l’aile gauche du parti, candidate à la candidature présidentielle en 2020, très vigilante depuis longtemps sur les fraudes financières, et qui réclama une commission d’enquête parlementaire.

Adam Schiff, sénateur de Californie, adressa une lettre à la cheffe de la Maison-Blanche, Susie Wiles, ainsi qu’au directeur par intérim de l’Office of Government Ethics, afin de déterminer si Trump, sa famille ou les membres de son administration avaient profité d’informations leur permettant d’effectuer des opérations boursières avant l’annonce officielle. Alexandria Ocasio-Cortez, représentante de New York, appela tous les membres du Congrès à divulguer la nature et le nombre des titres qu’ils auraient pu acheter 48 heures avant l’annonce fatale.

Houle politique et opacité financière

Les réseaux sociaux américains grouillaient d’interventions diverses sur le sujet, qui fit le buzz. Au Congrès, devant une commission qui les interrogeait sur les droits de douane, les représentants de l’administration Trump furent violemment mis en cause. Les débats furent houleux, au bord de l’invective. En réalité, ceux qui pourraient être convaincus de délits d’initiés ou de manipulation des cours — pas toujours faciles à prouver — risquaient néanmoins 20 ans de prison et des millions de dollars d’amende. Déjà, la presse calculait les profits personnels mirifiques des magnats des GAFAM.

Judiciairement, il ne risque pas grand-chose. Mais politiquement…

Donald Trump, après son élection, avait promis de se séparer de certains de ses intérêts financiers susceptibles de poser problème. Bien entendu, il n’en fit rien. La Maison-Blanche expliqua que ses actifs étaient désormais logés dans un trust géré par ses enfants. Ce qui ne garantissait rien.

Par ailleurs, l’administration républicaine, grâce à la purge des services publics, a renvoyé de nombreux inspecteurs chargés de la surveillance des marchés, ce qui réduitla capacité d’enquête. Donald Trump, l’immunité présidentielle aidant, ne risque sans doute pas grand-chose judiciairement. Politiquement, c’est une autre affaire.


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