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Les cavaliers de l’Apocalypse contre les Gentils ?

publié le 16/11/2015 | par Guillaume Malaurie

Lire l’analyse de Guillaume Malaurie

Pourquoi viser cet arc de cercle autour de la République ? Pourquoi « choisir minutieusement« , selon les termes du communiqué de Daech, les différents spots qui balisent cet arc de cercle ?

Dans l’histoire du terrorisme parisien issu du proche et moyen Orient, ce furent d’abord les lieux de grands passages et de grands brassages qui étaient ciblés comme en 1986 la Rue de Rennes ou en 1995 la Place de l’Étoile, la station St Michel du RER B ou le Musée d’Orsay ou encore la Station Port Royal en 1996.

Ce furent aussi les lieux « juifs » comme la synagogue de la rue Copernic (1980) la Rue des Rosiers (1982) ou l’Hyper-Casher de la Porte de Vincennes.

Vendredi soir dernier, pourquoi avoir ciblé avec une précision millimétrique l’arc qui s’enroule autour de la Place de la République et de sa statue ?

Parce que la République catin, athée et mécréante doit être punie pour s’être convertie en chapelle ardente dédiée aux journalistes de Charlie exécutés par les « frères djihadistes » ? Parce que le siège de Charlie était proche et qu’il fut transféré à deux pas à Libération et donc que ce territoire est d’une façon ou d’une autre maudit ?

Possible.

Possible aussi que les Djihadistes dont il est difficile de suivre toutes les obsessions et quand bien même ils avaient manifestement l’intention de s’attaquer de manière simultanée au Stade de France aient d’abord consacré une nouvelle centralité parisienne.

Celle des flux et fêtes qui se sont organisés en moins de deux décennies autour du Nord Est de la capitale. Voilà dix ou quinze ans, la rue Bichat était en effet une voirie lugubre bordant le noir Hôpital St Louis, la rue de la Fontaine au roi itou, le bd Voltaire était plutôt un égout à voitures et le Bataclan, scène parisienne fertile, faisait plutôt figure d’exceptionnel isolat dans le quartier.

Aujourd’hui, la République pétille et phosphore à tous les carrefours entre X° et XI° . Hier lieu de passage des labeurs ouvriers, elle est devenue lieu de vie. C’est l’échangeur et le fixateur d’un archipel de start-upers & upeuses, d’abeilles des nouvelles économies qui se retrouvent à tchatcher a la sortie de leurs « ateliers », de leurs « agences », de leurs « labos » artisanaux à haute valeur ajoutée dans d’innombrables restos, bars after et before, terrasses Bobo-Hipster en tous genres.

Des jeunes, de la vingtaine jusqu’à la grosse trentaine, plutôt bien dans leur peau et plugués sur l’économie monde. Des jeunes Bobos-Hipsters qui se convainquent dans leurs QG minuscules qu’il est possible de redonner la niaque au vieux monde à force d’applis, d’imprimantes 3D, de levées de fond, de manips digitales ….

Une jeunesse un peu dorée, entrepreneuse, tolérante, polie, interactive, créative, acquise aux métissages, cultivant des plaisirs plutôt raisonnables, tirant des joints par toutes petites taffes, buvant sans trop se murger, pas Halal mais souvent tout aussi observante sur les prescriptions du label Bio. Et si elle penche pour Voltaire, c’est plutôt dans une version très abrégée et fort light.

Ces jeunes gens-là, se projettent cependant avec une étonnante ingénuité dans un futur qu’ils jugent perfectible. Perfectible et réformable. Parfois même reprogrammable. Le futur tout court, ils y croient, tout minoritaires qu’ils puissent être, dans une Europe où le spleen, la précarité, la régression pèsent si lourd.

Eux, ils persistent à croire avec la foi du charbonnier à une très durable et très contagieuse légèreté démocratique de l’être. Y compris si cette bonhommie bouche en coeur en exaspère plus d’un

Pour l’Internationale des Possédés de Daech, pour les snipers bourreaux qui ont le même âge que leurs victimes, qui sont de la même France mais pas du même côté du mur, en revanche, c’est sûr, cette assurance à la cool est un pied de nez insupportable. C’est même une menace. Un bas bruit de fond qui ne doit pas prospérer. Cette optimisme viral est la négation de l’Apocalypse que le Bureau Politique des djihadistes sunnites appelle de ses vœux à grands seaux de sang.

L’énorme dessein de Daech, c’est en effet d’attiser le désespoir des jeunes hommes torches. Non par sadisme mais pour précipiter la fin des temps. Il suffit de lire la littérature de Daech en ligne en anglais mais aussi en français pour comprendre qu’ils ne sont pas des islamistes à la vieille mode cairote des Frères Musulmans.

Ceux-là, nous les connaissons bien. A force, ils nous sont devenus familiers mais ils se sont démodés. Ils ne font plus rêver les fous de Dieu. Ils n’étaient finalement que des léninistes de mosquées qui cherchaient le pouvoir en se servant des sourates comme de chausse-pieds.

Les prophètes armés de Daech, c’est toute autre chose.

Eux sont des incendiaires du temporel. Ils ne veulent pas aménager le monde ou le dominer. Ils veulent l’anéantir. Ils veulent à haute voix le chaos et la fin des fins.

Ils veulent mordre à pleine dents dans les cendres de l’Histoire. La nôtre et aussi la leur que nous aurions contaminée. Au bout : le riche et pâle linceul de la parousie islamique.

L’énergie physique destructrice est, c’est exact, toujours formidablement facile à libérer. Plus facile que la force de la construction qui ajuste brique après brique. Chromosome après chromosome.

Question : pourquoi déchaîner tant de foudres contre des innocents si candides ? La jouissance de la violence gratuite ? La facilité ? Pas si sûr.

Peut-être que lorsque ces Croisés du Croissant lâchent leurs rafales sur les Bobos-Hipsters sirotant de la limonade ou du Champagne, sur ces grands ados tolérants, pacifistes, gentillets et multiculturalistes, ils ne s’en prennent pas seulement à des fêtards. Peut-être qu’Ils ne pilonnent pas seulement une nouvelle géographie parisienne de la nuit. Peut-être qu’ils ne voient pas en eux seulement des pantins sans défense qu’on peut tirer comme des lapins.

Peut-être que ces Bobos-Hipsters représentent à leurs yeux une véritable menace de long terme. Bien plus redoutable que tous les identitaires plutôt perçus par les Djihadistes comme des cousins éloignés.

Eh oui, un des grands cauchemars du Djihadiste pourrait bien être un doux, un vulnérable, un désarmé, un jeune professeur Tournesol qui regarde les demoiselles dans les yeux et ne néglige pas le bas des reins, une jeune manageuse qui laisse voir ses jambes et ses cheveux et n’a pas honte de son corps, un prosélyte sans catéchisme qui va simplement prêchi prêchant que le monde malade est réparable, qu’on peut à force de culots, d’initiatives, de savoirs, de rires, faire en sorte qu’il ne s’effondre pas sur lui-même comme un ballon crevé.

Cette hypothèse d’une rédemption et d’une extension de la vie, si fragile soit-elle, est à n’en pas douter insupportable aux yeux des Djihadistes élevés dans le culte rétréci d’un Dieu faucheur, vengeur, jaloux, croque-mort qui aurait troqué la vieille miséricorde qu’il avait héritée du judéo-christianisme contre la seule radicalité nihiliste.

Il ne suffit pas que les commandos-spectres massacrent les bobos-hipsters et apparentés. Il faut qu’ils instruisent le procès en sorcellerie de ces infidèles, de ces californiens d’Europe, avant de les crucifier.

Dans le Bataclan transformé en Temple, Ils deviennent donc des « idolâtres » qui sacrifient à une « fête de la perversité » (communiqué Daesch) .

Parce que le groupe « Eagles of Death Metal » sacrifie aux divinités païennes forcément démoniaques ?

Parce qu’il chante « Kiss The Devil » ?

Foutaises !

Le groupe californien serait plutôt, selon les experts du rock, très second degré, cultivant l’humour à grosse louche de Rabelais et à coups de … braguette du nom de leur dernier album…

Les Cavaliers de l’Apocalypse contre les Gentils ?

Ce serait aussi ça le scénario criminel de vendredi soir ?

En tous cas, il y a de ça dans le choix des lieux et des cibles des fusillades. Dans cet acharnement à éviscérer et mutiler des jeunes gens et des jeunes filles aux mains nues et sirotant des mojitos juste parce qu’ils ne croient pas une seconde que la grande nuit ne va pas succéder aux promesses des aubes.

S’il y a un peu de vrai dans ce raisonnement, il faut aller au bout. Et discerner sous le tas de cadavres parisiens un petit filet d’espoir. Reconnaître que la force que les Cavaliers de l’Apocalypse prêtent à ces Gentils start-up-ers et autres Bobos-Hipsters est peut-être bien plus féconde, plus puissante et plus vitale qu’on ne l’imagine nous même.

La force collective des petites lumières contre celle de la rage suicidaire. Alors, ces Hipsters Bobos, ces sapeurs des terres promises, ces ravis de la crèche qui disent « Waouh » à tous bouts de champ, ne seraient pas morts tout à fait pour rien.

Qu’on se le dise pour se consoler un peu : l’apocalypse aussi est mortelle.

Guillaume Malaurie
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