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Les retraites grecques au régime sec

publié le 08/01/2016 | par Maria Malagardis

Bruxelles et le FMI font pression sur Athènes pour baisser les pensions, alors que 45% des retraités vivent déjà sous le seuil de pauvreté.


Ioánnis Varvákis, aventurier grec du XIXe siècle, a sa statue dans le jardin national d’Athènes. Sous le regard impétueux de cet «homme d’affaires et pirate», se réunit chaque jour une assemblée improvisée d’élégants vieillards, presque aussi connue que le Parthénon, dans la capitale grecque.

Ces impassibles octogénaires et nonagénaires se retrouvent pour jouer aux cartes ou au backgammon. Mais, en période électorale, ils se livrent également à des joutes oratoires épiques, qui ont contribué à leur célébrité. Savent-ils qu’ils sont au cœur des difficiles négociations entre la Grèce et ses créanciers ?

Le dernier Eurogroupe, lundi à Bruxelles, a donné lieu mardi à une déclaration jugée plus«optimiste» que lors des précédents sommets. Et Athènes a, une fois de plus, honoré les échéances de sa dette en remboursant 750 millions d’euros au FMI, mardi.

Mais les blocages persistent. Les interlocuteurs du gouvernement grec n’ayant pas renoncé à le faire plier sur les réformes qu’ils entendent lui imposer. Parmi ces «réformes», exigées par les créanciers, mais dont le contenu est rarement précisé publiquement, figureraient une nouvelle dérégulation du marché du travail (dans un pays où il n’y a déjà pratiquement plus de conventions collectives), ainsi qu’une nouvelle baisse des retraites.

Flegme.Assis en rang d’oignon, les vieillards du jardin ont tous déjà vu leurs pensions diminuer d’un tiers depuis cinq ans. «Je ne touche plus que 680 euros par mois», précise ainsi Dimitri, 83 ans, qui fut tailleur de chemises pour hommes avant de prendre sa retraite à 65 ans. «Moi, je suis veuf, et je peux me contenter de peu.

Mais les familles, comment peuvent-elles survivre, si on les appauvrit sans cesse ?» s’interroge l’octogénaire, dont les enfants ont émigré en Suède. Le vieux Dimitri n’a pas voté pour Syriza, la coalition de la gauche radicale arrivée au pouvoir fin janvier. Et il s’offusquerait presque de la nouvelle mode du «sans cravate» adoptée par certains nouveaux ministres.

«Le costume, ce n’est jamais anodin. La cravate impose l’autorité et le respect», affirme-t-il, en connaisseur. Pourtant, ce grand-père tiré à quatre épingles soutient désormais le combat de son gouvernement face à Bruxelles et au FMI.«On lui tord le bras pour imposer des mesures impopulaires. Mais pour l’instant, il tient bon», constate-t-il, avec un flegme oriental.


«Les retraites ? C’est une véritable bombe à retardement»,
admet un universitaire recruté par le nouveau gouvernement pour plancher sur la réforme de la sécurité sociale. «L’équation est simple, explique-t-il. En Grèce, il y a désormais 3,5 millions d’actifs, 1,5 million de chômeurs, et 2,6 millions de retraités. Il va donc bien falloir trouver un moyen pour continuer à financer le système, alors que les inactifs sont potentiellement plus nombreux que les actifs, et que l’économie est essoufflée par cinq ans d’austérité.»


Mais comment faire face au «péril vieux»,
dans un pays où le vieillissement de la population, amorcé dès le début du XXe siècle, s’est accentué avec l’exil de 300 000 jeunes diplômés depuis deux ans ? Les créanciers ont leur idée. «Ils veulent supprimer la prime de l’Etat accordée aux retraites les plus modestes, celles à 480 euros, qui seraient alors réduites à 320 euros», croit savoir l’universitaire. «Mais qui peut vivre avec si peu ?» s’inquiète-t-il.
Démunis.

Or cette pension modeste à 480 euros concernerait un tiers des retraités. Lesquels, bien sûr, sont aussi des électeurs. Comme l’ensemble des 2,6 millions de retraités, qui n’ont peut-être pas voté pour Syriza mais qui, comme Dimitri, se retrouvent parfois en première ligne pour soutenir la résistance du gouvernement contre des créanciers plus inflexibles qu’ils ne l’ont jamais été face aux précédents gouvernements grecs, malgré l’échec patent de l’austérité imposée au pays.

«Aujourd’hui, la Grèce est en guerre. On nous étrangle, car nous sommes devenus l’exemple à abattre. Pour dissuader les autres pays européens de voter eux aussi contre l’austérité», martèle ainsi Voula Arnaoutaki, 56 ans. Retraitée de la fonction publique depuis quatre ans, Voula est l’exemple repoussoir pour les créanciers.

«Mais ils feignent d’ignorer que j’ai bénéficié d’une retraite anticipée, justement parce qu’on m’a poussée vers la sortie, au nom de l’austérité. Et, avant de faire croire que les retraités grecs se la coulent douce à un âge précoce, il faudrait aussi rappeler qu’en Grèce, il faut attendre en moyenne deux ans avant de toucher toute sa retraite, en raison de retards chroniques dans les administrations. 400 000 candidats à la retraite attendent aujourd’hui le versement de leurs pensions», souligne cette femme énergique.

Elle travaille désormais comme bénévole dans l’un des centres qui distribuent des médicaments aux plus démunis. Parmi eux, beaucoup de retraités. «Ces vieux qui mendient leurs médicaments, poursuit Voula,ils n’ont même plus peur d’une sortie de l’euro. Car euro ou drachme, ils n’ont plus rien dans la poche.» 45% des retraités grecs vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, et 17% dans une «misère absolue»,selon une estimation récente du ministre délégué à la Sécurité sociale.
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