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Les vertiges de la liberté

publié le 22/11/2006 | par Marc Epstein

Les habitants de Budapest sont fiers de leur ville, de son art de vivre et de son dynamisme retrouvé. Même si la rapidité des changements, depuis 1989, donne le tournis. Et si les fantômes du passé frappent aux murs…


C’est une réunion sans fin, comme toutes les bonnes choses. Elle a lieu le deuxième mardi de chaque mois, au fond d’un café, dans le coeur historique de Budapest. C’est là, réunis autour d’une grande table, à l’heure du dîner, qu’une vingtaine de passionnés discutent des heures durant de la capitale hongroise. Tous éprouvent pour elle «un amour d’ordre pathologique», selon le mot d’un participant.

Au fil de la conversation, le groupe passe en revue les moindres événements dans la vie de la cité. Certains jugent que la façade d’un monument a été mal repeinte. D’autres s’inquiètent des dégâts causés par un incendie dans le métro. Puis un historien s’interroge sur l’emplacement d’une ancienne usine de salami avant la Seconde Guerre mondiale: «Elle se trouvait de l’autre côté du fleuve, me semble-t-il. – Oui, répond un étudiant. Ensuite, de 1945 à 1947, le ministère des Affaires étrangères a occupé le bâtiment. – Et, en 1952, intervient un autre, le Syndicat des musiciens avait son siège au même endroit.»

L’idée de ces rencontres revient à une bande d’amoureux de la capitale hongroise réunis autour de Noémi Saly, historienne, spécialiste des cafés et des traditions de la table. «Quand les communistes étaient au pouvoir, explique-t-elle entre deux gorgées de bière, ils trouvaient un peu louches les habitants attachés au patrimoine et à l’architecture.» A l’époque, l’un de ses amis a voulu fonder une association pour la protection de Budapest. «Alors qu’il enregistrait officiellement le nom de son mouvement, le fonctionnaire chargé de relire le dossier a froncé les sourcils: «Protéger Budapest? Comment ça? Est-ce vraiment nécessaire? Et qui la menace, selon vous?» Devant tant de paranoïa, le groupe a adopté le nom d’Association pour l’embellissement de Budapest. Maintenant, évidemment, ils s’appellent comme bon leur semble.»

Les amoureux de la cité sont à l’image de la ville elle-même. Budapest a un penchant pour la fête et les soirées tardives. Budapest aime les histoires drôles et les conversations nouées lors des rencontres de hasard. Budapest demeure hantée par le passé mais elle se projette dans l’avenir. Les pieds sur terre, la tête dans les nuages.

Ah, Budapest! Pourquoi diable les Européens ignorent-ils cette splendeur? Ce n’est pas une ville, Budapest, c’est une thérapie! Comment prétendre au bonheur si l’on n’a jamais goûté les délices d’un chocolat chaud, dès le matin, à l’heure où les rayons du soleil se reflètent sur les moulures dorées du café Gerbeaud? Pourquoi rechercher la sérénité par la méditation ou le yoga quand une heure de trempette dans les eaux thermales des bains Szechenyi, à l’architecture néobaroque, apporte autant de réconfort? A quoi bon s’inscrire dans un club de gym et cesser de fumer quand, à quelques heures d’avion, les Hongrois, heureux dans leur ignorance de la diététique bio, alternent cigarette, rasade d’alcool et somloi galuska (génoise aux noix avec chocolat fondant et crème chantilly)? Pourquoi faire compliqué, en somme, quand la vie, à Budapest, paraît soudain si simple?

Les visiteurs étrangers la comparent souvent à la capitale autrichienne. Quoi de plus naturel? Le Danube, les boulevards circulaires, l’architecture Art nouveau suggèrent une «petite Vienne». Mais la comparaison fait sourire les habitants, qui manifestent à l’égard de leurs voisins un respect poli, certes, mais dénué de la moindre jalousie. «Notre vie culturelle est infiniment plus développée que la leur, s’exclame Tamas Gaspar Miklos, professeur de philosophie et ancien député. Là-bas, je vous l’accorde, il y a un musée des Beaux-Arts magnifique et un Opéra performant. Mais, mon pauvre ami, il y a aussi des Autrichiens!» Il soupire. «Leur vie littéraire… C’est pire que Miskolc! Vous n’avez jamais entendu parler de Miskolc? C’est la deuxième plus grande ville de Hongrie. Une cité industrielle. Normal que vous ne connaissiez pas: il ne s’y passe jamais rien. C’est comme à Vienne!»

A la fin du XIXe siècle, la grande capitale de l’Empire austro-hongrois craignait que sa rivale, Budapest, ne l’éclipse par son dynamisme économique et culturel. Aujourd’hui, c’est chose faite: près de 2 millions de personnes habitent dans la capitale hongroise, et 1,5 million dans sa cousine autrichienne. Depuis la chute du communisme, en 1989, le maire de la ville, Gabor Demszky, a consacré des milliards de forints à la remise à neuf de la cité. Les visiteurs redécouvrent les façades de l’époque des Habsbourg et des dizaines de ruelles sinistres se sont muées en belles rues piétonnes. Locomotive incontestée de l’économie nationale, l’agglomération concentre à elle seule la moitié du produit national brut de la Hongrie. Théâtres, musées, cafés sont légion. Pendant les mois d’été, le festival culturel Sziget réunit près d’un demi-million de personnes sur les pelouses de l’île d’Obuda. «Et puis, la communauté juive de Budapest est la plus importante de toute l’Europe continentale, reprend Tamas Gaspar Miklos. Tandis qu’à Vienne tous les juifs ont disparu. Ce qui explique sans doute pourquoi il y règne la même ambiance que dans une petite ville du Tyrol!» Budapest, capitale culturelle de l’Europe centrale? «Bien sûr! Prague somnole, à l’exception de quelques artistes étrangers de passage. Bratislava, la capitale slovaque, est un chef-lieu de canton; Zagreb, une mauvaise plaisanterie croate. Quant à Ljubljana, en Slovénie, c’est un décor d’opérette! Ne cherchez pas: c’est ici que ça se passe.»

Les touristes déplorent parfois la rudesse des autochtones, leur manque d’élégance et leur brusquerie. L’habitant de Budapest bloque le passage dans l’interminable escalier mécanique du métro. Assis derrière le volant de sa voiture, il semble viser les piétons en appuyant sur l’accélérateur. Dans sa cour d’immeuble, il espionne les allées et venues des étrangers. Surtout, il s’exprime dans une langue impossible, comprise de ses seuls compatriotes. Cela lui permet de proférer des insanités: inutile de jouer les «politiquement corrects» quand on discute entre Magyars. Au champ de courses, l’autre samedi, voici comment un spectateur encourageait un jockey et son cheval: «Gyerünk, rohadt jugoszláv!» («Avance donc, Yougoslave pourri!»).

Tout cela choque, au début. Les coups de coude dans le tramway. Les lèvres pincées des vendeuses. Le racisme primaire à l’égard des Tsiganes… Mais la brutalité des rapports reflète une détermination, une énergie et un élan vitaux. Le long d’Andrassy ut, la plus élégante avenue de Pest, qui s’étend sur près de 3 kilomètres sur la rive gauche du Danube, comme autour de Moszkva ter (place de Moscou), la grande esplanade chaotique de Buda (rive droite) qui marque le terminus de nombreux tramways, il règne sur les trottoirs la vitalité et le dynamisme propres aux grandes villes commerçantes – Marseille, Chicago, Calcutta, Shanghai…

Depuis la chute du Mur, les centres commerciaux ouvrent les uns après les autres, au point que certains adolescents y passent des journées entières. En quelques années, beaucoup de résidents sont devenus propriétaires et, dans les quartiers résidentiels de la banlieue, les boutiques de bricolage sont prises d’assaut chaque week-end. Certes, le niveau de vie moyen n’est pas mirobolant et les retraités grognent contre les effets de l’inflation. Mais l’économie se porte comme un charme et les chômeurs sont rares.

Assise dans son modeste appartement de deux pièces, Maria reconnaît que les fins de mois sont parfois difficiles: «J’élève seule quatre enfants et je cumule deux emplois: femme de ménage et gardienne. Cela me rapporte 160 000 forints [615 euros]. C’est peu. Mon fils aîné chausse du 47 et la moindre paire de baskets revient à 20 000!» A 44 ans, toutefois, et malgré tous les problèmes qu’elle rencontre, Maria se réjouit de l’avènement du capitalisme. Comme l’écrasante majorité de ses compatriotes, elle a voté «oui» lors du référendum sur l’entrée de son pays dans l’Union européenne: «Pour mes enfants et mes futurs petits-enfants.»

Dans la capitale comme dans le reste du pays, les salariés âgés de plus de 40 ans s’adaptent tant bien que mal aux nouvelles réalités, explique Istvan Boros, président de la Chambre de commerce et d’industrie franco-hongroise. Dans l’ensemble, la transition vers le libre marché s’est effectuée sans problème.»

De fait, l’ancien régime était beaucoup plus pragmatique ici que dans les autres «démocraties populaires». Seuls les plus âgés gardent en mémoire l’écrasement de l’insurrection à Budapest par les chars soviétiques, en 1956. La plupart des prisonniers politiques seront amnistiés quelques années plus tard. Après une première série de réformes économiques, à la fin des années 1960, le gouvernement de Janos Kadar encourage, dès 1982, la création de petites entreprises privées. Dans la capitale, les commerces se développent et le centre-ville s’embourgeoise de jour en jour.

C’est l’époque où, entre les tables du Café central, les intellectuels échangeaient des blagues à voix basse: «Quelle est la différence entre le communisme en théorie et le communisme en pratique? En pratique, la théorie ne marche pas.» Beaucoup ont gardé la nostalgie de ces années-là: «Nous passions les vacances d’été sur les plages bulgares et nous achetions du café en Allemagne de l’Est, raconte un médecin. Voyager ne coûtait rien. Les livres étaient meilleurs. Les films aussi. A présent, je me sens plus libre, oui. Mais j’ai l’impression d’être plus seul.»

Pour les moins de 30 ans, en revanche, la «dictature molle» a été vécue comme une abstraction: «Dans mon souvenir, s’esclaffe un interprète, la période communiste est celle où il était difficile de trouver du chocolat Milka!» A 23 ans, une étudiante avoue son ignorance: «Que s’est-il passé en 1989? La chute du Parti communiste? Cela ne m’intéresse pas. Pour moi, l’événement le plus marquant a été la guerre en Yougoslavie.» Récemment arrivée dans la capitale, elle loue avec des copains un appartement dans le centre-ville. Ensemble, ils boivent du thé tibétain et fument des joints en discutant de leur identité sexuelle sur fond de musique Goa Trance. Le 33-tours de Hair, la comédie musicale préférée des babas historiques, trône sur le piano. A Budapest, pour certains jeunes, c’est cool d’être cool…

Qui le leur reprocherait? Le lendemain matin, il faudra bien travailler. Avancer dans son boulot, toujours. En trouver un meilleur. L’abandonner pour un autre, mieux rémunéré. Lui substituer un troisième, plus proche de chez soi… Les sociétés s’arrachent les étudiants les plus doués et les salariés découvrent le stress. Le nombre des crédits à la consommation explose. Plus que jamais, au fur et à mesure que le capitalisme impose sa loi, l’heure est au travail et aux projets d’avenir.

A Budapest, dans un sens, cela a toujours été le cas. Car la métropole, en tant que telle, est une ville nouvelle: sa croissance a été décidée, planifiée et mise en oeuvre, pour l’essentiel, pendant le dernier tiers du XIXe siècle (voir page 86). Par la suite, au fil des bouleversements politiques et économiques du XXe siècle, la cité attire de nombreux migrants. Son importance croît au fur et à mesure que le territoire national se réduit: de nombreux habitants évoquent, au fil des conversations, un parent ou un grand-parent né au-delà des frontières actuelles du pays – en Slovaquie, en Roumanie (Transylvanie), en Serbie-et-Monténégro (Vojvodine)… A l’échelle hongroise, en somme, Budapest est un melting-pot. Et son étendue géographique, équivalant à celle de Londres, renforce cette impression d’un brassage permanent: devenus des nomades urbains, les habitants passent leurs journées dans le métro, les tramways et les autobus. A moins qu’ils ne disposent eux-mêmes d’une voiture, souvent achetée d’occasion à leur entreprise…

«La ville est très étendue, tempère Ivan Fischer, mais c’est un village.» Chef d’orchestre mondialement connu, originaire de la cité, Fischer a grandi dans un appartement situé en face de l’Opéra: «Lorsque j’étais enfant, je chantais parfois dans les choeurs. La maison était si proche que je rentrais dîner pendant l’entracte sans enlever mon costume de scène! C’est typique de Budapest. Les écrivains sont brillants. Les musiciens, excellents. Les peintres et les architectes, fantastiques. Mais c’est un microcosme, et tout le monde se connaît.»

En l’absence d’émulation, la créativité de certains artistes est aléatoire. A l’Opéra, les mises en scène sont d’une grande beauté, certes, mais elles évoquent les productions réalisées il y a vingt ans en Europe de l’Ouest. Dans les salles de concert, magnifiques, aucun interprète de musique classique ne joue d’un instrument ancien, car la «révolution baroque», déjà vieille en France, n’a toujours pas commencé en Hongrie. S’il existe bien une douzaine de théâtres municipaux, enfin, la baisse des subventions provoque la multiplication des pièces de boulevard. Les compagnies les plus créatives sont reléguées dans les «théâtres de poche» et les annexes.

«Les patrons des salles sont les mêmes qu’à l’époque communiste, car le système est inchangé depuis la fin du XIXe siècle: il suffit d’être nommé directeur de théâtre pour mourir directeur de théâtre», soupire Arpad Schilling, metteur en scène et directeur de la compagnie Krétakör, régulièrement applaudie à travers toute l’Europe. «Moi, j’ai 29 ans. Ma troupe tourne chaque année dans les salles étrangères les plus prestigieuses. Comment puis-je comprendre que mon propre pays me refuse les moyens de m’exprimer? A Budapest, dans le domaine culturel, rien n’a changé. Et ma génération porte une part de responsabilité. Nous n’avons pas bousculé les générations précédentes comme elles le méritaient.»

De fait, les Hongrois ont épousé le libre marché et la démocratie sans trop s’interroger sur la période précédente. Le régime communiste n’a pas suscité un large mouvement de dissidence. Mais certains opposants ont été persécutés, jetés en prison ou chassés de leur emploi. Près de quinze ans après la fin du communisme, la réflexion n’a guère commencé sur la responsabilité des uns et des autres. De nombreux anciens cadres de l’administration occupent toujours des postes de responsabilité.

La mort de plus de 500 000 juifs pendant la Seconde Guerre mondiale appelle d’autres questions, pour la plupart restées sans réponse. La restauration de synagogues et l’ouverture d’écoles talmudiques dans l’ancien ghetto de Budapest ne suffisent pas à apaiser la douleur: «En cinquante-six jours, en 1944, le gouvernement fasciste hongrois a déporté 437 000 juifs», rappelle le Dr Andras Daranyi, chargé de la conception du futur musée de l’Holocauste. Plus d’un demi-siècle plus tard, l’introspection n’a guère commencé: «A l’époque communiste, bien sûr, le gouvernement était hostile aux débats de ce genre: les  »prolétaires héroïques » ne pouvaient guère avoir été des fascistes criminels», souligne Janos Gado, rédacteur en chef de Szombat, un mensuel destiné à la communauté juive. «A présent, les Hongrois ne savent que faire de ce passé. Ils se perçoivent comme des victimes des nazis, à l’instar des Polonais. Mais les Polonais, eux, se sont battus contre les Allemands…» Même le prix Nobel de littérature décerné en 2002 à Imre Kertesz, écrivain hongrois d’origine juive, a été accueilli par certains avec une pointe d’agacement. Comme si le jury de Stockholm cherchait querelle au peuple hongrois tout entier. Surgis du passé, à la faveur de la liberté, certains fantômes frappent aux murs…

Confrontés à un monde inédit et sans cesse mouvant, les plus conservateurs se sentent un peu perdus. En plein coeur de Budapest, même, des jeunes réapprennent la culture de leurs grands-parents, comme s’ils souhaitaient retarder des évolutions qu’ils savent inévitables. Dans le sous-sol d’un immeuble, à deux pas du Parlement, une quinzaine de garçons et de filles sont réunis dans un club de danses folkloriques. Vêtus de pantalons en velours ou de robes sages, ils se prennent la main, se saluent et se tapent les cuisses en cadence, sur fond de musique traditionnelle. «Pour la génération de mes parents, explique l’animatrice du groupe, Gyöngyi Hegedus, pratiquer ces danses était une forme de résistance. Une manière d’affirmer l’identité nationale face à l’Internationale communiste, qui ne correspondait à rien. Aujourd’hui, ces mêmes danses marquent notre refus de la mondialisation et de la société de consommation.» Un refus de tout ce que représente la capitale, en somme.

«Je me sens à des années-lumière de ces gens-là, sourit György Ujvari Pinter, un étudiant fraîchement sorti de l’université. Je suis de Budapest, moi! Je me sens plus proche de la musique de Björk ou des Chemical Brothers que des ballets pittoresques des Carpates.»

Ces clubs de danses traditionnelles, les tanchaz, attiraient il y a dix ans de nombreux amateurs. Et puis, peu à peu, le mouvement a été associé de plus en plus à la droite conservatrice. A présent, ils ne font plus recette dans la capitale, résolument de gauche: sur les 23 arrondissements de l’agglomération, seuls 3 votent à droite. En Hongrie, les partis de gauche prônent l’ouverture, tandis que ceux de droite flirtent avec un nationalisme aux accents fascisants.

La guerre des mots entre la gauche et la droite, «cosmopolites pro-Européens» et «nationalistes hongrois», divise les habitants de Budapest comme elle déchire les Hongrois en général. «Cela m’épuise, soupire Laki Laszlo, le jeune patron de Cinetrip, organisateur de raves nocturnes dans les bains publics de la ville. Tous les matins, quand je suis assis dans mon café habituel, il suffit que je lise le journal pour qu’un client m’observe en douce. Une fois sur deux, je me fais engueuler parce que je ne suis pas «du bon bord».»

Dans la jeune démocratie hongroise, même les conseils d’arrondissement deviennent le lieu de querelles sans fin. Pas un domaine n’échappe aux clivages idéologiques. Un établissement scolaire est de gauche ou de droite. Un musée, aussi. Une maison d’édition, pareil. Une activité professionnelle, idem. Même les équipes de football sont, forcément, d’un bord ou de l’autre… En 2001, le rachat, par un homme d’affaires juif, du club Ferencvarosi Torna, «nationaliste et chrétien», a été jugé «contraire à l’intérêt national» par le leader d’un des principaux partis de droite.

«Les leaders politiques sont à côté de la plaque», soupire Benedek Fliegauf. Réalisateur de cinéma, âgé de 29 ans, il est l’auteur de Forest, un long-métrage remarqué au Festival de Berlin. Son père était policier, sa mère lui a fait découvrir Dostoïevski. Son adolescence, il l’a passée à consommer toutes les drogues possibles. A présent, dans un coin de son appartement, il achève le montage d’un nouveau film consacré à un personnage de dealer. «Je suis assis dans un canapé polonais, dit-il, et je porte une paire de jeans américains, des baskets anglaises, une paire de lunettes françaises. A la différence des nationalistes de droite, cette diversité ne me pose aucun problème. Mais je m’interroge sur l’utilité de tout ça. Aujourd’hui, la société exige beaucoup des gens de mon âge. Pour réussir, nous devons être agressifs, fonceurs, durs, en colère. Je devrais travailler du matin au soir dans l’espoir de gagner des milliards. Pendant ce temps-là, mes parents pleurent la douceur des années 1970, quand ils partaient dans leur voiture pétaradante sur les bords du lac Balaton. Au fond, les désillusions de ma génération succèdent à celles des précédentes. Tout a changé très rapidement. A Budapest, surtout, le manège tourne trop vite. Et personne ne sait comment en descendre.»

par Marc Epstein, György Ujvari Pinter


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