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Lettre à sa fille.

publié le 25/09/2006 par Jean-Paul Mari

Patrick Bourrat, grand reporter à TF1, est mort accidentellement au Koweït, écrasé par un char, lors de manoeuvres de l’armée américaine, en décembre 2002. Avant l’invasion en Irak.

Ce n’est pas facile de parler à une jeune fille qui découvre son ciel coupé en deux. La mort d’un être aimé, le deuil, les ruptures et les grandes tragédies nous laissent impuissants. Il n’y a rien à dire, rien à faire. Sinon pleurer tout son saoul pour inonder son chagrin. Tu connais ton père ; les téléspectateurs eux connaissaient le reporter, pas l’homme. Tu vas assister à une avalanche de superlatifs à son sujet. Même par ceux qui le critiquaient la veille. C’est la règle du jeu des médias. Oublie. L’homme, voilà ce qu’il faut retenir. Il est mort comme il a vécu, avec générosité. Lui savait qu’il faut faire attention à un caméraman occupé à filmer des chars Abrahams, sur le champ de tir d’Al -Udaïri au Koweït, dans le nuage de poussière d’un désert. Quand il a pensé que le sien était en danger, il a couru le protéger. C’est lui que le char a renversé. On a cru à des côtes cassées, il avait la rate éclatée et a succombé sur une table d’opération. Premier journaliste mort d’une guerre qui s’annonce imbécile. En Roumanie, où il était allé en 1989 ,- en 22 ans, il a couvert le Liban, la Pologne, les Malouines, l’Afghanistan, Israël, la guere du Golfe et j’en oublie beaucoup -, un autre reporter, Jean-Louis Calderon, est mort écrasé par un char en voulant protéger son caméraman. Lui aussi était quelqu’un de bien. Patrick n’avait pas oublié. Comme il n’a jamais oublié la mort d’Yvan Skopan, son ami, caméraman, qu’il a vu mourir mitraillé sous ses yeux, en octobre 1993, sur la place du parlement à Moscou. Rappelle-toi, il avait même reçu une balle dans le bras. Tu avais huit ans à peine. Quelques années auparavant, il avait été fait prisonnier à Bassorah, en Irak, après avoir failli mourir asphyxié, en 1989, sous les dix tonnes de Coran qui dissimulaient son passage clandestin en Afghanistan. Il en avait gardé une sévère claustrophobie. Tu sais, ce métier, souvent blessant, laisse des cicatrices. Pourtant, regarde -le : il était jeune quand il souriait. Et il souriait souvent, riait d’un rire d’adolescent. Un homme juvénile qui avait besoin de sport, d’aventure et d’espace, pas un simple « Tintin reporter », cliché bien pratique quand on ne sait rien de l’autre. Un homme enthousiaste, fort et fragile, parfois inquiet, en proie aux questions et au doute. Ecartelé entre son métier de garçon, une passion qui le poussait trop souvent loin de sa famille et une jeune fille qu’il adorait. Lors de notre dernier repas, il ne parlait que de toi. De ta mutation, des voyages en Afghanistan, en Corée où il rêvait de t’emmener, de ses absences qu’il se reprochait et des portes qu’il voulait t’aider à ouvrir sur ce monde qu’il aimait tant. Moi, j’ai connu un grand reporter courageux et passionné, un homme généreux, sincère et un père amoureux. Etrangement, tu verras que désormais il sera toujours à tes côtés.

JEAN PAUL MARI


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