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Liban: Journal de bord en images, par Yann Morvan

publié le 02/12/2014 | par Yan Morvan

J’ai quitté Beyrouth en août 1985, après avoir passé près de quatre ans dans d’interminables guerres libanaises qui faisaient l’actualité du moyen-orient. J’y retourne ce lundi 1er décembre, avec comme projet la publication d’un livre à l’horizon 2016 montrant les images d’hier et d’aujourd’hui.


Photo 1 : Hôtel Saint Georges

J’ai quitté Beyrouth en août 1985, après avoir passé près de quatre ans dans d’interminables guerres libanaises qui faisaient l’actualité du moyen-orient. J’y retourne ce lundi 1er décembre, avec comme projet la publication d’un livre montrant les images d’hier et d’aujourd’hui.

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Je m’installe au Palm Beach hôtel dans le quartier des “grands hotels”, détruits dans les années 1975-1976 pendant la guerre entre la milice phalangiste et les combattants palestiniens.

Il ne reste que la carcasse du Saint George plantée dans un décor de gratte-ciels futuristes comme témoin des combats d’autrefois. C’est là aussi que Rafic Harriri le maitre d’œuvre du “ nouveau Beyrouth” a trouvé la mort dans un attentat à la voiture piégée en février 2005…

 

Photo 2

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Encore une journée de “ pèlerinage”. Mes repères de “guerre” ont changé – les empilades de constructions sans goût ont dévastés les vieux quartiers de la ville. Un ode à la société de consommation et au luxe déserté par les riches émirs et leurs affidés en ces temps troublés.

La ville est le lieu d’embouteillages inextricables. La marchandise est partout, sans trouver preneur.

Les buildings sortent de terre pour laisser des milliers de logements vacants trop chers pour les Beyrouthins. La carcasse de l’Holiday Inn domine les chambres du nouveau “ Phoenicia” et les cabines extravagantes des yachts du mini port.

 

Photo 3

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La photo c’est bien quand on peut en faire, mais pour avoir des images différentes ou presque exclusives il faut passer par tout un tas de tracasseries administratives ou d’arrangements discrets – au Liban comme en France, et l’attente peut devenir parfois proprement insupportable.

Dans mon cas, aller au sud Liban et dans la banlieue sud de Beyrouth nécessite l’accord et des “ passes” de l’armée libanaise et du Hezbollah. Ce qui ne va pas toujours de soi surtout sans “ couverture” d’un organe de presse officiel pour rassurer les autorités.

Faire admettre au responsable du ministère de l’information que le but de cette équipée est de produire un livre à l’horizon 2016 ou 2017 est une sinécure.

En attendant et pour utiliser une formule consacrée “ une réponse favorable” j’ai décidé de me mettre à pied d’œuvre dès demain matin sans tambours ni trompettes avec l’énergie et la foi du missionnaire en terre presque Sainte…

 

Photo 4 : Reconstruction…

Il ne reste plus rien du Beyrouth des cartes postales colorées des années 60. Le Beyrouth perle du moyen-Orient est devenu un vaste chantier, un Far-West en plein air alimenté par l’énergie des pétro-dollars.

Sur la ligne verte les boutiques de luxe ont remplacés les immeubles dévastés et les rues étouffées par la végétation envahissante.

Le passage du musée est devenu une autoroute et Sodeco un tourniquet maladroit. Les Beyrouthins toujours aussi sympas, on me propose le café quand on voit déballer ma vieille “ chambre photographique” en bois. Jamal Saidi, le directeur photo de Reuters Beyrouth fait son possible pour m’obtenir un passe du Hezbollah.

Pour l’armée il faudra attendre, Six jeunes militaires ont trouvé la mort hier près de Baalbeck lors d’un guet-apens monté par “Daech”.

Je pars demain pour Tyr, on ne peut pas aller plus loin, la route est coupée.

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Photo 5

J’avais très envie de revoir la ville de Tyr. Arrivé début juin 1982 dans les bagages de l’armée israélienne lors de l’opération “ Paix en Galilée ».
Je me souvenais des flots de réfugiés palestiniens qui fuyaient la ville, des colonnes de prisonniers enchainés et gardés par les soldats de Tsahal, du matériel d’armement soviétique encore neuf s’entassant sur les quais du port. Des habitations détruites dont le béton coulait sur la chaussée.

C’est une ville neuve que j’ai retrouvé.
Les séquelles de la guerre sont toujours présentes, mais elles ont pris la forme de “check-point” de l’armée libanaise bons enfants, d’affiches des martyrs d’Amal affichés au coin des rues ou de véhicules blindés des Nations-Unis patrouillant paisiblement.

Un peu plus loin, on ne peut franchir le fleuve Litani, Israël est à 18 kms. C’est la zone tampon.

 

Photo 6

C’était en septembre 1983. J’étais le photographe “permanent “ au Liban de l’hebdomadaire américain “ Newsweek”. Les marines occupaient l’aéroport de Beyrouth et s’essayaient à la diplomatie moyen-orientale avec les succès que l’on sait…

Les Druzes voulaient s’emparer de la ville de Soukh el Gharb (défendu par l’armée libanaise du général Aoun) dominant l’aéroport et le “bureau chief” s’obstinait à m’y envoyer quotidiennement.

Mon chauffeur Ali Mehdi refusait d’y aller, il fallait emprunter un chemin à découvert d’au moins deux kilomètres pris régulièrement sous le feu des mortiers.

Un genre de course contre la mort et je me surpris de faire mon signe de croix avant d’attaquer le terrifiant raidillon. Sur place les bombardements étaient intenses et les blessés arrivaient sans cesse.

Les rumeurs les plus folles couraient, les Druzes auraient attaqué la nuit à la hache et massacre toute une compagnie !

Après trois voyages je refusais d’y retourner. Aucune de mes photos ne fut publiée.

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Photo 7

Certains pays ont trop de mémoire, d’autres aucune… Le Liban appartient à la deuxième catégorie. Des guerres des presque quarante dernières années qui se son passées sur son sol, il ne reste rien, pas même un monument, une tombe, un signe ou un épitaphe. De la Quarantaine ou de Tall el Zaatar, de Damour, massacres perpétués pendant la guerre civile 75-76 même les habitants des lieu n’ont pas souvenance.
Ils vous regardent droit dans les yeux, éberlués comme s’ils avaient affaire à des habitants d’autres planètes et vous disent : “ oh, c’est très loin”… et pour trouver les endroits, n’en parlons pas…

Comme si tout ça n’avait pas existé, rayé de la carte, la mémoire éradiquée. Peut-être le privilège de peuples jeunes et vigoureux, pas fatigués de s’entretuer…

Il y a des lieux, des monuments, qui parfois entretiennent l’esprit de revanche, d’un peuple contre un autre peuple ou bien saluent hypocritement son éradication, ici on pratique la politique de l’oubli, après tout les amis d’hier peuvent devenir les ennemis d’aujourd’hui et vice et versa.

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Photo 8

L’argent du pétrole n’achète pas tout. Ni la culture, ni le bon gout. Le centre de Beyrouth reconstruit par les mannes pétrolières du “regretté” Rafic Hariri, homme lige du prince d’Arabie Saoudite au Liban, est un triste bazar dévolu aux marques de luxe mondiales.

Dans cet espace réduit, de la baie du St Georges à l’ancienne place des canons, la photo est interdite, peut-être pour ne pas montrer les boutiques et les “shopping center “vides de clients.

Les rares promeneurs sont les agents de service de sécurité qui chassent les automobiles et observent les passants aux allures trop décalés. Parfois une Maserati, une Porsche s’arrête pour laisser descendre une créature de magazine.

Si on lève les yeux des grues s’agitent partout autour fabriquant des tours de verre sans occupants.
Sur les ruines de la guerre on a construit un monde vide, la marée de l’or noir a recouvert les âmes des défunts d’un linceul de richesses et d’illusions.

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Photo 9

Je n’aime pas faire du blabla, mais ce soir au retour du Chouf je n’ai pas grand chose à raconter. J’étais très énervé hier que les sbires de feu Hariri m’aient interdit de faire des images dans la rue… Espace public ! je décide donc de m’aérer la tête et de prendre la direction du Chouf : Aleey, Bhamdoun, Beit ed Dine, Deir el kamar…

C’est un des grands privilèges de ce métier, et peut-être maintenant le seul, de ressentir ce vent de liberté et de sérénité – se laisser aller à la rencontre de l’inconnu, de la différence, prendre un café chez les Druzes, un mezé chez les Maronites.

Sentir la diversité, loin du monde aseptisé et monotone des marchands du centre ville ! Plutôt le bordel anarchique du paysage libanais que la froide médiocrité des lotissements de chez nous.

Demain je vais faire une présentation de mon travail à “l’université du Saint Esprit de Kaslik”, Maronite… Et j’attends toujours l’autorisation du Hezbollah pour filer vers le Sud… C’est ça le Liban.

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Photo 10

Liban 2014

Un peu de calme aujourd’hui – photographier les ruines du château des croisés de Byblos – On annonce de la tempête et de la neige pour vendredi.

Ça a l’air de bouger un peu sur le front du Hezbollah, ils m’ont demandé mon passeport et ma carte de presse ( j’en ai plus depuis …) – J’ai animé une après-midi à l’Université de Beyrouth Kaslik devant des étudiants étonnés d’apprendre que leur pays avait connu la guerre – j’ai pas eu l’air c…

– Bon je leur ai montré la pub des cuirs Chevignon ( c’est moi qui l’ai faite), ils ont applaudi ! c’est bien ils sont optimistes. Ce soir je dine avec Sammy Ketz, vous le connaissez tous, le bureau chief AFP proche-Orient.

Il parait que Patrick Baz est à Beyrouth – Le Liban c’est aussi ça ; des mondanités et des gens qu’on ne verrait pas à Paris.
Allez je raccroche, il faut que j’aille liker sur FaceBook. Kiss.

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Photo 11

 

Il faut à tout prix s’échapper de Beyrouth. Je m’invite à Moukhtara , le fief de Walid Joumblatt, qui n’est pas là.

Direction l’air pur des cèdres du Chouf sur le Mont Liban à 1800m d’altitude.

C’est sur la route de Kefraya ; le paradis du bon vin et de l’Arak dans la vallée de la Bekaa. Enfin on respire; le garde champêtre qui m’indique un cèdre vieux de 3000 ans m’encourage à prendre le “chemin de Damas” ! on est à 50kms de la frontière Syrienne, “No problem” dit-il…

Juste 30 kms avant la capitale Syrienne, mais je me fais vieux, peureux et fatigué et décide de remettre ça à plus tard.

Retour dans l’atmosphère empoisonnée de la capitale libanaise. Comme un rêve de gosse je monte dans la fameuse grande roue de Raouché, celle dont la photo avec de l’explosion d’un obus phosphorescent à sa base avait “boosté” ma carrière chez les américains de “Newsweek” en 1982.

Déception, elle a été déplacée, installée dans un centre de jeu pour enfants à quelques centaines de mètres de son lieu d’origine. Mais elle continue de tourner, la roue… et c’est ça le principal.

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Photo 12

 

Une journée pour rien… Je me fais arrêter à la cite sportive par l’armée libanaise qui m’interdit de photographier. Apparemment les gars de “ Daech “ sont partout, mélangés à la foule des réfugiés Syriens et prêt à déclencher leur ceinture d’explosifs sur les centres vitaux du pays ! alors pas de cite sportive…

Je comprends… Je tente Hamra pour faire du change, j’en profite pour retourner voir le

“ Commodore” , l’hôtel des correspondants de guerre, j’ai gardé en souvenir la clé de ma chambre de 1982, la 214.
Je ne reconnais plus rien, on se croirait dans une brasserie Flo, tiens, il n’ont pas touché à la piscine.

Il pleut. 14H30, déjà plus de lumière. Le “service de presse” du Hezbollah ne m’a pas recontacté ; Ils ont dit deux jours. Je retourne à l’hôtel. Il faut attendre.

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Photo 13

Liban 2014 – Un journal de bord. ( fin )

I WILL BE BACK !

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Fin du voyage

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