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Libye: les imams et Sarkozy contre les marabouts et les tanks de Kadhafi

publié le 23/08/2011 | par Jean-Pierre Campagne

Par Jean-Pierre CAMPAGNE de l’AFP

« Au début, les marabouts de Kadhafi déjouaient nos attaques avec leur magie. Chaque fois que nous lancions une offensive, une tempête de sable se levait pour nous aveugler », explique Aboubacar Tobji, un rebelle libyen d’Ajdabiya.

L’insurgé à l’air fatigué poursuit: « quand nos imams ont commencé à réciter le Coran sur le front, les sortilèges des marabouts ont cessé ».
Il reçoit dans une modeste maison d’Ajdabiya, dans l’est de la Libye, à quelque 40 km du front, sur la route de Brega, cité pétrolière que la rébellion tente en vain de conquérir depuis des semaines.

« Ce n’est pas ma maison. La mienne, explique-t-il, située à la sortie est d’Ajdabiya, a été détruite par un tir de tank. J’occupe cette maison où logeait un membre des Conseils révolutionnaires de Kadhafi ».
Dans le salon, un très vieil écran d’ordinateur est entouré d’un drapeau français poussiéreux. Des mouches tentent de boire le café offert aux visiteurs.
« En renfort des imams, Sarkozy est intervenu, maintenant tout va bien ». Il sourit, lève un pouce.

Aboubacar, la cinquantaine, vêtu d’un uniforme de combat, AK 47 dans un coin du tapis, ne dit jamais « l’Otan » quand il parle des avions ou des hélicoptères de l’organisation qui pilonnent régulièrement les forces du leader contesté Mouammar Kadhafi sur la ligne de front.
Il dit: « Sarkozy a détruit hier trois pick-up des Kadhafi qui avaient déjoué notre surveillance et s’étaient infiltrés jusqu’après Ajdabiya, sur la route de Benghazi ».

Cet ancien militaire de l’armée de Kadhafi a participé à la campagne du régime qui voulait s’emparer du Tchad voisin dans les années 1980. La France était intervenue militairement pour l’empêcher de prendre N’Djamena.

« J’y suis resté trois ans, de 1983 à 1985, c’est là que j’ai attrapé mes cheveux blancs ».
Il n’en veut nullement aux Français et surtout pas au président Nicolas « Sarkozy » qui aide la rébellion à se maintenir sur le front avec ses sorties aériennes. Le 19 mars, elles ont bloqué net les tanks de Kadhafi qui allaient s’emparer de Benghazi, la « capitale » des rebelles à 160 km au nord d’Ajdabiya.

« Sarkozy arrive à frapper un tank dans une rue, sans abîmer les maisons ». Il lève à nouveau le pouce.
Un autre rebelle au béret rouge, Saad Boitara, « le meilleur tireur de roquettes », selon Aboubacar, demande: « Est-ce que les avions de Sarkozy ont des pilotes? ».

En 1987, Kadhafi a décidé de supprimer l’armée nationale et de créer ses Comités révolutionnaires. Aboubacar s’est retrouvé sans emploi. Depuis, il « faisait chauffeur de taxi, trouvait des petits boulots », pour nourrir sa famille de 8 enfants.

Depuis quatre mois, la rébellion l’occupe à plein temps, il est en charge de la sécurité de la ville, des livraisons de matériel au front.
Il dit que l’un des colonels réputés de la rébellion, Khalifa Aftar, a donné 72 heures aux forces de Kadhafi pour évacuer Brega, « sinon on les attaque d’un coup, on détruit tout ».
Un autre rebelle le contredit: « Ce n’est pas nous qui décidons, c’est l’Otan ».

Sur le dernier check-point, à cinq kilomètres à l’ouest de la ville, beaucoup de va-et-vient de véhicules de la rébellion, montés de mitrailleuses. L’heure de la relève.
Un pick-up chargé de moutons tente de passer, en vain. Personne ne peut passer, hors les rebelles.

Aboubacar a bien écrit une lettre au nom du Conseil national de transition, la direction politique des rebelles, dûment tamponnée, pour permettre aux journalistes de franchir le barrage. Il la fait lire deux fois au chef qui tient le check-point. Rien à faire.

jpc/sbh


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