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Mali: Le verrou de Kidal

publié le 23/06/2013 | par Jean-Paul Mari

Au Mali, la prochaine élection présidentielle doit entériner
le rétablissement de la démocratie. A condition qu’elle puisse aussi se tenir au cœur du pays touareg


Tout se joue à Kidal. Au cœur du désert, du pays touareg, de l’Azawad. C’est ici que les révoltes ont commencé. Ici, du temps de sa suprématie, régnait Iyad Ag Ghali, chef de la puissante tribu des Ifoghas, tenant de la noblesse d’épée.

Et Mohamed Ag Intallah, l’autorité spirituelle de tous les Touaregs, la noblesse de robe, en est l’âme. Après la déroute d’Ansar Dine et la défaite d’Aqmi, c’est encore dans cette bourgade au milieu des cailloux que s’est installé le MNLA rebelle. C’est bien de cette ville, à 1 542 kilomètres de la capitale du Mali, que les Touaregs veulent faire leur capitale de sable, et c’est aussi cette « préfecture » insoumise du nord du Mali que Bamako veut réduire pour la réintégrer dans le cadre strict de l’Etat.

De quoi discutent à Ouagadougou les représentants du Mali, du MNLA, du HCUA (Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad), du Burkina Faso, le médiateur de l’UE, des diplomates et des conseillers ? De l’élection présidentielle au Mali, conditionnée par la situation sécuritaire et… l’ouverture des bureaux de vote à Kidal. Un tas de cailloux, peut-être, mais transformé en pierre angulaire d’une solution politique au nord du Mali. Tout s’est toujours joué à Kidal.

D’un côté, les Touaregs. MNLA, HCUA, pour une part ex-Mouvement islamique de l’Azawad (MIA) ou ex-Ansar Dine… peu importe le nom. Ils se sont révoltés contre l’Etat malien, très dur à la répression et peu enclin à développer ce royaume de sable. Ils ont pris les armes, ont balayé l’armée de Bamako et refusent toujours son retour. Ils ont cru à l’indépendance, mais leur chef de guerre, Iyad Ag Ghali, envouté par les sirènes salafistes, a lancé son peuple dans une équipée sauvage vers le sud, une folle aventure qui a provoqué l’intervention française et jeté le discrédit sur des Touaregs qualifiés désormais avec méfiance de « groupes armés ».
De l’autre, les Maliens du Sud.

Une armée humiliée par la défaite, des ex-putschistes du capitaine Sanogo aux accents nationalistes, un Etat sans tête qui aurait explosé sans l’intervention française, et une classe politique hérissée par le seul nom d’Azawad, qui ne comprend pas pourquoi les Français ne l’aident
pas à écraser les nomades du Nord.

Enfin, la France. Elle sait que la paix et la stabilité au Mali passent d’abord par un règlement du problème touareg, qui implique la prise en compte des revendications à l’origine de la révolte. Elle sait aussi que l’armée malienne a une longue tradition de brutalités et que son retour à Kidal sans accord préalable peut provoquer une nouvelle explosion de la région.

Au point que les Français, qui vivent dans la hantise de nouvelles bavures, filment les prisonniers qu’ils remettent aux autorités maliennes ! Jusqu’ici, Paris a tout fait pour empêcher que les militaires revanchards de Bamako ne s’attaquent à Kidal. Mais, prise dans la logique du respect des Etats et des frontières, la France pousse au retour d’un pouvoir légitime, donc élu par tous les Maliens, sur tout le territoire, y compris à Kidal.
Alors on négocie en urgence à
Ouagadougou.

Dans un avant-projet d’accord-cadre, les Touaregs proposaient un avant et un après-élection. Dans un premier temps, les Maliens restaient à l’écart, et les soldats de l’ONU, la Minusma, avec ceux de la France, assuraient la sécurité du scrutin. Dans un second temps, on mettait en place une commission de négociation entre Bamako et Kidal sur l’avenir et le statut politique… de l’Azawad. Bamako s’est aussitôt raidi, et ses troupes ont attaqué Anefis, une ville située à 100 kilomètres de Kidal, histoire de faire pression sur les négociations.

Et, en coulisses, les diplomates ont tout fait pour convaincre les Touaregs d’accepter le principe de réalité. Le nouvel accord prévoit donc le « cantonnement des éléments touaregs » et un retour de l’armée et de l’administration d’Etat. Un point pour Bamako. Mais seulement un « retour progressif et graduel » des militaires maliens, « encadrés », donc surveillés, par les forces françaises pour éviter d’éventuelles exactions. Un point pour les Touaregs. Avec une commission mixte de sécurité – Maliens, MNLA, Minusma, médiateur – pour éviter les frictions. Reste le terme controversé d’« Azawad », chiffon rouge pour les nationalistes de Bamako, mais véritable étendard des Touaregs de Kidal. Encore une fois, tout va se jouer à Kidal.

JEAN-PAUL MARI


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