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« Migrants : les vérités désagréables » par Laurent Joffrin

publié le 30/10/2015 | par Jean-Paul Mari

Jean-Paul Mari nous fait vivre l’Odyssée des migrants venus d’Afghanistan, d’Irak ou d’Afrique en évitant tous les pièges du «politiquement correct».


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Ce livre dérangera tout le monde : voilà pourquoi tout le monde doit le lire. Jean-Paul Mari roule sa bosse depuis de longues années sur les théâtres de guerre, d’Irak au Liberia, du Rwanda à l’Afghanistan. Cette fois, il s’est passionné pour une autre guerre, économique et démographique, celle qui transforme la Méditerranée – Mare Nostrum – en piège ensoleillé pour des centaines de milliers de migrants et, au bout du compte, en cimetière marin. Ecrivain au long cours, Mari est remonté jusqu’au bout des filières, il a parcouru la route qui relie le village afghan, le faubourg africain, au bidonville grec ou à la jungle de Calais. Il a fait de chacun des migrants, dont il raconte l’histoire, le personnage d’un roman vrai, qu’on voit vivre, souffrir et parfois mourir, comme dans une intrigue dont il serait le héros.

Zachiel, Robiel, Tarek ou Mohammed, tous ont une histoire unique, singulière, à nulle autre pareille. Si bien que le procédé littéraire – faire vivre et parler au jour le jour ceux qui sont en général des visages anonymes sur des écrans de télévision, perdus au milieu d’une foule entassée sur un bateau ou courant vers une frontière – donne à celui qu’on appelle migrant, un mot froid, toute sa chaleur humaine. Zachiel était imam, il prêchait un islam de paix en Afghanistan. Pourchassé par trois talibans tueurs, il s’évade avec sa famille pour un voyage qui est un film d’aventures, haletant et tragique. Même saga pour l’Erythréen qui fuit un régime orwellien et sanglant, ou pour le footballeur africain qui rêve seulement d’un avenir dans son sport, dont le motif paraît plus mince, mais qui prend des risques aussi grands. Restitué d’une plume à la fois classique et riche, chaque migrant est un monde qui reflète la tragédie du monde.

Ainsi, ceux qui disent sans y réfléchir «nous n’en voulons pas, un point c’est tout !» doivent soudain entrer dans leur intimité, dans leur vérité, quitter les clichés dispensés par les prophètes de l’intolérance. A moins d’être dénué d’humanité, le lecteur le plus prévenu comprend l’incroyable ténacité, l’indomptable audace qui anime des hommes et ces femmes quand ils s’embarquent sur une pirogue étroite ou sur un cargo dangereux pour une traversée qui est comme une épreuve de roulette russe. Hormis des murs hermétiquement clos, hauts et longs, hérissés de barbelés et coupés de miradors, comme celui de Ceuta ou bientôt celui de Hongrie, rien n’arrêtera ces évadés de l’enfer. L’immigration est l’indissociable corollaire de la mondialisation. On n’échappera pas, en Europe, à ceux qui s’échappent d’un destin désespérant.

Mais Mari n’a rien d’un Bisounours de l’immigration. Les migrants sont une part de l’humanité. Comme elle, ils ont leurs duretés et leurs égoïsmes. Sur un bateau ballotté par les vagues au sud de Lampedusa, ceux qui ont payé le prix fort sont sur le pont, les autres, à fond de cale. Quand le gaz d’échappement se répand dans les fonds à cause d’un moteur vétuste, ceux d’en bas veulent remonter à l’air libre. Craignant le chavirage, ceux d’en haut ferment l’écoutille ou bien poignardent et jettent à la mer les récalcitrants de l’asphyxie. Cent quarante migrants assassinés par leurs compagnons d’infortune.

Dans le Sinaï, les Bédouins misérables enferment les réfugiés misérables dans des chambres de tortures pour rançonner leur famille en Europe. Pour faire pression, ils appellent les parents sur des téléphones mobiles et leur font entendre les cris insoutenables des fils et des filles qu’on charcute ou qu’on viole.

Aux avocats de l’ouverture indistincte des frontières, l’auteur décrit Athènes submergé par quelque 700 000 migrants venus de l’est et du sud, ces quartiers entiers transformés en cloaques dangereux, cette administration qui n’en peut plus, cette population exaspérée, ces classes riches ou moyennes qui fuient pour laisser les pauvres entre eux, ce parti néonazi qui progresse en raison du nombre d’immigrés qui arrivent. La fermeture des frontières est inhumaine et illusoire. Leur ouverture à tous vents irresponsable et nuisible. On comprend que pour maîtriser cette question, les sentiments, bons ou mauvais, ne suffisent pas. Il y faut une politique. Décidément, cette lecture déplaira à tout le monde.

Laurent Joffrin

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