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Mineurs: le cynisme des sites pornos

publié le 07/06/2025 par grands-reporters

Pornhub, YouPorn et RedTube, du groupe Aylo, sont trois des plus grands sites pornographiques en ligne au monde. Les mineurs constituent 12 % de leur audience. Une manne ! Le gouvernement veut y mettre fin. Les sites font le blocus

Face à la loi française sur l’âge : bras de fer et écran noir

Lorsque la France a durci sa loi pour « sécuriser l’espace numérique » ( le groupe Aylo, ex-MindGeek, s’est retrouvé au pied du mur. Dès mars 2025, un arrêté interministériel a obligé tous les sites porno établis dans l’UE, dont Pornhub et YouPorn, à déployer en trois mois un véritable contrôle de l’âge sous peine de blocage.

Pour les dirigeants d’Aylo, cette exigence a sonné comme un ultimatum inacceptable. Côté face, le groupe affirme soutenir le principe de la protection des mineurs ; côté pile, il conteste vigoureusement les modalités prévues par le gouvernement français. Juridiques, techniques, économiques, politiques : tous les arguments sont avancés pour dénoncer un dispositif jugé intenable. Dès mars 2025, Aylo annonce vouloir contester en justice la nouvelle obligation. Ses avocats envisagent alors un recours, possiblement jusqu’au Conseil d’État, arguant que la France outrepasse le droit européen.


Au nom de la liberté des utilisateurs…

Parallèlement, le discours public d’Aylo va se focaliser sur la vie privée et la sécurité des données. Le groupe refuse d’imposer à ses utilisateurs des vérifications intrusives (fournir une pièce d’identité, une carte bancaire ou utiliser un tiers certificateur), y voyant un risque majeur de surveillance et de fuites. « Aylo préfère suspendre ses services en France […] plutôt que de compromettre la vie privée de ses utilisateurs », résume un communiqué de l’entreprise début juin 2025. Rien moins…

Les dirigeants d’Aylo avancent aussi un argument pragmatique : imposer un contrôle strict sur leurs sites pousserait les adolescents vers des contenus plus opaques et incontrôlables (sites illégaux, darknet), faute de pouvoir accéder aux plateformes modérées du groupe. Bref, le gouvernement… « met en danger la vie privée de tout le monde et expose les enfants à des risques » en imposant son système, accuse Aylo. Le groupe plaide pour des solutions alternatives plus globales. Solomon Friedman, en chef de file, propose ainsi de déléguer la vérification de l’âge aux éditeurs de systèmes d’exploitation (Apple, Google…), qui pourraient intégrer un contrôle parental natif sur les appareils.

Malgré ces protestations, la France campe sur sa position. L’Arcom, dotée de pouvoirs renforcés, met en demeure Aylo de se conformer, tandis que les ministres martèlent que « protéger les mineurs en ligne est une priorité absolue ».

Plutôt se saborder qu’obéir à la loi

Le 4 juin 2025, à quelques jours de l’échéance, le couperet tombe : plutôt que de céder, Aylo met sa menace à exécution. Dans l’après-midi, les internautes français découvrent un écran explicatif à la place de Pornhub, YouPorn et RedTube : « Nous suspendons l’accès à notre site en France », annonce le message affiché sur ces plateformes. Par cette décision inédite, Aylo se retire purement et simplement du marché français – du moins tant qu’aucune solution de vérification d’âge « acceptable » ne sera trouvée.

Pour l’Arcom, c’est une victoire en demi-teinte : les sites incriminés ne sont plus accessibles « à partir du 4 juin 2025 », le groupe Aylo refusant de se soumettre à la loi. Le gouvernement, lui, salue ce départ d’un ton bravache (« tant mieux ! », a tweeté la ministre Aurore Bergé), affirmant qu’il y aura « moins de contenus dégradants accessibles aux mineurs ». La bataille du contrôle d’âge s’est donc soldée par un bras de fer sans compromis : « Si Aylo préfère sortir de France que d’appliquer notre loi, libre à eux », a conclu la ministre du Numérique, actant le divorce consommé.


Qui sont les visages de l’ombre de l’empire Pornhub?

Aylo – connu jusqu’en 2023 sous le nom de MindGeek – est un conglomérat canadien qui domine l’industrie pornographique en ligne. Basé historiquement à Montréal et au Luxembourg, le groupe contrôle notamment les sites Pornhub, YouPorn et RedTube. Longtemps, ses dirigeants sont restés très discrets. Aujourd’hui pourtant, les figures clés d’Aylo sortent de l’ombre.

Solomon Friedman : du rabbinat à la tête de Pornhub

Solomon Friedman est la nouvelle figure de proue d’Aylo. À 39 ans environ, ce Canadien au parcours atypique est un ancien rabbin ordonné en 2005, devenu ensuite avocat pénaliste réputé à Ottawa. En 2023, il cofonde le fonds Ethical Capital Partners (ECP) et rachète MindGeek/Aylo, s’installant ainsi à la tête de l’un des plus grands groupes pornographiques du monde. Ce juriste, connu pour ses arguments innovants et son franc-parler, s’est donné pour mission de « nettoyer » l’image de l’entreprise.

Il clame haut et fort ne pas vouloir de mineurs sur ses plateformes, mais fustige la méthode de vérification d’âge « imposée par la France ». Plus médiatique que ses prédécesseurs, il a multiplié interviews et déplacements tout en menant un bras de fer international sur la question (les sites du groupe sont déjà bloqués dans 17 États américains, et l’UE enquête sur Pornhub pour la même raison).

Feras Antoon : le bâtisseur de l’empire Pornhub

Figure centrale de l’ascension de MindGeek, Feras Antoon en est le cofondateur historique. Né en Syrie en 1975 puis immigré au Québec, cet ingénieur diplômé de Concordia a commencé dans les années 2000 en co-créant Brazzers, un site spécialisé dans le porno « MILF ».

Avec d’autres associés de Montréal, il développe un réseau de sites pour adultes (YouPorn, etc.), revendu en 2012 à Fabian Thylmann. Lorsque Thylmann est rattrapé par des ennuis judiciaires, Antoon rachète l’ensemble en 2013 avec David Tassillo et rebaptise la société MindGeek. Dès lors, Feras Antoon devient le PDG de ce « pornopole » basé à Montréal – un géant attirant près de 115 millions de visiteurs par jour.

Surnommé le « Roi du porno » par la presse canadienne, il a pourtant cultivé la plus grande discrétion. Il sort de son silence contraint et forcé en 2021-2022, après un scandale retentissant : Pornhub est accusé d’héberger des vidéos illégales (violences sur mineurs, contenus non-consentis). Antoon lui-même est visé par des plaintes et même des menaces : sa luxueuse villa de Montréal est incendiée en avril 2021. Ébranlé par ces affaires, Feras Antoon a quitté ses fonctions de CEO en 2022.

Fabian Thylmann: l’homme qui a industrialisé le porno en ligne

Fabian Thylmann est un entrepreneur allemand né en 1978, principalement connu pour avoir été à la tête de Manwin, devenu plus tard MindGeek, un empire de l’industrie pornographique en ligne.

Il a acquis ou contrôlé plusieurs des plus grands sites pour adultes au monde, notamment Pornhub, YouPorn et Brazzers. Son modèle économique reposait sur l’agrégation massive de contenus, souvent gratuits, soutenus par la publicité et les données utilisateurs.

Thylmann a quitté MindGeek en 2013 après avoir vendu ses parts, invoquant des raisons personnelles. Il a également été impliqué dans des enquêtes fiscales en Allemagne. Depuis, il s’est retiré du secteur pornographique et s’est investi dans d’autres projets entrepreneuriaux, notamment dans la tech et la restauration. Personnage discret mais influent, il a profondément transformé l’économie du porno sur Internet.

David Tassillo : l’éminence grise de MindGeek

Bras droit d’Antoon pendant plus d’une décennie, David Tassillo est l’autre cofondateur de l’empire MindGeek. Originaire lui aussi de Montréal, Tassillo a longtemps opéré dans l’ombre. En tant que directeur opérationnel (COO), il supervisait les activités quotidiennes et la logistique d’un groupe tentaculaire employant jusqu’à 1200 personnes dans le monde. Peu d’informations personnelles filtrent à son sujet : Tassillo évite la presse et n’apparaît que rarement en public.Lui aussi a quitté la gestion courante en juin 2022, en même temps qu’Antoon, tout en conservant une part au capital jusqu’à la vente à ECP. Tassillo représente bien ces « pornocrates » nouvelle génération : des entrepreneurs du web qui ont révolutionné la diffusion de la pornographie en ligne tout en restant largement anonymes.

Bernd Bergmair : l’actionnaire fantôme autrichien

Autant Solomon Friedman incarne la nouvelle vitrine d’Aylo, autant Bernd Bergmair symbolise l’opacité passée du groupe. Né en 1968 en Autriche, cet ancien banquier d’affaires (passé par Goldman Sachs) est le grand investisseur caché derrière MindGeek. Bergmair fait fortune dans les années 2000 en acquérant le site RedTube, qu’il revend à MindGeek en 2013. Par la suite, il demeure dans l’ombre tout en prenant discrètement le contrôle capitalistique du groupe. En décembre 2020, une enquête du Financial Times révèle qu’un mystérieux « Bernard Bergemar » – pseudonyme de Bergmair – est en réalité l’actionnaire principal de MindGeek. Son nom n’apparaît dans aucun organigramme officiel, mais il serait le bénéficiaire ultime de plus de la moitié des parts via un réseau complexe de filiales offshore. La révélation de son identité a fait scandale et entraîné l’audition des dirigeants de Pornhub par une commission parlementaire au Canada début 2021. Très peu d’images de Bernd Bergmair circulent et celui-ci n’a jamais parlé publiquement de ses investissements dans le X. Il vivrait entre Londres et l’Autriche, menant grand train sans jamais associer son visage à Pornhub.

Des relais français très discrets

Officiellement, Aylo n’a jamais affiché de direction française dans son organigramme. Jusqu’en 2023, MindGeek/Aylo était domicilié dans l’UE via des entités au Luxembourg puis à Chypre – pays où se situe son siège européen. Cela lui a permis de revendiquer le bénéfice du pays d’origine (c’est-à-dire d’arguer que seul le droit du pays du siège s’applique) afin de contester la juridiction française, à l’instar d’autres sites installés hors de France. Ce profil bas s’explique par une stratégie juridique : en restant hors de portée directe des autorités françaises, Aylo a longtemps pu esquiver les contraintes imposées sur le territoire.


Encadré

Les mineurs, une importante source de profits 


Pornhub
En France, les mineurs représentent une part significative de l’audience des sites pornographiques. Selon une étude de l’Arcom publiée en mai 2023, environ 12 % de l’audience de ces sites est constituée de mineurs. Chaque mois, 2,3 millions de mineurs consultent des sites pornographiques, un chiffre en augmentation de 36 % entre 2017 et 2022.

Accès précoce et massif
L’accès à la pornographie commence dès le plus jeune âge :
• 21 % des garçons de 10-11 ans consultent des sites pornographiques au moins une fois par mois.
• Ce taux grimpe à 51 % chez les 12-13 ans, 59 % chez les 14-15 ans, et atteint 65 % chez les 16-17 ans.

Les filles sont également concernées, bien que dans une moindre mesure :
• 31 % des filles de 12-13 ans consultent des sites pornographiques, un chiffre qui diminue avec l’âge.

Consommation quotidienne
Environ 500 000 mineurs consultent des sites pornographiques chaque jour, soit 8 % des moins de 18 ans. Cette consommation se fait majoritairement via des smartphones, souvent en dehors du regard parental.

Sites les plus fréquentés
Parmi les sites les plus visités par les mineurs, Pornhub arrive en tête avec 1,4 million de visiteurs mineurs chaque mois, représentant 17 % de son audience totale.


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