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Nouvelle-Calédonie: quelques clés pour comprendre.

publié le 14/12/2017 | par Patrick Mesner

L’intention

En 2018, «l’Accord de Nouméa» arrive à échéance. Les calédoniens
doivent se prononcer sur leur avenir. Indépendance ou rester dans
l’ensemble français.

Le travail que nous présentons est l’aboutissement de vingt années
d’immersion en Nouvelle Calédonie afin de donner à voir pour comprendre
le peuplement de ce petit bout de terre française éloigné de 25 000
kilomètres de la Métropole; son identité, son originalité.

Nous nous
sommes installés dans l’archipel (1996/2001) pour la fin des «Accords de
Matignon» et «l’Accord de Nouméa» afin d’en bien saisir le climat. Un
premier volet «Kanak-portrait de groupe» fut présenté entre 2000 et
2012 dans plusieurs musées français, Outre-Mer et festivals à commencer
par le Centre Culturel Tjibaou de Nouméa, puis en large diffusion dans la
presse internationale.

Première immersion dans les tribus à raconter le
quotidien des mélanésiens. Nous avons ensuite mis notre projet en sommeil
car traiter de l’histoire du bagne restait tabou dans nombre de familles
calédoniennes malgré nos premières prises de vues. Puis nous avons
repris contact, ces dernières années, afin de préparer un nouveau voyage
vers la Nouvelle Calédonie.

Le second volet de notre enquête porte sur
des rencontres avec les personnes concernées par le passé de la colonie
et du bagne. Avec celles qui nous ont accordé leur confiance, nous avons
pu revisiter l’histoire mouvementée de cette terre de souffrance. Nos
portraits et photographies de leur vie quotidienne s’étalent de 1996 à
2016. Quelques personnes sont décédées depuis mais elles restent acteurs
posthumes de cette aventure humaine.

Point de départ, un certain monsieur Luigi PALADINI, italo/corse de
Cargèse qui se trouvait à bord de la frégate «IPHYGENIE» – premier
convoi de bagnards parti de Toulon en 1864 vers la Nouvelle Calédonie. Il
est condamné pour meurtre par la cours d’assises de Bastia. Soixante
quinze autres convois suivront au départ du port varois mais aussi de La
Rochelle, Saint Martin de Ré, de l’île d’Aix ainsi que d’autres ports.

Vingt mille condamnés à la relégation furent ainsi déportés jusqu’en
1897. Luigi PALADINI fut réhabilité en 1877. Il devient un entrepreneur
prospère à Port de France, l’actuelle Nouméa. Après de nombreuses
correspondances avec ses descendants, nous avons refait le voyage vers la
Nouvelle Calédonie afin de les rencontrer. L’accueil fut des plus
chaleureux.

Aller/retour dans l’histoire.
Durant 1000 ans, selon les études scientifiques qui sont à notre
disposition, des indigènes vivaient seuls sur cet archipel. Ils venaient
des îles Tonga où les polynésiens avaient fait souche avant de voguer
vers l’actuelle Nouvelle Zélande. D’autres indigènes arrivent de
Malaisie, des îles Salomon, Fidji ou encore Nouvelles Hébrides (Vanuatu
actuel). Ils élaborent une coutume mettant en place des règles qui
régissent, encore aujourd’hui leurs sociétés.

En1853, sous les ordres de Napoléon III, le contre amiral
Février-Despointes prend possession de la Grande Terre au nom de la
France. Il débarque à Balade, extrême Nord/Est de l’île…La
colonisation commence. Des terres sont cédées aux colons. Les tribus
mélanésiennes sont regroupées en réserves. Cela pose de gros problèmes
de déracinement car les tribus déplacées sur des aires coutumières
n’étant pas les leurs, des antagonismes naissent provoquant des conflits
entre tribus.

L’administration coloniale désigne des chefs administratifs (petits
chefs), afin de canaliser les tensions. Mais la révolte gronde contre
l’envahisseur colonial – révolte neutralisée dans le sang par des soldats
plus nombreux et mieux armés. Trahison également entre les mélanésiens
au profit du gouverneur en place avec l’assassinat du Grand chef Ataï.
Décapité, sa tête fut envoyée en France. Elle ne sera restituée qu’en
2014 lors d’une grande cérémonie coutumière.

Le trésor du roi Nick. (l’exploitation du minerai…)
En 1866, l’ingénieur français Jules Garnier découvre un minerai à forte
teneur en fer, le nickel . L’histoire économique et humaine du «Caillou»
est bouleversée…Ce minerai devient une nouvelle ruée vers l’or!
L’histoire de la colonie s’en voit transformée. Par vagues successives,
d’autres populations d’origines diverses, encouragées par le gouverneur
Feillet, s’installent à leur tour pour un rêve d’antipodes, une meilleure
vie avec des terres offertes par l’état, qu’il faudra défricher.

Le
travail dans les mines attirent de nombreux japonais, tonkinois, anglais,
allemands puis, plus tard, par vagues successives, italiens, espagnols,
wallisiens, africains, aventuriers de toutes sortes… La Nouvelle
Calédonie devient un archipel où le métissage s’étend dans toutes les
communautés. La vie s’écoule, prospère pour les grandes familles,
moindre pour les gens de peu. «L’eau sale du bagne», comme avait coutume
de dire le gouverneur Feillet est aboli en 1897. Les bagnards ne pouvant se
mélanger à la bonne société calédonienne se mettent en couples avec
les femmes des tribus.

Les commerçants asiatiques en font autant avec la
population coloniale. Les exemples ne manquent pas tout comme Dick
Pentecost dont les descendants actuels font partie des plus importantes et
riches familles de l’île. L’homme en recherche d’affaires épousa la fille
du grand chef Henri Naisselin de la tribu de Guahma, sur l’île de Maré
(îles Loyauté). Un sacré aventurier venu d’Angleterre, puis d’Australie,
comme en voyait naître à l’époque!!!

Arrive l’année 1941. La seconde guerre mondiale sévit en Europe… Les
japonais détruisent Pearl Harbor, le port des perles, située sur l’île
d’Oahu, état américain de Hawaï. La guerre du pacifique, la bataille de
corail éclate. La Nouvelle Calédonie devient la base avancée des États
Unis d’Amérique. Les familles japonaises présentent sur le territoire
sont victimes de rafles. Le gouverneur Sautot ordonne l’arrestation des
1340 mâles nippons. Déportés en Australie, ils ne reviendront plus.
Leurs biens sont confisqués, vendus aux enchères. Femmes et enfants se
trouvent dans le plus grand dénuement. Certaines se remarient avec des
colons calédoniens.

A la fin de la guerre, la vie reprend son cours normal avec néanmoins les
revendications mélanésiennes pour la récupération des terres
ancestrales. Un autre conflit couve jusqu’aux années 80s. Des attentats
sont perpétrés en brousse et à Nouméa. Le climat politique s’envenime
jusqu’à l’assaut de la grotte d’Ouvéa aux îles Loyauté où des
gendarmes français sont détenus en otages.

L’histoire s’emballe, tout va
très vite, trop vite…Contexte politique de l’époque: nous sommes entre
les deux tours de l’élection Présidentielle où s’affrontent Jacques
Chirac, Premier Ministre RPR de la cohabitation et le Président
socialiste, François Mitterrand. Les indépendantistes Kanaks, menés par
Jean Marie Tjibaou se saisissent de l’histoire qui se présente. S’ensuivent les
«Accords de Matignon/Oudinot» en 1988, qui signent pour dix ans une paix
relative.

Jean Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné, signataires des Accords, sont
assassinés quelque temps plus tard par le kanak Djubelly Wéa, pasteur
indépendantiste de la tribu de Gossanah. Le rêve de ces deux hommes de
paix associés à celui de Jacques Lafleur, député RPR, descendant d’un
surveillant du bagne, s’effondre. Dix ans passent; les choses évoluent; un
mieux être suit, mais chômage et délinquance se développent.

En 1998, afin d’éviter un nouveau conflit, «l’Accord de Nouméa» est
signé, pour vingt ans cette fois. L’identité Kanak est reconnue avec,
notamment, l’édification du Centre Culturel Djibaou par l’architecte
italien Renzo Piano. Les esprits se calment mais l’incertitude demeure. La
jeunesse mélanésienne rêve d’émancipation vis à vis de la coutume
devenue trop pesante.

Ceux qu’ils appellent respectueusement «les vieux»
sont dépassés malgré la mise en place d’un Sénat Coutumier. A cela
s’ajoute l’ambiguïté de ceux là même qui revendiquent l’indépendance
du pays kanak alors que nombre de Grands chefs comme Paul Néaoutyne,
Président indépendantiste de la Province Nord et ancien secrétaire de
Jean Marie Tjibaou, a du sang blanc qui coule dans ses veines comme feu,
Nidoish Naisselin fondateur des foulards rouges, aujourd’hui décédé.

L’origine du mot kanak.

Elle est polynésienne, du mot «Kanaka» qui signifie «homme» en
Hawaïen.
Il est venu avec les marins navigants sous les ordres de l’anglais
James Cook. Canaque, en européen, est un terme générique utilisé par
tous les navigateurs croisant à l’époque dans cet océan. Les
Mélanésiens s’appuient sur cette référence. Côté européen, chez les
Caldoches, le constat est identique. La population calédonienne, de souche
européenne, se ressaisit, revendiquant sa légitime origine «pays». Le
terme caldoche viendrait du «blanc» vivant en brousse, descendant de
bagnard et de colons, souvent métis, au langage approprié à sa
condition, mélangeant un orchestre de mots rudes, forts, généreux, venus
de l’époque du bagne et des hommes/forçats à la peau devenue cuir brun
sous l’impitoyable soleil tropical.

Caldoche = homme fort de souffrance.

Longtemps, les calédoniens
descendants de l’histoire, ont tenté de rayer le bagne de leur vie. Nombre
d’archives furent détruites, vestiges de bâtiments laissés à l’abandon
disparaissant sous une végétation foisonnante. Comme l’a écrit José
Louis Barbançon, écrivain calédonien descendant lui même du bagne, nous
sommes au « Pays du Non Dit ». Il y a aussi les Pieds noirs venus d’Algérie
après l’indépendance de 1962. Ceux là ne veulent pas revivre la perte,
une seconde fois, de leur patrie d’accueil. Ils ont déjà vécu «la
valise ou le cercueil»…Ce pays est le leur, aussi. Ils sont devenus
caldoches. Ils sont caldoches au sens noble du terme.

L’intention

Notre propos, légendé au plus précis, présente les portraits de
personnes de toutes conditions sociales, d’origines diverses mais toutes de
nationalité française. La Nouvelle Calédonie est une jolie métisse;
c’est là toute sa richesse. Les gens rencontrés dans les différentes
populations de l’archipel, Kanak, caldoches, nous ont donné
généreusement l’histoire de leurs vies, leurs témoignages, leurs
souvenirs venus de très loin, souvent avec gêne et…leurs archives, pour
certaines inédites.

Ce travail commencé il y a vingt ans voit enfin le
résultat attendu. Le pays du «non dit» nous a parlé de ses joies, ses
doutes mais surtout de sa fraternité. Nous lui en sommes gré. Il y a
vingt ans il était impossible de faire parler tous ces descendants de
bagnards, de colons, de mélanésiens, sur leurs origines. Il était tabou
de s’épancher.

Aujourd’hui, les familles se sont réunies, ont conversé entre elles et se
réapproprient leur part d’histoire. Ils ne sont pas comptables du passé,
des méfaits de leurs aïeuls qui souvent étaient condamnés au bagne pour
un simple vol de pain ou un avortement ou encore de la violence de la
colonisation. Ils sont nés là, c’est leur terre. Les mélanésiens ont
l’identique héritage. Les calédoniens sont tous «pays». Petit pays de
passion planté au milieu de l’océan pacifique.

Ces communautés vivent
les unes à côté des autres alors qu’ils revendiquent un «vivre
ensemble». Les consultations prévues en 2018 apporteront, peut – être,
une solution durable. Tous redoutent de nouveaux heurts entre
Indépendantistes et loyalistes…

La Nouvelle Calédonie est belle, généreuse, en phase avec la nature et
le rapport humain. Ce si joli Caillou dont le slogan, venu de l’île de
pins, chante: «le paradis n’est pas loin…ne passez pas à côté…»


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