Nucléaire: la course aux armements perd la tête
Adieu le temps des traités de désarmement. Plus personne ne veut les respecter. Au risque du pire
En Ukraine, Volodymyr Zelensky l’a promis : si son pays est abandonné par les Européens et par l’OTAN, il se dotera de l’arme nucléaire. L’engin pourrait être rudimentaire, mais les Ukrainiens ont probablement les capacités scientifiques pour le mettre au point. Reste à savoir en combien de temps. À Kiev, on se souvient qu’en 1994, le pays a accepté de détruire les vecteurs et les quelque 1 700 ogives d’origine soviétique détenues sur son sol. En échange, l’Ukraine a signé, avec l’URSS, les États-Unis et le Royaume-Uni, les mémorandums de Budapest qui garantissaient sa sécurité et l’intégrité de son territoire. Ces accords impliquaient également deux autres anciennes républiques soviétiques : la Biélorussie et le Kazakhstan, eux aussi signataires. Par la suite, l’Ukraine a ratifié le Traité de non-prolifération (TNP) de 1968. Trompée, elle a changé d’avis. Les menaces permanentes de frappes de la Russie l’y poussent.
Moscou, en violant sa signature et en envahissant son voisin, a discrédité ces accords. Tous les traités prônant le désarmement nucléaire et la non-prolifération font désormais figure de chiffons de papier. La course aux armements nucléaires est relancée à grande échelle, et tous y participent.
Une course effrénée
Les pays déjà dotés renforcent leurs arsenaux. La France, avec ses 290 têtes nucléaires, améliore constamment son missile intercontinental M51, qui a remplacé le M45. Les États-Unis, disposant de plus de 5 000 têtes, investissent depuis 2023 plus de 600 milliards de dollars par an pour moderniser leur force de frappe. Les Britanniques, détenteurs de 225 têtes, comptent sur les progrès de leurs alliés américains.La Chine, pour sa part, ambitionne de tripler ses capacités et de posséder 1000 bombes d’ici peu. En Asie du Sud, l’Inde et le Pakistan, avec 170 têtes chacun, se surveillent mutuellement tout en modernisant leurs vecteurs et munitions. Israël, estimé à 90 têtes, reste extrêmement discret. Restent ceux dont le dynamisme et l’agressivité affolent la planète. LaRussie, avec ses 5 580 têtes, elle a récemment adopté une doctrine d’emploi plus permissive : une attaque conventionnelle massive contre son territoire pourrait justifier une riposte nucléaire.
En Corée du Nord, Kim Jong-un (estimé à 50 têtes) multiplie les menaces contre la Corée du Sud et les États-Unis, tout en testant des missiles à portée croissante. Enfin, l’Iran promet qu’il aura bientôt la bombe, alimentant les ambitions de ses voisins saoudiens et turcs.
Le déclin des traités de désarmement
Pourtant, le Traité de non-prolifération (TNP), signé en 1968 et entré en vigueur en 1970, avait amorcé une ère de contrôle. Un protocole additionnel en 1998 a donné à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) plus de pouvoirs pour surveiller son application. À l’époque, seuls cinq États étaient officiellement dotés de l’arme nucléaire. Aujourd’hui, ils sont neuf.Les années 1970 ont vu naître les accords SALT (Strategic Arms Limitation Talks), suivis par les traités START dans les années 1990 et SORT (Strategic Offensive Reduction Treaty) en 2002. Ces accords visaient à limiter, puis réduire, les arsenaux. Des centaines d’armes furent détruites.
Le grand bond en arrière
Deux hommes ont largement contribué à la relance de la course aux armements. Vladimir Poutine, en février 2023, a suspendu la participation de la Russie au traité New START, qui limitait à 1 550 le nombre d’ogives dans chaque arsenal. Quelques mois plus tard, Moscou s’est également retiré du traité interdisant les essais nucléaires, bien que celui-ci n’ait jamais été ratifié par les États-Unis.De son côté, Donald Trump, en se retirant en 2018 de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA), a donné un coup fatal à ce cadre. L’accord stipulait que les sanctions contre Téhéran seraient levées si le pays renonçait à son programme nucléaire militaire. Après ce retrait, l’Iran a accéléré ses efforts pour se doter de la bombe, un objectif qu’il pourrait bientôt atteindre.
Si Saddam Hussein avait eu la bombe
La situation actuelle pousse les États-Unis à encourager Israël à frapper les installations nucléaires iraniennes, malgré les risques d’un conflit généralisé au Moyen-Orient. Vladimir Poutine, quant à lui, donne des arguments à tous les dictateurs de la planète. Beaucoup se disent que si Kadhafi ou Saddam Hussein avaient possédé l’arme nucléaire, ils auraient peut-être sauvé leur régime… et leur vie.
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