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Otages du Niger : le pari de la force

publié le 27/01/2011 | par Jean-Paul Mari

La France a décidé de s’opposer par tous les moyens aux preneurs d’otages. Mais le raid militaire lancé contre les terroristes islamistes d’Aqmi s’est terminé en tragédie, avec la mort des deux jeunes Français enlevés à Niamey. Questions sur une stratégie à haut risque


Bilan d’une opération

Pour les Français, l’opération de libération des otages est un échec. Les deux hommes, âgés tous deux de 25 ans, sont morts, sans doute exécutés par leurs ravisseurs. Côté militaires, au moins trois gendarmes nigériens ont été tués, quatre autres gravement touchés et deux membres des COS, les forces spéciales françaises, blessés. Côté preneurs d’otages, on ne sait pas grand-chose sinon que «plusieurs» ravisseurs auraient été neutralisés, certains tués, d’autres blessés, et qu’il y aurait deux prisonniers. En clair, une partie du commando, «encerclé», a réussi à prendre la fuite.

Pour les terroristes d’Aqmi, Al-Qaida au Maghreb islamique, la prise d’otages est aussi un échec. Si le commando a réussi à enlever deux hommes en plein centre de la capitale, douze heures plus tard ils n’avaient plus d’otages entre les mains, seulement les corps de ceux qu’ils venaient d’exécuter par dépit, par impuissance. Pas d’otages, donc pas de revendication, pas de rançon, plus de chantage. Une opération ratée, marquée par la perte de combattants mis hors de combat, dont Aqmi et ses hommes de main sous-traitants ne tireront aucun bénéfice, ni financier ni politique.

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Ce double échec a pourtant commencé comme un coup de main audacieux et spectaculaire, suivi d’une réaction militaire rapide et coordonnée. L’action, engagée vers 22h30, heure locale, au coeur de Niamey, capitale du Niger, s’est conclue vingt-quatre heures plus tard à 200 kilomètres au nord, en plein désert, au-delà de la frontière avec le Mali. Au départ, le Maquis toulousain, un restaurant de Niamey fréquenté par des expatriés, où deux jeunes Français, Antoine de Léocour et Vincent Delory, se retrouvent.

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Antoine est un humanitaire en mission, amoureux de l’Afrique et d’une Nigérienne qu’il va épouser. Vincent, ingénieur à Toulouse, est venu le rejoindre pour l’événement. Soudain, un 4×4 immatriculé au Bénin freine brutalement devant le restaurant. Deux hommes en descendent, la peau claire, enturbannés et armés, et font irruption dans le restaurant. Ils parlent l’arabe, le haoussa, la langue locale, et le français. Ils tombent sur les deux Français attablés : «Toi et toi, suivez-nous !»
Antoine et Vincent essaient de résister. En vain. La surprise et la violence font le reste.

Un client saute dans son véhicule, essaie de suivre le 4×4 des agresseurs, les perd. Aussitôt l’alerte donnée, l’armée nigérienne réagit et la garde nationale prend le véhicule en chasse. Direction le nord, bien sûr, la frontière avec le Mali, désert sanctuaire des islamistes d’Aqmi. Les postes militaires sur le chemin sont alertés, et un premier accrochage avec les ravisseurs se produit à Ouallam. Un barrage au nord de la ville, un 4×4 qui fonce, ouvre le feu, le chef du détachement de la garde nationale blessé… et le commando passe à travers les mailles du mince filet.

Entre-temps les Français passent à l’action. Ce n’est pas la première fois que les islamistes d’Aqmi frappent au Niger. Pour pouvoir réagir vite, un élément des forces spéciales et des hélicoptères ont été installés dans une base non officielle au Burkina Faso proche. De N’Djamena, au Tchad, un avion de surveillance à large rayon d’action, un Atlantique 2, est toujours prêt à décoller.

C’est lui qui a repéré le 4×4 en route vers le nord. Et qui le retrouve après le barrage forcé. Le commando fonce, rejoint par d’autres véhicules. Encore une poignée d’heures et il aura rejoint son sanctuaire. S’il réussit, on connaît la suite : inquiétude, silence, communiqué de victoire, revendication de l’opération, demande de rançon avec des exigences plus ou moins réalistes.

Dans le cas du Français Pierre Camatte, 62 ans, enlevé en novembre 2009, une forte somme et la libération de quatre détenus d’Aqmi au Mali ont permis sa libération.
Mais, pour les sept otages enlevés à Arlit, sur le site de la mine d’uranium, Aqmi a choisi de demander l’impossible, exigeant le départ des troupes françaises d’Afghanistan et indiquant au gouvernement français qu’il devait traiter directement avec… l’introuvable Ben Laden !

La provocation était volontaire. Aqmi est aujourd’hui gavée d’une trentaine de millions d’euros touchés lors du paiement des rançons, sa première source de revenus, enrichie par tous les trafics du désert – contrebande, passage des convois de drogue, taxes et protection rétribuée -, confortée par la détention d’une vingtaine d’Occidentaux enlevés au Sahel, et bien à l’abri des regards dans un triangle rocheux truffé de grottes dans le nord du Mali, vide si vide ! – de toute présence militaire.

Paris a dit : ça suffit

Aqmi, née dans les maquis d’Algérie, à la fois pleine de haine contre la France, l’ancien colonisateur, et pleine d’orgueil d’être adoubée par Al-Qaida, a moins besoin d’argent et d’armes que de reconnaissance ! L’organisation islamiste veut être à la fois un atout majeur d’Al-Qaida et l’ennemi officiel, l’interlocuteur obligé du pouvoir français. Le Sahel est le ventre mou non pas de l’Afrique, mais de la France. Cette France qu’Aqmi n’a pas réussi, à son grand désespoir et à la fureur d’Al-Qaida, à frapper par des bombes sur le territoire national.

Le Sahel, zone d’influence de Paris, qui voit son tourisme mourir du terrorisme, ses usines d’uranium entravées, ses ambassades menacées, ses humanitaires paralysés, ses 10000 expatriés bâillonnés, immobiles, sur leurs gardes, le Sahel devient, enfin ! un vrai terrain d’affrontement direct avec la « France des croisés », un lieu de combat international pour les fanatiques d’Aqmi, qui prient, espèrent, rêvent d’un affrontement à la mesure de leurs ambitions. Au bout de l’hameçon… les otages. Un moyen privilégié, un piège, une course sans fin.

Cette fois, pourtant, Paris a dit : ça suffit ! et a décidé de casser l’engrenage. L’opération militaire s’est mal passée. Deux otages morts, exécutés à la sauvette, l’un d’une balle dans la tête, l’autre touché dans le dos, c’est une tragédie. Il suffisait de regarder le visage d’Alain Juppé, ministre de la Défense, parler de décision «grave et lourde »pour mesurer l’étendue des dégâts. Mais aussi de l’entendre évoquer un autre risque, plus global, celui de ne rien faire. Les militaires, eux, disent les choses plus clairement. En substance : l’opération a échoué, les otages sont morts, le bilan est regrettable.

Reste le message clair, fort, délibéré, aux ravisseurs : « Plus d’otages. C’est fini ! Nous vous pourchasserons, même au-delà des frontières, nous vous détruirons, même au prix de la vie de nos otages. Vous n’obtiendrez plus rien de nous, sinon le feu. » Pour les partisans de cette nouvelle donne, l’important est qu’Aqmi n’a pas pu regagner son sanctuaire avec ses otages. L’opération, même ratée, reste un succès.

Eviter la contagion

Voilà pour la tactique qui vise à contrer les opérations sur le terrain. Elle a pour inconvénient majeur d’offrir aux islamistes ce qui fait leur pain quotidien spirituel, la guerre, la mort, le martyre. Reste à mettre en place une stratégie pour éradiquer ce qui apparaît comme une menace durable pour le Sahel et une partie de l’Afrique de l’Ouest. La zone d’activité d’Aqmi couvre un grand désert, une bande qui part de la Mauritanie, passe par le Mali et le Niger, remonte jusqu’au Sud algérien et frange la frontière libyenne.

Les quelques centaines de combattants du désert sont dirigés essentiellement par des islamistes algériens. Aqmi est née du Groupe salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) algérien. Abdelmalek Droukdel, son chef présumé, Abou Zeid, dirigeant d’une katiba, et Mokhtar Belmokhtar, son concurrent, chef d’une autre katiba, ont grandi dans les maquis, infiltrés par la Sécurité militaire algérienne. Le GSPC est le reliquat de plus de dix ans de guerre civile, d’un GIA aux bras couverts de sang de civils, d’une répression féroce du pouvoir, avec disparitions, tortures et coups tordus, d’une guerre «gagnée» par épuisement, d’une amnistie mal digérée, d’un pouvoir FLN gangréné par sa branche verte, la corruption et le compromis avec des islamistes qui ont pris la société en otage.

Une des clés du problème d’Aqmi se trouve en Algérie. Et toute solution doit réunir toutes les parties concernées au Sahel. Le problème est que, chaque fois qu’il s’agit de coordonner une action, il faut affronter deux blocs majeurs de la région, deux blocs résolument ennemis, d’un côté l’Algérie, de l’autre le Maroc, obnubilés par leur contentieux sur le Sahara occidental. Que l’un organise un sommet régional sur le terrorisme, et l’autre s’empresse de s’abstenir et de dissuader ses alliés d’y participer.

Méfiance, inertie diplomatique, religion du secret, allergie à tout ce qui peut être considéré comme une ingérence, une entorse à la souveraineté nationale… Tout cela fait le lit d’Aqmi, lui laisse toute liberté pour passer les frontières, frapper et se retirer, continuer à s’enrichir, à s’équiper de véhicules neufs, de GPS, d’appareils de vision nocturne, à se gaver d’armes modernes, prônant un djihad conquérant qui attire les combattants de l’étranger.

Et surtout, la grande vacance des Etats de la région autorise les islamistes à planter durablement leurs tentes dans le grand désert, à mettre la main sur tous les trafics, à nouer des relations avec les Touaregs de la région, jouant les protecteurs, mariant les filles des tribus, propageant un islam brutal et exogène, séduisant les jeunes sans travail, sans revenus, sans espoir… Vieille, très vieille recette qui a fait ses preuves ailleurs.

Il ne suffit pas de contrer les raids d’Aqmi, même au prix de la mort de nos otages, il faut aussi éviter que la contagion gagne tout le Sahel, l’Afrique de l’Ouest. Et d’avoir à affronter un jour des katibas où les nomades de Mauritanie, du Mali, du Niger et du Tchad seraient plus nombreux que leurs cousins perdus d’Algérie.


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