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Photo: mort d’un géant

publié le 13/09/2009 | par Olivier Weber

Il était l’œil de la planète sans en être le voyeur. Un visiteur des cœurs qui n’a jamais oublié de rester pudique. Jusqu’à la veille de sa mort, à 99 ans, le grand photographe a su porter un regard au fond de l’âme, sans fioritures mais avec justesse, sans excès mais avec un bonheur constant. Willy Ronis était comme ça: un élégant du boîtier, un promeneur de la pellicule qui inscrivait les impressions et les sensations de l’autre dans le un souci constant de prolonger son sourire, son inquiétude, ses fragilités.


Comme Robert Doisneau, disparu en 1994, Ronis, fils d’un émigré juif d’Odessa en Ukraine, né au pied de la Butte Montmartre en août 1910, était le représentant de l’école « humaniste ». Pour dépeindre le monde, tous deux s’emparaient du moindre détail, figeaient sur la gélatine des sourires, des gestes exquis, des détails anodins qui composent la tendresse et le miel du monde. Willy Ronis derrière son boîtier, c’est un gamin en culottes courtes qui s’élance dans une rue de Paris, baguette sous le bras; c’est une femme de dos, nue, assise devant un rideau qui la cache de la rue et lui ferme la vue; c’est la terrasse d’un café où mille existences semblent se croiser, anodines et mystérieuses, joyeuses et inquiètes.

Ronis aimait cela, croquer la vie des petites gens, les montrer dans leur décor quotidien, dans les mouvements de foule, les fêtes populaires, et jusque dans les usines en grève. Il composait ses photographies (cent mille!) comme un peintre compose ses tableaux, mais en laissant la part belle à une vétille, à une intrusion heureuse, à la chance de l’instant qui fait le bonheur des photographes, ces chroniqueurs de l’immédiat. La lumière de Ronis rappelle là encore son goût pour la peinture, surtout celle de Rembrandt. Elle parcourt ses clichés et ses clichés parcourent le monde entier, par l’agence Rapho qu’il rejoint après la Seconde Guerre mondiale et les magazines Regards, Time ou Life.

L’une de ses photos les plus célèbres est celle du couple sur la colonne de la Bastille. Il la regarde et elle semble regarder Paris, la main sur la rambarde de fer qui paraît si fragile à cette hauteur. Débarqués de l’Aveyron pour ouvrir un café, Riton et Marinette pourraient avoir le vertige, du vide ou de l’amour, et nous l’enivrement des cimes de l’art photographique. Paris est nappé d’une brume, et la ville de la lumière saisie d’un léger flou va comme un gant à Riton et Marinette, que Willy Ronis retrouvera plus tard, dans leur café à l’angle de la rue du Faubourg Saint-Antoine et de la rue des Tournelles. Paris ce jour-là est plus qu’une fête, c’est un désir.

Chroniqueur des passants et des sans-souci, « romancier de la photo » comme il aimait à se définir lui-même, Ronis a ainsi dessiné une œuvre qui traverse le siècle, de fureurs indicibles et de bonheurs mystérieux, et qui nous enseigne une certitude: derrière le viseur se cachait une grande âme.

Olivier Weber


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