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Pornographie. Violence, viols, proxénétisme: «l’enfer du décor» Rapport Sénat

Bloc-Notes publié le 28/09/2022 | par grands-reporters

Violences, proxénétisme : le rapport choc du Sénat sur l’industrie du porno. Révélées au grand jour par l’affaire « French bukkake », les dérives de l’industrie pornographique ont fait l’objet d’une mission menée par la délégation aux droits des femmes du Sénat. Vingt propositions afin d’alerter « sur les violences perpétrées et véhiculées » par ces contenus.

C’est un sujet plutôt inhabituel sur lequel s’est penchée pendant de longs mois, la délégation aux droits des femmes qui vient de remettre son rapport au titre significatif : « Porno : l’enfer du décor ». Longtemps cantonnée à un genre cinématographique transgressif, la pornographie a été rattrapée par le mouvement #Metoo. Fini le glamour Hots d’or, et du premier samedi soir sur Canal, à l’heure du digital et des flots de contenus gratuits sur les tubes, le porno est désormais associé à des infractions pénales du type, viols en réunion, traite d’êtres humains et proxénétisme.

Une affaire sordide dite du porno français ou « French bukkake » a révélé au grand jour les multiples dérives de cette industrie florissante qui génère plusieurs milliards de chiffre d’affaires dans le monde chaque année, pour 19 millions de visiteurs uniques mensuels sur les sites porno en France. C’est le point de départ des travaux de la mission d’information qui va enchaîner les auditions pendant 6 mois.

Deux orientations émergent de la vingtaine de propositions émises par les quatre co-rapporteure, Annick Billon (centriste), Laurence Rossignol (PS), Alexandra Borchio Fontimp (LR) et Laurence Cohen (communiste). La première partie des préconisations porte sur la restriction de l’accès des contenus aux mineurs. La deuxième concerne la lutte contre « les violences pornographiques ».

Ce dernier point aura été le plus délicat à traiter pour les membres de la commission, parfois tentées par une approche « abolitionniste » ou « prohibitionniste » de la pornographie. Parties civiles au procès french bukkake, les associations féministes (Le Nid, Les Effrontées, Osez le féminisme) ont inauguré le cycle des auditions par cette affirmation. « Le porno c’est aussi du proxénétisme à l’échelle industrielle […] Il s’agit de violences sexuelles qui sont commanditées, le consentement est extorqué par l’argent et l’exploitation de la vulnérabilité ».

« J’ai mangé la nourriture du chien »

« 90 % des scènes pornographiques comportent de la violence. Les violences sexuelles, physiques et verbales sont massivement répandues dans le porno, revêtant un caractère systémique. Elles ne sont pas simulées mais bien réelles pour les femmes filmées » affirme le rapport.

Auditionnée à huis clos par la délégation, l’une des 43 parties civiles au procès de l’affaire « french bukkake » témoigne devant les rapporteures : « On me tient et une autre personne entre en moi. […] Cette scène se termine, je vais aux toilettes et je saigne, ce n’était pas dans le scénario. Une deuxième scène commence, à même le sol. Je ne savais pas ce qui allait se passer […] Dès le lendemain matin, je subis une autre scène. […] Je ne voulais même pas qu’il y ait trois personnes […] dès le début, on a essayé de me déshumaniser, de me traiter comme un objet. Pourtant, je l’ai fait, j’ai mangé la nourriture du chien. Je n’avais plus aucune estime de moi ».

Pornographie = prostitution ?

« La passerelle est évidente. D’ailleurs, beaucoup d’actrices pornographiques ne peuvent pas vivre uniquement de ces tournages et officient en tant que gogo danseuses dans des boîtes de nuit, ou se prostituent à côté. Le « travail du sexe » est à 360 degrés. Les liens sont très forts. », confirmera le journaliste indépendant, Robin d’Angelo tout en conseillant aux sénatrices et sénateurs de ne pas « voir uniquement ces femmes comme des victimes ». « Il y a une différence notable entre prostitution et pornographie, c’est celle de l’image. On est dans un rapport d’estime de soi. On peut vouloir se donner une existence médiatique qui n’existe pas dans la prostitution ».

L’ancienne pornstar, Liza Del Sierra indiquera, elle, avoir « pris du plaisir » dans sa carrière longue de plus de 1 000 films. « J’ai l’impression que nous sommes des femmes épanouies dans notre travail », complétera Carmina, actrice et réalisatrice de films pornographiques alternatifs.

Mais la mission s’érige contre ce qu’elle assimile « un système de domination et de marchandisation du corps des femmes ». Elle recommande de « faire de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique » ou encore « d’augmenter les effectifs et les moyens matériels » des enquêteurs et des magistrats dédiés à la lutte contre les violences commises dans un contexte de pornographie.

Elvire Arrighi, commissaire divisionnaire, chef de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), avait prévenu les sénatrices et sénateurs en mai dernier, renvoyant au législateur sa responsabilité « de définir la prostitution et de dire si elle couvre ces cas » (de pornographie). « Alors le proxénétisme et la traite à vocation sexuelle seront systématiquement caractérisés dans le cadre de productions pornographiques », avait-elle expliqué.
« Alerter le gouvernement et l’opinion publique »

Le rapport sénatorial se contente d’évoquer cette possible modification législative sans en faire la recommandation. « L’objectif […] est avant tout d’alerter le gouvernement et l’opinion publique sur les violences perpétrées et véhiculées par et dans l’industrie pornographique, ainsi que sur les représentations sexistes, racistes, homophobes et inégalitaires qu’elle génère », peut-on, lire.

En effet, Laurence Rossignol n’avait pas hésité à interpeller Grégory Dorcel, l’un des plus grands producteurs français sur la « rubrique interraciale » de son site. J’ai trouvé le synopsis d’un film : Gina, Chloé et Cheryl vont vous montrer comment on s’occupe d’une grosse bite black. Avez-vous aussi des films dans lesquels on dit comment s’occuper de grosse bite blanche ? ».

L’affaire « French bukkake » a fait état de violences sexuelles insoutenables couplées à ce qui s’apparente à de l’extorsion. Souvent, les victimes ont dû payer une somme aux producteurs pour voir leur vidéo retirées de la diffusion. Peine perdue car les contenus sont aspirés à l’infini par des « tubes » basés dans des paradis fiscaux et peu sensibles au droit à l’image. Raison pour laquelle, les sénateurs veulent imposer aux plateformes, la mise en place de procédures permettant aux personnes filmées, et non plus aux seuls propriétaires de vidéos, d’obtenir le retrait de leurs vidéos. Mais aussi de créer une catégorie « violences sexuelles » dans les signalements à Pharos afin de faciliter et de mieux comptabiliser les signalements.

La réalisatrice, Ovidie, avait néanmoins alerté la mission lors de son audition. « Le combat contre les plateformes porno, c’est presque un combat d’hier ». Ovidie avait souligné le rôle prépondérant des réseaux sociaux comme porte d’entrée des contenus pornographiques pour les mineurs. Alors qu’un garçon sur trois de moins de 15 ans se rend sur un site pornographique chaque mois et qu’en moyenne, le premier contact avec un contenu pornographique intervient à l’âge de neuf ans, la mission préconise une plus forte communication autour des dispositifs de contrôle parental.
Etat des lieux de l’efficacité des séances d’éducation à la sexualité

Obligation légale depuis 2001, « les séances d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle » sont peu, voire pas du tout appliquées. Les élus demandent un état des lieux de la mise en œuvre de ces séances dans chaque académie et d’aborder dans le cadre de ces séances des « sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie ». En audition, Thomas Rohmer, fondateur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open) avait pointé du doigt les nouvelles plateformes comme Onlyfans ou MYM, « très centrées sur la vente de vidéos ou de photos à caractère sexuel ».

Au fil des auditions, la mission a constaté que le volume existant des contenus pornographiques, accessibles à tous, « a banalisé les actes sexuels violents envers les femmes et a érigé en normes, des violences ». Devant la délégation, la psychologue clinicienne, spécialisée dans les addictions sexuelles et cybersexuelles, Maria Hernandez-Mora avait lié l’augmentation des violences sexuelles à l’apparition du smartphone en 2007. « L’hypothèse est que l’accessibilité aux contenus pornographiques dès le plus jeune âge a favorisé de manière massive l’influence des récits pornographiques ».

Protection des mineurs : les prérogatives de l’Arcom renforcées

En matière de protection des mineurs, une autre loi peine à prouver son efficacité. Votée à l’initiative du Sénat, la loi du 30 juillet 2020 contraint les sites pornographiques à mettre en place un contrôle de l’âge de leurs visiteurs. Mais les injonctions de l’Arcom à plusieurs plateformes comme Pornhub, Tukif, Xhamster, Xvideos, ou Xnxx, n’ont toujours pas été suivies des faits.

La mission demande d’assermenter les agents de l’Arcom afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des sites pornos accessibles aux mineurs. Actuellement, l’Arcom peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris afin qu’il ordonne aux fournisseurs d’accès à Internet le blocage de ces sites depuis la France. Une procédure longue, et suspendue à une question prioritaire de constitutionnalité, déposée il y a quelques semaines par MG Freesites.

La mission veut donc confier à l’Arcom la possibilité de prononcer des sanctions administratives, aux montants dissuasifs et veut imposer aux sites pornographiques l’affichage d’un écran noir tant que l’âge de l’internaute n’a pas été vérifié.
Ce bras de fer entre les sites pornographiques et les co-rapporteures de la mission aura atteint son paroxysme lors de l’audition des deux plus grands producteurs français, Dorcel et Jacquie et Michel.

Quand Vincent Gey représentant du groupe Ares (Jacquie & Michel) estimait appliquer la loi grâce à « My18Pass », un dispositif destiné à vérifier l’âge de l’utilisateur par carte bancaire. « J’ouvre votre site […] et je trouve des quantités d’images pornographiques non animées. […] Donc, les mineurs sont exposés à des images pornographiques alors pourquoi vous considérez que vous êtes en conformité avec la loi ? », lui répondra Laurence Rossignol. Michel Piron le fondateur du site a, depuis, été mis en examen pour complicité de viol et traitre d’être humain sur une victime.

Article écrit par Par Simon Barbarit pour Public-Sénat

 

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