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Portrait: Sindika Dokolo, chasseur de trésors

publié le 06/08/2021 | par Maria Malagardis

Cet industriel flamboyant, époux d’Isabel Dos Santos, fille de l’ex-président angolais, traque les œuvres d’art africaines spoliées.


«J’ai un petit scoop pour vous», annonce-t-il avec gourmandise. Nous sommes au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, et Sindika Dokolo guide lui-même un petit groupe de visiteurs à travers les salles de son exposition. S’y trouvent rassemblées certaines des plus belles pièces de sa collection privée. L’art contemporain africain y côtoie des pièces d’art «classique», et ne lui parlez jamais d’art «tribal» ou «premier».

Dans la vie de ce jeune milliardaire métis, fils d’un père congolais qui a fait fortune dans la banque et les mines, et d’une mère danoise, il y a les œuvres qu’il achète pour sa collection privée, devenue l’une des plus importantes au monde. Et il y a celles, pillées sous la colonisation, qu’il traque sur le marché pour les racheter et les rendre à leurs pays d’origine. Cette chasse aux objets perdus lui a déjà permis de restituer une vingtaine d’œuvres au musée de Dundo au nord de l’Angola, son pays d’adoption.

Cette fois-ci, en guise de «scoop», il jubile en annonçant l’acquisition «ce jour même», d’un carnet de voyage. Celui d’un officier belge qui raconte le pillage d’un village congolais, au cours duquel fut volé en 1896 un magnifique masque bélier luba, offert par la suite au Musée royal de Tervuren près de Bruxelles.

«Dans ce carnet, on découvre tout le cynisme de cette expédition qui brûle tout sur son passage mais demande de préserver les objets d’art qui seront expédiés en Europe», souligne ce quadragénaire au visage d’ado. Combien lui a coûté ce carnet qu’il veut léguer au nouveau musée de Kinshasa, la capitale congolaise ? «Clause de confidentialité», rétorque-t-il.

 

Qu’importe la somme d’ailleurs, il peut tout s’offrir ou presque. Alors qu’il évoque ce dernier achat, personne ne prête attention à la présence discrète d’une femme élégante. La sienne, encore bien plus connue et riche que lui. Isabel est la fille d’Eduardo Dos Santos qui dirigea l’Angola pendant trente-sept ans. Depuis plusieurs années, le couple, qui a eu quatre enfants, alimente la chronique people. On les a vus, il y a deux ans, en smoking et robe de gala, présenter l’acquisition d’un magnifique diamant à Cannes pour le compte du joaillier suisse De Grisogono dont Sindika est devenu l’actionnaire principal.

Isabel a été qualifiée de «femme la plus riche d’Afrique» par Forbes, ce qui agace son époux. «Dans ce genre de palmarès, on met toujours en avant la richesse des Africains, en la comparant avec le taux de pauvreté de leur pays. Mais personne, ne fait la même comparaison pour les fortunes acquises en Afrique par des entrepreneurs occidentaux, comme Bolloré ou Castel.

Je n’ai pas à m’excuser de ma richesse, je n’ai pas à en rendre une partie pour me faire pardonner», lâche-t-il sans détour, dans un petit salon du Palais des Beaux-Arts au lendemain de la visite guidée de son expo.

«Richesse : tient lieu de tout, et même de considération», écrit Flaubert dans le Dictionnaire des idées reçues. A la tête d’un empire industriel et financier, Dokolo, qui affirme ignorer l’ampleur de sa fortune, est un touche-à-tout : chef d’entreprise, collectionneur d’art, et même activiste politique. En 2017, il lance un mouvement, Congolais debout !, pour mobiliser la société civile congolaise contre le président Kabila qui cherche encore à s’accrocher au pouvoir.

Il s’affiche aux côtés de l’opposition, aurait participé en Belgique «à des réunions secrètes», affirme-t-il. Un scrutin plus tard, le voici aux côtés du nouveau président congolais, Félix Tshisekedi qu’il croise à Bruxelles où il lui offre… un masque volé à l’époque coloniale. «J’aimerais l’aider à redresser l’économie du pays», explique celui qui, sans surprise, croit aux vertus du secteur privé pour redresser son pays natal en faillite, tout en fustigeant l’emprise des multinationales.

Oubliant au passage un peu vite que ce sont souvent les élites locales qui ont elles-mêmes bradé leurs pays aux grands groupes internationaux.

Chantre d’une fierté africaine retrouvée, il a pourtant grandi en Belgique, puis en France, où il passe son bac au lycée Saint-Louis-de-Gonzague, fief de la haute bourgeoisie de l’ouest parisien. Son père Augustin est son premier modèle : «C’est lui qui m’a appris à ne pas chercher ma dignité dans l’œil du référent occidental.» Mais au tournant des années 90, la fortune du père, et notamment sa banque florissante, la première créée au Congo après l’indépendance, aiguise les appétits.

Il sera peu à peu dépossédé de ses biens par le maréchal Mobutu alors à la tête de ce pays continent. Le fils y voit l’influence de conseillers jaloux et la confirmation que les chefs d’Etats africains se laissent trop souvent «guider par leurs peurs». C’est au cours de cette période de disgrâce paternelle, qu’il atterrit dans l’Angola voisin. Pays où il découvre «une fierté intacte, une dignité incroyable». Son père meurt peu après, il s’en trouve bientôt un autre : Eduardo Dos Santos, son beau-père auquel il voue une admiration sans bornes.

Sauf qu’une fois de plus le vent de l’histoire va tourner. Vingt ans après la chasse aux sorcières qui a dépossédé sa famille au Congo, c’est sa belle-famille qui est dans le collimateur en Angola. Contre toute attente, le successeur désigné de Dos Santos, l’actuel président João Lourenço, déclare la guerre à la corruption. Et vise la famille de son prédécesseur, accusée d’avoir fait main basse sur le pays. Isabel est débarquée sans préavis de la direction de la Sonangol, la compagnie nationale des hydrocarbures.

Le frère cadet, João Filomeno, emprisonné six mois, reste privé de passeport dans l’attente de son procès pour malversations financières. «Tous les gars qui sont en train de cracher sur la famille avaient voix au chapitre sous le régime précédent. C’est une entreprise de déstabilisation médiatique», dénonce le mari d’Isabel.

Il la défend avec acharnement, insiste sur la modestie du train de vie de son beau-père. Reconnaît tout de même «quelques dérapages» au moment de la libéralisation de l’économie après trente ans de guerre civile en Angola.

Ces temps-ci, il préfère ne pas se rendre à Luanda. Son beau-père est à Barcelone. Lui et sa femme continuent leurs vies de jet-setters, un jour à Londres, le lendemain à Lisbonne, Dubaï ou Kinshasa. Ils ont encore des entreprises en Angola. Ce qui n’a pas l’air de l’inquiéter.

Après tout, sa mère Hanna a bien survécu à l’hostilité contre la famille, en restant jusqu’à aujourd’hui à Kinshasa. Consule honoraire de Norvège, elle y veille encore sur ce qui reste des biens paternels. «Des coquilles vides», minimise l’héritier, prototype d’une élite mondialisée qui surfe entre les récifs de la politique mais demeure au fond insaisissable.

Par Maria Malagardis, photo Marie Rouge pour «Libération» 9

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