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Pourquoi, malgré leur libération, ce procès est un double échec.

publié le 24/10/2014 | par Jean-Paul Mari

Pourquoi, malgré la libération des journalistes français, ce procès est un double échec.

Thomas Dandois et Valentine Bourrat sont sur le point d’être libérés, condamnés à deux mois et demi de prison, après deux mois et demi de détention. Soulagement, heureux dénouement ? Bien sûr.
Pourtant, force est de constater que ce procès est un double échec.


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Un échec du journalisme

Ce jugement, et cette condamnation, veulent dire que, désormais, toute tentative d’effectuer un reportage en Indonésie sans avoir l’imprimatur officiel – quasi impossible à obtenir pour la Papouasie occidentale – sera criminalisée. Le message est clair. Plus question d’une simple expulsion. Pour des reporters, l’infraction à l’immigration devient délit, crime.

Le patron de l’immigration locale a ouvertement souhaité que les deux reporters soient « condamnés au maximum », soit cinq ans de prison.
Plus grave, le chef de la police de Jayapura a constamment cherché à ajouter au dossier d’accusation des charges très lourdes : « Propagande anti-indonésienne » et surtout « Participation à des activités subversives » passibles de la détention à vie, voire à la peine de mort.

En clair : « Avis à tous les reporters étrangers. Surtout, ne venez plus enquêter en Papouasie. Cela peut vous coûter très cher ! »

Un échec pour l’Indonésie

L’image de ce pays moderne, le plus grand pays musulman du monde et la deuxième économie d’Asie du Sud-Est, en ressort bien dégradée.

L’Indonésie, à travers le dossier papou, a démontré ce qu’elle est, ce qu’elle était sous le régime de Yudhoyono, l’ancien président qui, après 10 ans de règne, vient tout juste d’achever son mandat. Un pays dur, fermé à la presse. Un régime policier, à l’image des autorités de Jayapura.

Le pouvoir a montré aussi son ultra sensibilité, pour ne pas dire sa peur, face au problème du séparatisme papou. Déjà, il n’avait pas hésité récemment à expulser un documentariste français, Baudoin Koenig, pourtant dûment muni du précieux visa presse. Sa faute ? Avoir filmé une manifestation de rue pacifique des activistes papous. Quand on en arrive ensuite à envoyer deux mois et demi en détention deux reporters français – certes en infraction puisque sans visa presse – cela confirme la volonté de fermeture totale de ce territoire à l’information.

Une question légitime s’impose

Qu’est-ce qu’on veut cacher avec autant de force ? L’obscurité autorise toutes les spéculations sur la violence des affrontements, la dureté de la répression, les accusations de violence, de disparitions, d’exécutions. Exagération ou réalité ? Impossible de connaître la vérité.

Aucun journaliste ne peut aller sur place vérifier ces accusations. Le seul fait, établi, est que l’Indonésie de l’ex-président Yudhoyono est classée, selon Reporters Sans Frontières, 132eme sur 180, au Classement mondial de la liberté de la presse. Et ce n’est pas brillant.

Le procès était injuste, la méthode est inacceptable

Tout au long de leur détention dans les locaux de l’immigration, la police n’a cessé de vouloir séparer et transférer les deux reporters, Thomas, 40 ans et Valentine, jeune femme de 29 ans, dans une prison de la police.

Mêlés aux détenus de droit commun. On sait ce que cela veut dire. Les enquêteurs leur ont confisqué leurs ordinateurs, qui n’ont pas été rendus à ce jour. Et ils ont fait pression, pour arracher à leurs employeurs, un engagement de non-diffusion des images tournées. Comment dire non quand deux de vos collègues et amis sont en détention, à des milliers de kilomètres de Paris, et qu’on leur promet ouvertement un procès et une lourde sanction ?
L’exigence brutale, voire le chantage, donne le sentiment que les journalistes, plus que des prévenus, ont été pris en otage.

Ce procès doit être le dernier

Le nouveau président Jokowi, en fonction depuis moins d’une semaine, a dit avec force pendant sa campagne qu’il était partisan de réformes démocratiques, du dialogue avec les mouvements papous, de la liberté de l’information et de l’ouverture du territoire aux reporters de la presse étrangère.
Cela signifierait que ce qui a valu deux mois et demi de détention et un procès à nos collègues ne deviendrait, à court terme, qu’un élément normal de la vie démocratique indonésienne.

Tout porte à croire à la bonne foi du nouveau président Jokowi. Reste qu’il lui faudra affronter les forces conservatrices locales, policières ou autres, et leurs soutiens politiques à Djakarta. Les mêmes qui viennent de lui montrer qu’ils n’étaient pas prêts à renoncer aux vieilles méthodes.
Si le nouveau président élu réussit. Alors, ce genre de procès, arbitraire, aura été le dernier. Et le journalisme et l’Indonésie en sortiront gagnants.

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