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Psychose en Algérie : de la main de l’étranger à celle du diable !

publié le 12/06/2025 par issam nazari

Une franco-algérienne qui récitait le Coran à voix basse échappe de peu au lynchage. Dans un pays gangrené par la suspicion où la « sorcellerie » est désormais inscrite… dans le code pénal

Murée dans un voile intégral


Elle avait choisi de venir vivre en Algérie, fuyant la France impie pour cette terre d’Islam. La fine silhouette se terre derrière un voile noir intégral, l’exil intime qui la protège du monde extérieur. Une fente dans l’armure, au niveau des yeux, laisse apparaître la blancheur de sa peau d’où jaillissent deux pépites noires qui scrutent le monde extérieur, comme un guet derrière sa meurtrière. Un corps citadelle.

Lors de son audition par la police d’El-Eulma, une ville située à environ 300 km à l’est d’Alger, dans la wilaya (département) de Sétif, on a appris qu’elle avait choisi de rester en Algérie contre l’avis de son père et de son époux, qui lui avaient enjoint de rentrer avec eux en France : « Autant dormir sur les cartons que d’y retourner. »

Délire collectif


La police, lors de son interpellation, l’a extirpée de justesse au milieu d’une foule hystérique, courant le long des rues pour s’ameuter autour d’elle tel un essaim d’abeilles, en accusant : « Sorcière ! ». Les paroles incompréhensibles qu’elle murmurait étaient données pour incantations sataniques, et l’écriture mystérieuse qu’elle gribouillait sur un papier, traduite comme des talismans maléfiques. La scène a été filmée par un curieux qui se tenait derrière elle dans une queue, à l’entrée de la piscine municipale. Diffusée sur les réseaux sociaux, la vidéo est devenue virale.

Lynché, brûlé vif, filmé


On apprend finalement que cette malheureuse Franco-Algérienne, qui accompagnait ses enfants à la piscine, n’avait pour tort que de ne pas maîtriser la langue arabe et ne faisait que réciter le Coran à sa façon tout en notant des mots qu’elle ne comprenait pas. L’auteur de la vidéo, qui a failli provoquer un drame, s’est publiquement excusé et l’émotion de ce qu’elle a dû subir a suscité une vague de protestations. Certains commentaires n’ont pas hésité à faire le lien avec le lynchage, en août 2021 en Kabylie, de Djamel Bensmail. Ce jeune artiste, venu prêter main forte contre les incendies de forêt, avait été faussement accusé d’être un pyromane infiltré. Il fut lynché, brûlé vif, filmé. L’affaire avait bouleversé l’Algérie entière. Et traumatisé la Kabylie.

« La main du diable »


La cause en est la même : un état d’esprit collectif chauffé à blanc par une propagande d’État. Les feux qui avaient, il y a quatre ans, ravagé les forêts de nombreuses contrées de la planète, n’étaient en Algérie rien d’autre que l’œuvre de « la main de l’étranger », celle du Maroc entre les mains du sionisme, qui emploierait les indépendantistes du MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, classé groupe terroriste) pour déstabiliser le pays.

Cette fois-ci, c’est sur fond d’une campagne récente de lutte contre la sorcellerie que les gendarmes ont été mobilisés à la recherche de talismans et autres grigris de magiciens dans les cimetières. Et les photos de dos de sorcières arrêtées pullulent dans la presse. La « main du diable ».

La « sorcellerie » dans le code pénal


Par force de loi, la sorcellerie a été officiellement reconnue dans un amendement, l’année dernière, du code pénal, qui aggrave les châtiments de sa pratique, pourtant déjà réprimée en tant que charlatanisme. Mais c’est dans tous les domaines que la lutte contre les maux de la société est soumise à une « politique de traitement de choc » que traduit une série inédite d’alourdissement excessif des peines, de procès expéditifs et de mobilisation des mass-médias. Et il en est de même pour la politique étrangère belliqueuse, où toute divergence est perçue comme un acte d’agression. Au désarroi intérieur s’ajoute l’isolement flagrant : un double repli sur soi.
C’est désormais dans ce climat de psychose qu’est plongée « l’Algérie nouvelle » de Tebboune. Une Algérie où réciter un verset dans une langue inconnue peut suffire à vous faire accuser de sorcellerie.


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