Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

RDA: ce pays dont personne ne voulait

publié le 17/05/2025 par Laurent Perpere

Pourquoi, tour à tour vaincus, libres, mais si longtemps oubliés, les Allemands de l’Est, durcis, restent amers face à l’histoire et à l’Occident

Les élections allemandes ont confirmé la permanence d’un vote spécifique dans les Länder orientaux, qu’il s’agisse d’une prévalence de l’extrême droite (AfD), d’un sursaut de la gauche radicale traditionnelle (Die Linke) ou des scores de la très originale Alliance Sahra Wagenknecht, dont le programme ressemble à une restauration du régime de la RDA.
La République démocratique allemande, née de la zone soviétique de l’Allemagne vaincue, jouit d’une piètre image en Occident. Entre 1949 et 1990, elle a duré plus longtemps que Weimar et le régime nazi réunis, à peine moins que l’Allemagne impériale bismarckienne, née en 1871 pour s’effondrer en 1918.


Vue comme une parenthèse de l’histoire allemande, déconsidérée par son absorption dans la RFA qui, pour beaucoup – au moins en Occident et sans doute en Russie –, était la « vraie Allemagne », elle se réduit le plus souvent à quelques clichés : Stasi, Trabant, mines de tourbe, costumes grisâtres et barbichette de Walter Ulbricht.
C’est le grand mérite de Katja Hoyer de redonner vie et sens à l’aventure de deux générations d’Allemands oubliés, souvent méprisés, et de redresser nombre d’idées reçues sur cette autre Allemagne.

Dès l’abord, la zone d’occupation soviétique avait peu d’atouts pour se bâtir comme nation.
Agricole, peu industrialisée, dépourvue de richesses naturelles hormis la tourbe – source d’énergie pauvre et polluante – et l’uranium ; refuge de nombreuses populations déplacées, paysannes le plus souvent, qui viennent s’ajouter à des campagnes déjà pauvres et désorganisées par la soviétisation ; saignée à blanc par la politique de réparations russe qui démantèle les infrastructures et prélève une part importante de la production.

Les élites communistes antifascistes allemandes sont décimées par la terreur stalinienne : seuls les plus alignés sur l’URSS, et qui y ont passé la guerre, ont une chance de survivre.
Plus encore, Staline, pendant longtemps, se résout difficilement à l’idée d’une partition de l’Allemagne : jusqu’au bout, il espère l’émergence d’une Allemagne neutre et démilitarisée, et n’accepte qu’avec réticence – toujours en réaction à des initiatives jugées dangereuses de l’Occident – la constitution d’un État socialiste allemand.

Malgré ces handicaps, la RDA crée dans les années 1950 sa propre identité, à l’ombre du voisin russe, et se fait une place de premier de la classe dans l’empire soviétique, même si ses citoyens, et surtout ses élites scientifiques et intellectuelles, continuent de regarder vers l’Ouest. Katja Hoyer raconte bien comment la construction du mur devient peu à peu la seule solution pour préserver la richesse humaine de ce nouvel État, au milieu des contraintes géopolitiques de l’époque.

La reconstruction des années 1950 a en effet porté peu à peu ses fruits. Elle a stabilisé l’économie et, du coup, consolidé le régime. On peut même, dans les années 1960, derrière le mur, parler d’une prospérité relative et d’un certain optimisme. La première génération née et instruite en RDA parvient à l’âge adulte : « c’étaient des jeunes gens et jeunes filles possédant une identité typiquement est-allemande, sans le bagage idéologique de leurs parents et grands-parents (…) La RDA s’inscrivait dans la durée, et sa population aussi, bon gré mal gré. »

La grande majorité de la population avait donc fini par accepter de vivre en RDA, au contraire des autres pays du bloc de l’Est. Dans les années 1960 et 1970 se construit et se développe un mode de vie original, mélange d’exaltation et de provincialisme : grands rassemblements de la jeunesse, vacances en Trabant au bord de la Baltique, succès des sportifs est-allemands, voyages organisés dans les pays amis, cercles de solidarité, émancipation des femmes… Mais bien sûr, à l’ombre du régime répressif de la Stasi, meilleur élève du KGB.

C’est bien une histoire unique que celle de la création d’une forte identité nationale, culturelle et sociale à partir de presque rien : des peuples défaits, une terre pauvre, un voisin écrasant. Katja Hoyer fait vivre cette étonnante entreprise en mélangeant anecdotes, analyses, chronologies, de façon très convaincante. Surtout, elle porte un regard empreint de sympathie sur ces hommes et ces femmes qui ont fait de leur mieux, sans jamais aucune complaisance pour les aspects mesquins, méprisables, souvent noirs, d’un régime construit sur l’enfermement et la terreur policière.

Et à vrai dire, on comprend mieux, après cette lecture, de quoi est fait le ressentiment des Allemands de l’Est après plusieurs décennies d’une liberté retrouvée certes, mais aussi payée d’un oubli forcé, oubli de leur part de labeur et de fierté, à eux aussi.

« Au-delà du mur »: Histoire de la RDA Broché – Illustré, 8 janvier 2025 de Katja Hoyer (Auteur), Martine Devillers-Argouarc’h (Traduction) -Editions Passés/Composés


Tous droits réservés "grands-reporters.com"