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Sahel : la contagion islamiste

publié le 04/06/2013 | par Jean-Paul Mari

Chassés du Mali, les djihadistes contre-attaquent au Niger.
Leurs cibles ? La grande mine d’uranium d’Areva à Arlit et, à travers elle, les intérêts français


La France est au Mali, les islamistes frappent au Niger. Logique. Incapables d’affronter l’appareil militaire français, les djihadistes ont fait ce qui était prévu : enterrer leurs armes près des frontières, fuir ou se raser la barbe pour se fondre dans la population des réfugiés, essaimer dans la sous-région, se reconstituer par katiba (unités combattantes). Et contre–attaquer dès que possible. La guerre est leur métier, le djihad leur raison de vivre, et de mourir.

Le 23 mai dernier, un premier attentat, le plus meurtrier, frappe une caserne de l’armée nigérienne à Agadez, à 1 200 kilomètres de Niamey, la capitale. Le protocole, classique et bien mené, démontre la compétence des organisateurs. On attend la relève de la garde et l’heure de la prière – renseignements et complicité locale – pour forcer l’entrée de la caserne. Trois assaillants s’y emploient, leurs ceintures bourrées d’explosifs. L’un se fait exploser dans une chambrée, les deux autres prennent des soldats en otage, histoire de faire durer l’action pour attirer l’attention au maximum.

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Les forces spéciales françaises interviennent. Bilan : une vingtaine de morts dont un civil. Très loin de là, à Arlit, la grande mine d’uranium d’Areva, « seulement » un mort et quatorze blessés dans un attentat prévu pour tuer beaucoup plus. Il ne reste plus rien de la voiture bourrée de 400 kilos d’explosifs qui est entrée à la bonne heure – renseignements et complicité encore – en suivant un bus d’employés dans la zone industrielle.

L’opération s’appelait « Abou Zeid », du nom du chef islamiste d’Aqmi tué au Mali. Le double attentat a été revendiqué par le Mujao, ancré dans la région malienne de Gao, et par « Les signataires par le sang », le groupe récemment formé par Mokhtar Belmokhtar, ancien d’Aqmi, qui a déjà signé la prise d’otages sanglante du complexe gazier d’In Amenas en Algérie. Trente-sept étrangers tués, un Algérien et vingt-neuf ravisseurs, un beau bain de sang.

Bilan de l’opération « Abou Zeid » ? La production d’uranium d’Areva en panne, la démonstration que le système de sécurité « Epée » – assuré par des privés, anciens légionnaires – ne fonctionne pas, une armée nigérienne qui a perdu plus d’hommes que dans ses opérations aux côtés des Français au Mali, et quelques conclusions à en tirer.

Un : Belmokhtar est bien vivant, quoi qu’en ait dit le président tchadien qui affirmait le contraire, et « le Borgne » est bien décidé à devenir le leader du djihad au Sahel. Notamment au Niger où il a très vite envoyé un de ses lieutenants étudier la possibilité d’installer sa base de combat. A force de vouloir le considérer, avec un brin de mépris, comme un simple voyou – le « Mister Marlboro » de ses débuts de contrebandier –, on a un peu vite oublié que l’homme est avant tout un combattant redoutable, un islamiste qui a perdu un œil en Afghanistan et un chef charismatique de katiba qui a su survivre, rebondir, s’allier avec les forces vives du Mujao et mener la plupart des actions spectaculaires de ces derniers mois.

Deux : les djihadistes sont donc présents et actifs dans toute la sous-région. Les soldats français – dit-on – en auraient tué 600 dans les montagnes du nord du Mali. Il y en avait 2 000. Le reste s’est éparpillé au Niger, dans le Sud libyen – qui ira les attaquer là-bas ? –, au Burkina Faso, en Mauritanie et dans le sud de l’Algérie.

Trois : ils sont partout, donc ils peuvent attaquer partout. Les Français le savent puisqu’ils sont en train d’installer toute une série de bases de forces spéciales dans les capitales du Sahel… qui les accueillent à bras ouverts.

Quatre : sur un axe qui va de la Mauritanie à la Somalie, en passant par le Mali et le désert du Niger évidemment, du Cameroun au Tchad et jusqu’au Soudan, zone explosive prise elle-même en étau par l’immense Algérie et le Nigeria en guerre, les ressortissants et les intérêts français sont sous le coup d’un raid des islamistes armés.

La France le sait bien même si elle ne le dit pas, elle vient de s’engager dans un combat difficile, de plusieurs années, dans lequel il faudra rendre coup pour coup, ne jamais perdre l’initiative, pour acculer les islamistes et les garder sur la défensive, faute de les réduire. Si la bataille du Mali est gagnée, la longue guérilla au Sahel vient de commencer.


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