Sarkozy: Un jour à Tripoli.
Notre envoyé spécial à Tripoli raconte la passionnante opération de communication de Nicolas Sarkozy. Carnet de bord.
La journée s’annonce passionnante.
Tout doit rester secret. Raison de sécurité. Tout ? Sauf qu’on ne sait rien.
Il vient. Il va venir. Chut ! Pas un mot. Dès hier, le représentant de la France à Tripoli organisait sa venue pour la presse.
Contacts, rencontres, échanges de numéros de téléphone… Et une consigne : tout doit rester secret. Raison de sécurité. Tout ? Sauf qu’on ne sait rien.
Nouvelle consigne : attendez près de votre téléphone. Il est midi ce mercredi, on attend. Jusqu’au soir. Jusqu’à la nuit. Toujours rien. Ah ! Si… De Paris, on apprend avec émotion qu’un flot de policiers accompagne le président et qu’ils sont habillés en civil, en jean, et munis d’une ration de combat, de trois litres d’eau et de six barres de céréales. Voilà du solide.
La nuit s’est passée sans autres nouvelles, mais au matin, « il arrive ! ». Enfin.
Le voyage du président passera par un hôpital de Tripoli, une rencontre avec le CNT et une conférence de presse au célèbre hôtel Corinthia avant un départ pour Benghazi et le retour à Paris. Que feront les envoyés spéciaux à Tripoli ? Ils auront le droit régalien à la conférence de presse. C’est tout ? Oui. La journée s’annonce passionnante.
« Tu le suis à Benghazi ? » – « Dieu merci, non. Je file cet après-midi sur Paris »
Cette fois, il arrive. Tout est en place. Les policiers de la sécurité française ont envahi l’hôtel Corynthia. Avec leurs homologues britanniques, plus les militaires libyens, cela fait beaucoup de monde. Mouvement de foule. Le président entre, reçoit un énorme bouquet de fleurs, affiche un grand sourire, secoue nerveusement son épaule gauche et, suivi d’Alain Juppé, s’engouffre dans un salon pour une réunion avec le CNT. L’attente reprend. Un conseiller présidentiel s’affaisse sur un fauteuil, blême, les yeux cernés, défait.
Ils sont tous comme lui. Une nuit blanche, un départ pour Orly à deux heures du matin. Sur le tarmac, deux airbus. Un A-320 et un A-330. Le staff présidentiel n’a plus qu’à attendre le président. Nicolas Sarkozy décollera vers sept heures trente du matin.
Discussion à la table voisine : – « le CNT va sûrement aider la continuation des frappes en arguant que le pays n’est pas encore libéré » – « Forcément, ils veulent gagner du temps. Ils ne sont pas encore prêts à gouverner… » – « Sauf que ça coûte cher. Chaque missile…Pff ! La France a déjà dépensé 350 millions d’euros. » – « J’avais cru entendre 370 millions ? » – « Peu importe, en période de restrictions, ça va finir par grincer dans le pays… » – « Tu le suis à Benghazi ? » – « Dieu merci, non. Je file cet après-midi sur Paris. Demain, à Strasbourg, il ira assister à un truc agricole. Pff…Je dormirai dans l’avion. »
Au sous-sol, dans la salle de conférence, on s’agite en vain. La conférence de presse a déjà du retard.
« One, two, three…Merci Sarkooouzy »
« One, two, three…Merci Sarkooouzy »… Les cris de remerciement des Libyens ont retenti agréablement aux oreilles du président lors de sa visite dans l’hôpital central de Tripoli. A l’entrée, un groupe de médecins et d’infirmières ont scandé quelques slogans à la gloire du président français et du premier ministre britannique David Cameron. Le tout, ponctué de vibrants « Allah Akbar ! », le cri de ralliement de tous les rebelles combattants en Libye. Sur des écriteaux, des slogans en arabe à la gloire de Sarkozy et de la révolution : « Le sang des martyrs n’a pas été versé en vain ! »
Dans les couloirs, ce fut le même enthousiasme, jusqu’à la cohue. Du coup, le président, qui ne boude jamais son plaisir, a passé une heure à rendre visite aux blessés de la révolution. Un homme touché au pied par un sniper, un enfant blessé par une grenade et, selon les reporters présents, des poignées de mains données avec ferveur.
Dehors attendaient cinq hélicoptères, Super Puma, Caracal et un Tigre, un appareil de combat pour assurer sa sécurité. Le groupe a décollé, survolant la ville en vol tactique, c’est à dire au-ras des toits de la ville, direction l’hôtel Corynthia, pour donner une conférence de presse. Dans les couloirs, les esprits chagrins ne manquaient pas de faire remarquer que ce voyage-éclair se déroulait le jour même du lancement du débat de primaires socialiste et la veille de la venue du Premier ministre Turc, Recep Erdogan, dont on connaît les ambitions sur les cœurs et les marchés des pays émergents du « Printemps arabe. »
Un coup de communication en France, un coup diplomatique à l’extérieur… « One, two, three…Viva Sarkoooouzy ! »
Cet homme veut entrer dans l’histoire
Enfin, on entre dans le dur : le message politique. Après la foule, les bravos et la visite des blessés, l’heure est à la conférence de presse et ils sont tous là, face aux caméras : Nicolas Sarkozy, David Cameron le premier ministre britannique, Moustapha Abdeljalil le chef du Conseil national de transition (CNT) et le numéro deux de cette instance Mahmoud Jibril.
Honneur aux Libyens. Le message est court et simple : Merci à « nos amis », – nos « amis », jamais « l’Otan », personne ne prononcera le mot durant toute la conférence, alors va pour « nos amis » -, avec une demande de soutien politique pour récupérer le siège aux Nations Unies et la « protection des civils », entendez, la persistance de l’action militaire de l’Otan, – pardon !, de « nos amis » – tant que des villes du pays seront occupées par les hommes de Kadhafi. Pour faire bonne mesure, le chef du CNT ajoutera un mot qui marque la volonté d’indépendance en précisant que les relations futures se feront « sans tutelle ».
C’est le tour de Nicolas Sarkozy. Il est l’homme fort du moment. Sans lui, personne ne serait là aujourd’hui. Ni le CNT, ni les Britanniques, ni même la presse, souvent irrespectueuse. D’ailleurs, il n’y aurait pas de conférence de presse ou peut-être serait-ce Kadhafi qui la tiendrait, non ? Quand ses troupes marchaient sur le réduit de Bengazi, c’est la France, c’est lui, qui a précipité l’intervention armée de « nos amis », des Britanniques et de l’Otan tout entière. Et sauvé les rebelles de Benghazi.
Nicolas Sarkozy sait tout cela. On le sent heureux d’enfoncer le clou, solennel, à la recherche de phrases fortes, à portée universelle. Le candidat à la présidentielle veut marquer des points ? Bien sûr. Mais cela va plus loin : cet homme-là veut entrer dans l’histoire. Il égrène rapidement la litanie obligatoire « touché par l’accueil du peuple libyen », « avec vous tant que la paix sera menacée », « aux Libyens de construire leur avenir », etc. Il roule des épaules « nous avons été les premiers à reconnaître le CNT » et tape du poing comme à son habitude, « Kadhafi doit être arrêté et inculpé. L’impunité, c’est fini ! ». Mais surtout, il cherche à prendre de la hauteur, scande : « La révolution libyenne est un message pour le 21ème siècle, elle va dans le sens de l’histoire, vers la paix, pas vers la guerre. »
Après lui, David Cameron adopte le ton, plus direct, d’une causerie entre amis, prévient qu’il aidera les Libyens à dénicher Kadhafi et réussit une jolie phrase sur le « Printemps arabe qui doit devenir un Eté arabe ».
Du coup, le président français pousse le bouchon un peu plus loin : « Je rêve qu’un jour, les jeunes Syriens connaissent la même chance que les Libyens et puissent dire que « la révolution pacifique, c’est pour nous ! » Pacifique ? Heu… Peu importe. Il est temps de conclure. Encore une phrase à connotation prophétique : « Je dédie notre visite à tous ceux qui croient que la Syrie sera un jour un pays libre ! » De l’action, encore de l’action.
Fin de la conférence. Le président français s’en va, le candidat à la présidentielle Nicolas Sarkozy aussi, les deux sont ravis de ce voyage-éclair à Tripoli.
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