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Semaine d’août de séjour à Conques en Aveyron

publié le 19/09/2019 | par Jean-Paul Mari

« Première nuit de voyage…agité ! »

Jusqu’ici, tout allait bien. Rendez-vous devant la gare d’Austerlitz pour un voyage de nuit en train. Ils sont tous là, ou presque. Sonia, du Togo, deuxième séjour, jeune et souriante. Samuel et Medhanie, deux Erythréens, minces et collés l’un à l’autre comme des frères d’exil, rapidement surnommés « les jumeaux » ; Raeed, soudanais, costaud, calme et discret ; Abies, du Nigéria, silencieuse, le nez sur son cellulaire ; et les « trois Grâces », Sunduz et Leila, deux Somaliennes enveloppées dans leurs voiles de couleur, l’air timide, peut-être un peu effrayées par l’aventure qui les attend, et Fadumo, du pays d’à-côté, Djibouti, voilée, un peu sur l’œil mais joli sourire. Ne reste plus que Deeq, somalien lui aussi, déjà venu à Conques mais qui a bien besoin d’un séjour supplémentaire. Lui nous rejoindra directement sur place avec Samia, l’art-thérapeute, une des clés d’un séjour réparateur.

Et les trois encadrantes, Camille, blonde et lumineuse, Aïda, brune et la gentillesse à fleur de peau. En attendant Marine, qui arrive demain. Oui, ils sont tous là et la météo s’annonce claire et ensoleillée. Et à Conques, le célèbre Frère Pierre-Adrien, œil bleu et robe blanche de moine, a déjà ouvert ses bras et les portes de son abbaye mythique à une bonne douzaine de groupes de personnes migrantes.

Allez ! En train. Arrivée prévue à 6H01 à Saint-Christophe – il y a des Saints partout dans ce coin ! – avant le transfert en voiture pour Conques. Demain, on prendra le petit-déjeuner à Conques ! C’est ce que l’on croyait…

« Vous êtes au courant ? ». Heu, non. Tout a changé. La SNCF ne nous a rien dit. Un peu d’enquête et on apprend qu’un subtil mélange de grève et de panne technique interdit l’arrêt à Saint-Christophe ou même à Rodez. Les voyageurs qui le souhaitaient ont eu l’immense liberté d’une interminable nuit d’autobus toute en virages jusqu’à destination. Les autres, pauvres ignorants comme nous, sont dirigés vers Toulouse, avec correspondance deux heures plus tard avec deux heures de voyage pour Rodez, et une autre correspondance lointaine à la mi-journée vers Saint-Christophe, et… un petit cauchemar à l’issue duquel on débarquerait notre groupe épuisé là où ils devraient se reposer. Merci la SNCF – 🙂

La nuit est trop courte, un snack à Toulouse offre un petit-déjeuner de gare et on cherche un moyen de se faire récupérer dès Rodez. Problème, nous sommes dimanche. Le Frère qui devait nous récupérer à l’aube doit assurer deux messes dans la matinée. Comment trouver en quelques heures de quoi transporter 11 personnes un dimanche matin ?

À Paris, Francesca et Roxane, maîtresses en logistique, s’activent. À Conques, le Frère Pierre-Adrien mobilise. Ce sera un transporteur privé, réveillé à l’aube, pour huit personnes. Les autres ? La solution s’appelle Biede, le père d’une famille de réfugiés érythréens installés à Conques. Son dos le fait souffrir, et c’est l’anniversaire de son fils Siem, 15 ans, il faut tout préparer pour la journée ? Tant pis. Biede saute dans sa voiture pour un long voyage aller-retour. Conques et ses petits miracles !

Il est onze heures à peine. Nous sommes installés dans une belle bâtisse à la Maison Familiale. Nos amis migrants battent des paupières. La vallée verte, la montagne qui vous offre son épaule maternelle, le magnifique village du huitième siècle sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, le magnétisme qui se dégage du lieu, aimant puissant, le silence et la paix. Enfin ! Nous y sommes.

Et jusqu’ici, tout va bien.

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Jour 1, dimanche : La magie de Conques.

C’est un fait. Tout arrivant à Conques, qu’il soit touriste, pèlerin ou migrant, fait le même geste en arrivant ici. On écarte les bras en prenant une grande inspiration et on expire en regardant la vallée devant soi. Comme si on retrouvait quelque chose de perdu depuis trop longtemps ou qu’on était enfin arrivé chez soi. « Les montagnes ! C’est Massawa, mon pays, c’est pareil ! » s’enthousiasme Samuel l’Erythréen. Bon, il exagère un brin. Massawa, je connais, c’est un port au bord de la mer Rouge, un chaudron à soixante degrés en été et des montagnes rouges et pelées. Mais, à y regarder de plus près, la forme des montagnes, la vallée encaissée, la rivière au fond… « Ah oui, c’est vraiment comme au pays », confirme Medhanie, l’autre Érythréen.

Conques est universelle. Son nom de coquillage, dit sa forme creuse et ronde, et son esprit, Conques la matrice qui accueille et recueille ceux qui s’y lovent en toute sécurité. Et en plus, c’est d’une beau ! Une architecture sophistiquée, un monument au mètre carré, une Abbaye qui mérite sa majuscule et le rempart de la montagne qui encadre des chemins pavés, façon chemin de ronde médiéval, et qu’on parcourt le soir comme un parcours intérieur.

Pour l’heure, il s’agir de nourrir la troupe. La cuisine de l’Abbaye est aveyronnaise, donc paysanne et roborative. Un régal, certes mais il faut répondre à nos particularités. Entre les vrais carnivores, les végétariens, avec ou sans poisson, les strictement Végan et quelques rares omnivores, il y a de quoi faire dresser les bigoudis sur la tête de la cuisinière ! Tout s’arrange. Et le repas terminé, les épuisés filent vers une petite sieste. Les autres restent à l’ombre. La météo est splendide mais la chaleur a des relents d’Afrique.

En fin d’après-midi, Frère Pierre-Hadrien nous entraine faire le tour des hommes d’art du village. Un artisan bijoutier, un forgeron, un sellier, un chapelier, un graveur sur papier, un atelier de soudure sur verre, or et argent, la magnifique librairie de Marie-Geneviève…on est reçu partout avec un grand sourire.
Explication : après une conférence sur les migrants et la création de LIMBO, les gens d’ici ont créé une association « Bienvenue à Conques ». C’est elle qui, entre autres, a favorisé l’installation de la famille de Biede, l’Erythréen installé au bas du village. Dans les rues en pente raide, on a un peu de mal à suivre Pierre-Hadrien, pourtant en simples sandales et lourde robe de moine. D’ailleurs, il doit s’envoler pour remplir son office. Et c’est Sonia la togolaise, déjà venue, qui nous guide sans hésitation pour le reste de la visite. Elle insiste sur la magie des papiers d’art gravés. Et rendez-vous est pris avec …pour un atelier démonstration ce mercredi.

Le dîner nous attend à l’Abbaye. Devant le réfectoire, la cour est encombrée des chaussures et des bâtons de marcheurs qui font le pèlerinage à Compostelle. Des semaines, parfois des mois de marche.
En soirée, la famille de Biede, notre chauffeur du matin, nous a invités dans leur jardin pour le dessert de l’anniversaire du fils aîné. On y retrouve ceux de l’association « Bienvenue à Conques ». Dont Yves et sa compagne, musiciens spécialistes d’instruments traditionnels. Il est presque minuit. Les épuisés se sont effondrés sur leurs lits mais les autres – dont l’inépuisable Frère Pierre Hadrien – dansent toujours en rond, en se tenant par la main, sous la lune et au son d’une vielle médiévale.

Depuis combien de temps sommes-nous à Conques ? Une semaine ? Non, à peine moins de vingt-quatre heures !

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Jour 2, Lundi : « Se séparer »

9H30 : après un copieux petit-déjeuner, on grimpe le sentier qui mène au sommet du village vers le « Centre européen de culture médiévale ». Pas si médiéval que cela avec son auditorium pour les concerts et une immense salle toute en baies vitrées qui donnent sur la lumière et la nature environnante. Parfaite. C’est l’heure de l’Art-Thérapie. Une séance essentielle, dirigée par Samia, prévue pour être quotidienne.

Il s’agit d’apprendre d’abord à s’écouter soi-même, à lâcher prise, non pas pour se ramollir, mais bien pour emmagasiner de l’énergie. Les premiers exercices, sous forme de jeu, commencent toujours par une expression personnelle associée au corps, se présenter par gestes, mouvement, déplacement dans l’espace. Puis par répéter, donc intégrer, ceux des autres. Une collection de gestes que tous vont reprendre ensemble. Pour aboutir à un geste commun.
Avec cette même méthode, les exercices sont infinis. L’objectif est de prendre conscience de soi – ce n’est pas si facile – exprimer le « Qui suis-je » « Où suis-je ? ».Avant d’être capable de regarder l’autre, en prendre soin, par un regard, un geste. Le chemin de pèlerin du migrant souffrant va de l’individu pleinement existant à la communauté. Être soi avec l’autre.

Pas facile pour des hommes et des femmes qui, pendant leur parcours d’exil, obsédés à avancer, à survivre, à aboutir, ont mis toutes leurs forces à ne pas s’écouter, qui ont du se forcer, parfois se martyriser pour continuer. Avec un seul objectif, à la fois rêve lointain et cauchemar, un mythe : l’Europe. Pas facile du tout pour ces jeunes hommes ou femmes qui sont passés par le désert du Soudan, les montagnes d’Afghanistan, les camps de torture du Sinaï ou de Libye, la Méditerranée mangeuse d’hommes, qui ont été parfois pendant des années menacés de mort, brutalisés, battus, vendus, violés, abimés…de réapprendre à vivre avec les autres sans les voir comme des bourreaux. Mieux, en les aimant.

À la fin de la séance, quelqu’un dit qu’il s’est senti, étrangement, lié aux autres comme dans une communauté. Ce n’est qu’un début. Le chemin est encore long. Mais, déjà naît l’idée qu’ils ne sont plus seuls au monde, que la vie n’est pas de s’enfermer, prostré, le nez dans le vide de l’univers virtuel de leur téléphone portable. Oui, la semaine d’Art-Thérapie s’annonce intense et ne sera qu’un début. Il s’agit de réapprendre à se retrouver, soi-même, soi et les autres, soi avec les autres. Réapprendre à se relier au monde. Réapprendre la vie.

Tiens, le corps justement !

Il fait un beau soleil d’été. Et la chaleur torride qui va avec. La rivière est à deux pas, au bas du village, après le passage du « Pont romain ». Le niveau n’est pas très haut, mais suffisant pour se baigner. On progresse sur les cailloux aigus du bord de l’eau et les strictement Vegan font la moue en voyant des pêcheurs d’écrevisses soulever les rochers.
L’inquiétude n’est pas là. Se baigner, s’immerger, se laisser aller dans l’eau, certes. Mais les réticences sont fortes. Notamment pour les « trois Grâces », les filles venues de Somalie ou du Soudan, enroulées jusqu’au front dans de longs voiles. On les encourage, on les taquine, on les aide à chaque étape. Un pied dans l’eau, deux pieds dans l’eau et…miracle ! Une demi-heure plus tard, tout le monde barbote dans une eau claire et fraîche.

Miracle ? Oui. Surtout quand on apprend que Samuel et Medhanie les « jumeaux » d’Érythrée ne s’étaient pas baignés depuis six ans. Et Raed, le Soudanais depuis dix ans ! Quant aux « trois Grâces », c’est plus simple. Ce bain est le …premier de leur vie ! Il faut leur apprendre à respirer, à sortir le buste au soleil quand elles ont froid, à barboter avec leurs voiles et à se laisser aller. Leurs visages ! Leurs regards ! Leur plaisir ! Camille, Aïda, Marine, Samia, les encadrantes écarquillent les yeux. Nous sommes estomaqués.
Ce n’est pas notre seule surprise. Celle-ci qui ne disait pas grand-chose depuis le début se met à bavarder. L’autre, fermée, qui buvait des yeux son téléphone portable, éclate de rire. Le troisième, discret et réservé, plonge du plus haut rocher dans la rivière sous les applaudissements…quelle matinée, quelle après-midi ! Couronnée le soir par le spectacle de l’illumination de l’Abbaye. Oui, c’est cela, une illumination.

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Jour 3, Mardi : « Une ombre passe »

Les bénéficiaires LIMBO des séjours à Conques ne sont pas de simples touristes, des vacanciers en goguette, venus aux frais de la princesse passer une semaine tout confort dans un des plus beaux villages de France. Ceux qui ne connaissent pas LIMBO ont parfois tendance à le croire. Un des – très rares – commerçants d’ici à faire la grimace en voyant passer un groupe a lâché un jour « Moi aussi, j’aimerais qu’on me paie des vacances ! » Ils ne savent pas, ont expliqué certains. Ils sont très malheureux, ont conclu d’autres, plus charitables.

Conques est un village chrétien et bienveillant, une Conque, une coque, un rempart contre la bêtise et la rancœur. Mais il y a parfois quelques fissures, Conques n’est pas hors du monde. Après tout, le Front National a frôlé les vingt pour cent dans le département.

Et il est arrivé qu’un estivant de passage maugrée en voyant notre étrange groupe, blanc, noir ou métissé, solides garçons, filles en short ou voilées jusqu’au front, déambuler dans ce lieu historique de pèlerinage. S’ils savaient, les pauvres ! La tentation est forte – mais cruelle – de leur montrer quelques photos de l’état dans lequel nos « vacanciers » sortent des camps de Libye.

À LIMBO, la difficulté n’est pas vraiment là. La plus dure des tâches est de sélectionner ceux qui auront la possibilité de venir ici. Dix-sept pour cent des réfugiés – chiffre officiel – arrivent gravement traumatisés en Europe. Prenez une règle de trois, multipliez et divisez par le nombre de migrants qui arrivent en France, et calculez le volume de la souffrance en attente…méchant devoir de vacances, non ?

À chaque fois qu’on apprend qu’un migrant, désespéré, s’est suicidé, nous sommes consternés et résolus à faire plus. La demande est infiniment plus forte que nos possibilités, même si tous nos bénévoles donnent tout ce qu’ils ont dans le cœur, et c’est souvent beaucoup. Reste encore à trouver les fonds, de nouveaux membres, de nouveaux trésors humains…

Non, ce ne sont pas de simples vacances à Conques. Témoin, ce jour, une ombre qui a plané sur la journée. Appelons la « Tanya », cette jeune femme dont la jovialité enchante le groupe. Elle était arrivée un brin fermée, nez dans son cellulaire. Et puis, dès son arrivée à Conques, s’était ouverte et on avait découvert une jeune femme drôle, taquine, joueuse, qui faisait rire les autres. Alors quand ce matin, elle est arrivée sans un mot, l’air sombre, grommelant qu’elle ne voulait pas participer aux activités, et d’ailleurs demandait à rentrer à Paris, tout le monde s’est regardé, interloqué.

Simple mouvement d’humeur ? Non. Sa tristesse, évidente, et son air bourru ont persisté toute la journée et n’ont pas cédé aux douces interventions des encadrants. Qu’est-ce qui se passe à l’intérieur de l’esprit d’un réfugié qui a vécu l’enfer ? Un cauchemar de la nuit, un démon du passé, une mauvaise nouvelle du pays ?

Dans ces cas-là, le plus sage est de respecter son désir de silence. En lui assurant notre soutien et notre affection tacites. Ce qui fut fait, avec un peu de tristesse de la voir se trainer toute la journée, sans un mot ou un sourire. Le plus gênant est qu’il suffit d’une ombre dans un groupe pour affecter l’atmosphère générale.

Ce que nous ne savions pas, c’est que le lendemain, Tanya réapparaitrait, souriante, détendue, joviale. Nous l’avions retrouvé ! L’ombre du passé s’était dissipée.

Le trésor de Conques

C’est frère Pierre-Adrien qui nous a guidés. Dans l’Abbaye du nom de Sainte-Foy, que les méchants Romains ont décapité et dont les ossements reposent ici. Dans le clocher auquel on accède par des escaliers vertigineux et une série de trous dans un mur vertical qui a fait renoncer – on les comprend ! – les « trois Grâces ». En haut, les cloches sont énormes, la vue époustouflante et les poutres de la boiserie – qui ont brûlé au 15e siècle, façon incendie Notre Dame – portent une poussière séculaire. Il a fallu arrêter nos « jumeaux » érythréens, chrétiens enthousiastes qui voulaient grimper jusqu’à la flèche du clocher ! Les filles, elles, ont regardé les yeux brillants le Trésor de Conques, amas impressionnant de statues, de reliquaires, d’autels portatifs, littéralement couvert d’or et d’argent, de perles et de diamants, certains venus de la Syrie antique.

Constantinople

Ce soir, nous avons été invités, gratuitement, au concert du groupe « Constantinople » par deux frères irano-québécois Kiya et Ziya Tabassian, arrivés adolescents au Québec. Groupe célèbre : 40 créations et concerts dans plus de 25 pays, qui puise dans le répertoire métissé, du médiéval au baroque et au contemporain, de l’Europe méditerranéenne à l’Orient. Plus de deux heures à entendre une musique divine, sur le thème : « Sous le ciel de l’Inde ». C’était beau, presque trop. Un à un, la plupart des membres du groupe ont commencé à s’écrouler sur leur fauteuil, ou à rentrer, vaincus par la fatigue. Parfois, on oublie à quel point ils ont besoin d’un profond repos.
Non, pour les migrants de LIMBO à Conques, ce ne sont pas de banales vacances.

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Jour 4, Mercredi : « Le papier, l’or et l’argent. »

Chose promise, chose due. La météo nous annonçait un bel orage, il a éclaté, avec force, mais délicatesse, en choisissant la nuit pour arroser la campagne. Ce matin, on respire mieux, il fait plus frais, l’air sent l’herbe mouillée et des fleurs des champs jaunes et rouges piquent les près alentour. Nouvelle séance d’art-thérapie à l’abri des gouttes. On progresse chaque jour un peu plus dans cette plongée intérieure et la connaissance des autres. Façon de se relier au monde. Surtout à Conques, puissante comme un aimant, un magnétisme tellurique qu’on sent vibrer jusqu’au bout de ses doigts. Une cure de l’esprit à Conques devrait être remboursée par la Sécurité sociale !

Les papiers magiques de Christiane.

Christiane, membre de l’association « Bienvenue à Conques », nous a invités à un mini-stage de gravure sur papier. En deux groupes distincts. Pour mieux voir. Au sous-sol, une grande presse, 350 kg par centimètre carré, des plaques de zinc enduites d’un vernis qui sent le miel, une pointe pour dessiner, de l’acide nitrique pour creuser le sillon gravé, des couleurs au choix pour enduire la plaque et un joli carré de papier blanc.
Le tout est passé à la presse d’un grand tour de roue et donne un résultat stupéfiant, une petite œuvre d’art aux couleurs aériennes. Au rez-de-chaussée, son magasin expose les œuvres. Et ça marche ! Pas de quoi s’enrichir, mais assez pour s’approvisionner en matériel et en peinture.

Christiane, artisane d’art, est heureuse dans son monde de papiers de couleurs. Et nous on l’embrasse de bon cœur quand elle nous en offre un à chacun !

Amélie, le verre, l’or et l’argent.

Deuxième atelier, cette fois dans le magasin d’Amélie qui manie le feu et l’or à une température de 1300 degrés ! Démonstration : Une flamme rouge-bleu, de fins tubes de métaux rares qui changent de couleur selon le taux d’oxygène délivré, une précision de bijoutier et l’art du verrier. Amélie a tout appris à Murano, la capitale du verre soufflé, situé sur une île au large de Venise. Chaque boule composite est chauffée puis refroidie dans des cendres froides jusqu’à 480 degrés. Ne reste qu’à ajouter l’or et l’argent pour obtenir des bijoux lumineux et délicats que les touristes s’arrachent.

« Moi aussi, je veux être souffleuse de verre ! », rêve Sonia la Togolaise. C’est vrai que l’antre de la sorcière fascine tout le groupe. Et les filles ont du mal à s’arracher aux trésors des vitrines. On reviendra. D’autant qu’on apprend qu’Amélie et Nicolas son compagnon n’en sont pas à leur premier métier. Lui était assistant social, elle…art-thérapeute ! On comprend mieux l’intelligence et le tact avec lequel ils nous ont accueillis.

De la démocratie…

Voilà une journée un peu bisounours comme on les aime aussi et qui promettait de s’achever par une soirée paisible. Sauf que… après le dîner, un débat spontané a agité le groupe assis en rond sur les bancs de pierre qui dominent la vallée. En substance, certains demandaient encore plus d’activités, sans temps de repos. D’autres arguaient de leur grand besoin de sommeil. Les « trois Grâces » suppliaient qu’on leur donne les pauses nécessaires pour changer de tenue – trois fois par jour – et faire leurs trois prières diurnes. Et les « jumeaux » érythréens, formés durement chez eux à l’armée qu’ils avaient fuie, auraient bien prévu le tour des sommets environnants au pas de course.

Ce qui est bien dans un débat, c’est quand il aboutit à des conclusions… totalement contradictoires. Les trois encadrantes, Aïda, Camille et Marine, ont déployé toutes leurs qualités de médiatrices et la solution LIMBO est apparue, claire et satisfaisante. Il y aurait des activités prévues sans interruption et ceux ou celles qui voulaient se retirer étaient libres de leur choix. Simple, non ? Alors tout le monde au lit ! Sauf ceux qui préfèrent veiller, bien sûr- 🙂

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Jour 5, Jeudi : « La route en chantant ».

Bien sûr, on les entendait chanter dans la grande « Maison Familiale » où nous sommes hébergés. Du matin au soir, dans les couloirs, en cuisine, au rez-de-chaussée où ils déambulent une partition à la main et dorment à même le sol sur des tapis de sol, dans le jardin, sous la douche…une manie. Et, en plus, ils chantaient superbement. Notre groupe dressait l’oreille. Une cinquantaine de choristes, jeunes, ouverts, simples, cela fait vibrer une maison. Et puis j’ai rencontré Thomas, leur responsable. Leur histoire et une belle histoire. Ils marchent ensemble, sac au dos, de village en village, chantent sur la route, s’arrêtent dans des lieux cultes, Rocamadour, Conques, et donnent des concerts. Thomas nous a invités à un repas commun. Formidable occasion de rencontre.

On s’est retrouvés après la séance d’art-thérapie dans le grand jardin. Ils avaient tout préparés, couscous, légume pour les uns, boulettes de viande pour les autres, ils avaient pensé à tout. Évidemment, le Frère Pierre-Hadrien était là, avec le Frère Damien, le dernier arrivé. Ah ! Celui-ci a une histoire particulière. Il est jeune, mince, blond, ouvert comme un frère, mais avec quelque chose dans les yeux qui dit une expérience du monde d’ailleurs.

On a parlé de voyages, et de la douce Fadumo, membre de notre groupe originaire de Djibouti. « Ah ! Djibouti… » -« Tu connais ? » – « Oui, j’étais en mission là-bas. » « Mais je ne connais pas de monastère à Djibouti ! » Il a souri. Et m’a livré la clé de l’énigme. Damien a passé dix ans dans la Marine nationale, un militaire, « Force et Honneur » ! Puis après avoir vu le monde, il a senti que sa place n’était pas là, avec un uniforme et un pompon rouge sur la tête. Et il a décidé d’opter pour la robe blanche de moine, celle des frères de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques, très ouverts sur le monde, qui partagent leur vie entre contemplation et fraternité.

Ainsi donc, Frère Damien naviguait à Djibouti. Quand ? Et sur quel navire ? Il se trouve que j’ai autrefois réalisé un reportage sur les pirates somaliens, et navigué à partir de Djibouti sur un bâtiment de la Marine nationale française, armé de gros canons jusqu’à la proue, chargée de surveiller la zone. Et nous découvrons tous les deux, en éclatant de rire, que nous étions sur le même navire au même moment ! Aujourd’hui, le matelot Damien, devenu Frère Damien, est un chrétien heureux.

Banquet et concert.

Et nous sommes tous à table ! Notre équipe LIMBO, les deux Frères, Aïda, Camille et Marine les trois encadrantes bénévoles, Samia l’art-thérapeute et les choristes qui nous pressent de questions sur l’épopée des migrants. Au dessert, petit concert gratuit avec tam-tam sur les bonbonnes d’eau vide, sans doute le plus beau repas de la semaine !
Il fait toujours aussi chaud. Direction la rivière pour une nouvelle baignade. Puis marché nocturne dans les rues de Conques. Et nous sommes invités au concert de la « Route chantante » où nous découvrons tout le talent des choristes dans une église pleine à craquer. Pour les membres de notre groupe, blessés, souffrants, dolents, ce chant céleste fait l’effet d’un baume réparateur.
Allez ! La vie, il faut la chanter !

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Jour 6, vendredi : Tous les chemins mènent à Conques.

Cela se voit à vue d’œil. Chaque jour, le groupe, dont aucun membre ne se connaissait auparavant, devient un groupe d’amis. Plus ouverts, plus proches, plus chaleureux. L’un parle de « sa famille », l’autre choisit de confier ouvertement à tous ses ennuis du moment.

Les petites attentions, les amitiés qui se nouent, les gestes d’affection qu’on ne retient plus, les engueulades aux allures de disputes familiales, entre frères et sœurs, les crises de fou-rire… Tout cet amour en eux !

On se pince en pensant ce qu’ils ont vécu, enduré, souffert et à ces signes de début de résilience. Début, bien sûr, on n’efface pas un séjour dans un camp de torture, des viols à répétition ou la mort d’un ami noyé sous vos yeux en quelques jours, aussi beaux soient-ils. Un long travail avec de vrais psy permettrait ensuite d’amener leur part d’ombre jusqu’à la lumière, d’en finir avec les vieux démons.

Ici, pour nous, il s’agit seulement – mais quel bond en avant ! – de les sortir des limbes, « LIMBO », et de tenter de briser cette spirale traumatique qui tire leur vie vers le bas,. C’est peu, c’est énorme. Mais quelle énergie, quelle force en eux ! Il est d’ailleurs temps de la dépenser.

À force de marcher

Départ en randonnée par le « Chemin des vignes ». Ciel bleu et soleil, une belle balade de deux à trois heures qui nous tutoyer les crêtes en pleine verdure. C’est physique et le corps respire. C’est gentiment sportif et tout le monde peut suivre. En tête, les « jumeaux » érythréens caracolent, mais tous s’attendent, se soutiennent, prennent soin l’un de l’autre.

Celui qui nous guide – devinez qui ? – est Pierre-Adrien. Le « Frère » nous annonce qu’il est venu en « Martin », comprenez en civil, jean et tee-shirt à rayures. Il ne se voyait pas randonner dans la gadoue en habit blanc immaculé de moine. Il en rit : « et puis comme cela, vous voyez qu’il y a un homme sous la robe ».

Au plus fort de la chaleur, une pause à l’ombre d’une cabane de bois. Quelqu’un raconte l’histoire de cet homme, Bernard, la soixantaine, qui a perdu brutalement sa femme dont il était éperdument amoureux. Dépression, la vie sans plus de sens, le futur comme un chemin de douleur obligée. Sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, il marche pour tenter d’oublier. Et rencontre deux adolescents délinquants à qui le juge a donné le choix : la marche ou la prison. Et ça fonctionne.

Bernard comprend que le besoin de liberté chez les jeunes est plus fort que le reste. Lui aussi a trouvé son chemin: aider les adolescents en rupture. L’association « Le Seuil » deviendra un modèle du genre.

Assis en rond autour du conteur, nos migrants écoutent. Et tous comprennent le message : on peut, on doit transcender sa propre douleur, pour en faire œuvre de vie.

Les cuisines du monde

C’est la tradition de LIMBO à Conques. En fin de semaine, ce sont les membres du groupe qui cuisinent. À leur façon. Il faut toute l’après-midi pour préparer le festin. Fadumo la Soudanaise fabrique des samossas à la main, Raeed, des aubergines à la crème, Abies, un riz safrané au poulet façon Nigeria et les « jumeaux » un injara, des crêpes fourrées à la viande et aux pommes de terres.

On manque de la traditionnelle farine de teff, tant pis, mais pas de piment, et les jeunes invitées du village de Conques ont les yeux qui larmoient en découvrant le feu du piment d’Érythrée.

Vingt-six personnes à table, un régal, un véritable festin de « Babette » à l’Orientale. Et des convives gavés qui n’arrivent pas à se quitter sans une longue partie de cartes qui se terminera tard dans la nuit.Demain…

Quoi demain ? On en parlera plus tard.

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Jour 7, samedi : « De la nostalgie dans l’air. »

Déjà ? Oui, déjà. La semaine est passée. Et maintenant, ce sentiment paradoxal que nous sommes arrivés hier, mais que c’était il y a un siècle. Parce que c’était intense. Un groupe de migrants et d’encadrants, qui ne se connaissaient pas, venus des quatre coins du monde et des quatre coins de la France. Un groupe hétéroclite, garçons et filles, certains plus fermés que d’autres, presque renfrognés, enfermés dans leurs pensées intérieures souvent noires.

Et puis, là, sous nos yeux, un groupe d’amis en vacances, qui plaisantent, rient, s’engueulent, se taquinent et passent leur temps à s’embrasser. Et l’un qui parle de « sa famille », l’autre qui écrit que « c’était la semaine la plus magnifique de sa vie ». Et le groupe de messagerie qui sonne toute la journée le carillon des « I love you », « Beautiful », « Je ne vous oublierai jamais ! », les adresses qu’on s’échange, le regret d’avoir déjà vu partir Dek qui rejoint une ferme de la région pour y travailler et nous envoie une vidéo de lui face à un feu de bois. Et Camille, partie vers le sud qui poste un superbe dessin au fusain de Conques.

Et aussi, hélas, cette angoisse que nos stagiaires avaient presque oublié : les papiers, la convocation qu’on attend pour l’entretien avec l’office des réfugiés, le résultat de la demande de droit d’asile qu’on attend depuis six mois, un an, deux ans. Accepté ou débouté ? Ces jeunes, pleins d’énergie et d’amour…qui aurait le cœur à les renvoyer chez eux?

Un café en Erthrée

Allez ! Oublions cela un instant. C’et l’heure de la dernière séance d’art-thérapie. Après le déjeuner, nous avons rendez-vous chez la famille érythréenne de Conques, modèle d’intégration réussie, tout simplement parce que les habitants ont su leur ouvrir les bras. Biede, le père solide et aimant, Yudit, la mère courage si douce, quatre gosses beaux et avides d’apprendre et un village qui ne peut plus se passer d’eux …C’est çà la « grande invasion » dont parle les partisans de la haine ?

La tradition des stages à Conques veut, avant de partir, que le groupe soit reçu pour un café chez la famille. Et quel café ? Fait à la maison à la mode érythréenne, doux, aromatisé et saupoudré d’une pincée de gingembre en poudre. Nos « jumeaux » retrouvent le pays, les autres découvrent le raffinement d’Asmara et sa douceur de vivre, d’avant la dictature. Siem, l’aîné, 15 ans, élève doué qui appris un français châtié en trois ans à peine, fait passer les gâteaux. Et on s’attarde plus qu’il ne faut.

Une gare en plein Far South-West

23H10 : De nuit, à Saint Christophe, face à la gare, deux rails, un kiosque, un panneau, un lampadaire, on se sent en plein Far West ! On a téléphoné dix fois à la SNCF pour éviter le marathon de l’aller (voir épisode précédent – 🙂 Yvon nous a conduits en camion et le frère Jean-Marc vient s’assurer que notre départ se passe bien.
On en profite pour parler fermeture de l’aciérie, d’exode rural et du travail des moines qui courent d’église en église pour assurer messes et enterrements. « Un bon curé de campagne », dit Jean-Marc « a toujours trois choses dans sa poche, un briquet, un canif et un chapelet. » Et des ouailles qui réclament un curé à demeure.
Sauf qu’on ne manque ni de prêtres ni d’églises, mais bien de pratiquants depuis quelques décennies. Tout se perd mon Père, sauf l’espoir !

Tiens, le train est là, et à l’heure. On se repartit dans les wagons en tenant compte des ronfleurs et des insomniaques – maintenant, on se connaît – et la nuit est trop courte.

Au petit matin blafard, nous voilà sur un banc de pierre de la gare d’Austerlitz, d’où nous sommes partis il y a une semaine. Belle surprise ! Roxane est là, avec des brioches et du café italien qu’elle a fait à l’aube, pour nous. Roxane et Francesca sont les logisticiennes de LIMBO. Elles veillent à tout, le train, le choix des stagiaires, les encadrants, l’hébergement, les coups durs…à tout, on vous dit. Toujours disponibles. Et en plus, on les aime !

Un SDF bien parisien mendie. Des voyageurs passent en détournant le regard. Mais nos migrants sans le sou lui offrent qui une brioche, qui un jus d’orange, qui quelques pièces de monnaie.
Bon, faut arrêter de tourner en rond. Il est temps de séparer. Deeq, le Somalien est déjà parti avec Samia et Camille. Restent Sonia, du Togo, Samuel et Medhanie, les « jumeaux » érythréens, Raeed, le soudanais, Abies, du Nigéria, et les « trois Grâces », S. et L., deux Somaliennes, et Fadumo, du pays d’à-côté, Djibouti. Et deux encadrantes, Aïda et Marine.

Pas question d’adieu. On se reverra. Mais pas facile de se dire au revoir.
Vous avez désormais notre amitié et notre tendresse.
Que la force soit avec vous ! – 🙂

(Textes de Jean-Paul Mari- Photos de toute l’équipe)

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