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Spiritualité – La gouroumania

publié le 31/03/2007 | par Olivier Weber

Pauvres ou riches, les Indiens se pressent en masse chez les gourous, véritables thérapeutes des âmes.


Le gourou a de grands projets pour son ashram. Et même, bien au-delà, pour l’humanité. Il est vrai que son entreprise de spiritualité, Art of Living, peut déjà d’enorgueillir de 2 millions de fidèles et de 20 millions de « clients ». En robe safran, trônant dans son temple entouré d’une belle pelouse soigneusement arrosée, à l’orée de Bangalore, Swami Sukhabodhananda n’en finit pas de conter les mérites de Prasanna Trust, son organisation. « Inspirateur et guide », comme le proclame sa biographie, le gourou, barbe courte et léger embonpoint qui déborde de sa chaise en bois, draine vers lui des hordes d’Indiens. « Dans l’ordre, annonce-t-il, avec un sourire de contentement : les hommes d’affaires, puis les gens des classes moyennes, enfin les masses. » Des vedettes du cinéma indien aussi, dont Amitabh Bachchan, élu star du millénaire par les auditeurs de la BBC. Au programme : « Un nouvel art de vivre ».

Le dernier séminaire a réuni 20 000 personnes. Des fidèles se prosternent à ses pieds lorsqu’il donne des lectures publiques, comme à l’hôtel Président de Bombay (cinq étoiles), où il a fait salle comble. Ses 40 livres, dont « L’auto-épanouissement », aux chapitres évocateurs – « L’esprit est paradis, l’esprit est enfer », ou « Le yoga de l’amour » -, se sont vendus chacun à 1 million d’exemplaires. Sans compter les 45 cassettes et 18 DVD que l’on s’arrache à la sortie des séminaires. CNN l’a invité, Kofi Annan aussi à la tribune de l’Onu, et le Forum économique mondial de Davos a déroulé le tapis rouge pour le saint personnage. Bref, il a beau prôner la fin de l’ego, Swami est une superstar et aime le faire savoir. « Son succès, il le doit à la méditation mâtinée de jargon du management », commente un journaliste d’India Today.

Comme lui, des centaines de gourous, swamis (saints en hindi) et maîtres divers attirent les nouveaux Indiens dans leurs ashrams et laboratoires des âmes. Souvent avec sincérité, parfois avec un penchant vénal pour le « gourou business ». Financiers, ingénieurs, surdiplômés stressés se pressent dans ces pyramides silencieuses de la concentration.

Sur un plateau verdoyant de l’Etat du Karnataka, un autre ashram courtise les foules. Planté dans un parc de 100 hectares à 1 000 mètres d’altitude, entouré de collines et de cocoteraies, le temple de Sri Sri Ravi Shankar paraît presque incongru : une triple rotonde qui coiffe un bâtiment kitsch de marbre, temple qui peut accueillir plusieurs milliers de personnes, bordé par un gigantesque amphithéâtre à ciel ouvert pour les grand-messes. Qu’on ne s’y trompe pas : ici, on étudie « l’état de la conscience pure ». Le maître de céans – il est vivement recommandé de l’appeler « Sa Sainteté » – règne sur une vaste entreprise, un laboratoire des âmes qui emploie 100 salariés et 250 bénévoles à temps plein.

Les recettes ? Des sessions de trois jours à quelques milliers de roupies -quelques dizaines d’euros, une belle somme en Inde – pour les autochtones et à 120 euros pour les étrangers. Certains y restent six mois. Carnivores s’abstenir : au pensionnat le régime alimentaire est strictement végétarien. Pas de thé, pas de café, aucun excitant, encore moins d’alcool. Au milieu de ses fidèles, Sri Sri Ravi Shankar, 50 ans, sourire perpétuel, cheveux longs, visage émacié et gestes augustes, évoque la non-violence, l’égalité, la justice pour tous. « J’ai toujours été une personne spirituelle », déclare l’« Instructeur suprême dans la voie du yoga » – c’est l’un de ses titres -, qui récite des textes sacrés depuis l’âge de 4 ans.

Art of Living connaît un tel succès qu’il a essaimé dans le monde entier. « 151 pays, et même dans les prisons du Brésil, des Etats-Unis et de Russie », assure l’administrateur, Digviday Chaudhary, diplômé d’une université du Texas et ancien concepteur en puces électroniques.

Les gourous se servent aussi à foison de la télévision. Depuis deux ans, sept chaînes spirituelles diffusent les cours de méditation et les secrets des maîtres. Un formidable vecteur de publicité pour la gouroumania, avec des séjours spirituels vendus jusqu’à 18 000 euros. La sagesse ancienne et la modernité font donc bon ménage. Avec des profits célestes pour les stars de la méditation.

© le point 06/07/06


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