Sport et dopage: Michel Pollentier « Une histoire de poire. »
une visite en Belgique à Michel Pollentier,
par Benoît Heimermann
La langue française est merveilleuse. Qui, sous le même vocable, désigne l’instrument litigieux et son utilisateur coupable. Ces fameuses “ poires ”, ici de plastique, là de chair, qui, un soir de juillet 1978, au sommet de l’Alpe d’Huez, s’ingénièrent, de conserve, à livrer au contrôle antidopage 200 millilitres d’une urine étrangère selon un procédé illégal. Qui ne se souvient de ce croquignole épisode ? De la tête de coupable obligatoire du pauvre Michel Pollentier ?
De son tuyau baladeur caché sous ses vêtements ? De la découverte du pot aux roses ? Et de l’opprobre finalement jeté sur la réputation même du Tour de France ?
Question de recul. Trente deux ans plus tard, sous le ciel bas de Nieuwpoort, en cette Belgique profonde où “ même un canal s’est pendu ”, au creux d’un garage sombre, le fautif est occupé – bleu sur les épaules, masse à la main – à changer les roues d’un 4X4.
On s’attendait à rencontrer un pénitent. C’est un battant qui surgit.
On s’attendait à rencontrer un pénitent. C’est un battant qui surgit. Épaissi et arrondi, mais volubile et loquace, le clin d’œil ouvertement complice. Promis, il sera tout à nous d’ici une petite heure, dès qu’il aura conclu son exercice. Il n’a pas parlé à des journalistes français depuis une éternité. Mais, prévenant, anticipe d’échange de bonne grâce.
Le cyclisme est sa vie, mais pas la nostalgie. Dans son dos, sur le mur, une photo du “ Team New Heebra Lombarden ”. Son club. Celui à qui il consacre tous ses temps libres. Une phalange de parfaits amateurs. Une marmite de beaux espoirs qu’il mitonne chaque dimanche avec plaisir : “ Je fais ça avec beaucoup d’intérêt. Cela me permet de rester en phase. Je dirige, je conseille, mais je me démène aussi pour rabattre les sponsors, améliorer le matériel… ”
Michel Pollentier n’est ni atteint, ni aigri. Il est ardent.
Dix minutes ont suffit à lever le doute : Michel Pollentier n’est ni atteint, ni aigri. Il est ardent. Dès sa carrière interrompue, il a tourné le dos au monde professionnel (“ trop stressant ”) et s’est démarqué de ses contemporains, à ses yeux, trop dépendants de leur gloire (de Vlaeminck, Van Impe et même ce cher Freddy Maertens, son ami de toujours, son voisin, beaucoup trop “ dilettante et volage ”).
Dans un coin du garage, une autre photographie dit l’essentiel de cet équilibre et de cette sérénité. Le futur vainqueur des Tours d’Italie, de Belgique, de Suisse, n’a pas vingt ans. Sa tenue est en tous points semblable à celle qu’il revêt aujourd’hui. Un atelier encore. Une roue à démonter toujours. “ C’était chez mon père. J’apprenais le métier. Le vélo m’occupait déjà beaucoup, mais je ne voulais surtout pas perdre la main et prévenir l’avenir. ”
Des violons d’Ingres ? Des voyages lointains ? “ Jamais.
Michel Pollentier n’avait pas encore raccroché (le 8 octobre 1984) qu’il avait déjà acheté un stock de pneus pour “ voir venir ”. Et évalué, au plus juste, l’étendue de ses avoirs : “ J’ai tout de suite investi. Acquis ce garage avant de reprendre mon boulot d’autrefois. ” De 7 heures à 17 heures, “ sans compter la paperasse ”. Des violons d’Ingres ? Des voyages lointains ? “ Jamais. Je ne me sens bien que chez moi. ”
Un territoire qui s’étend, au mieux, de Diksmut (où il est né) à Nieuwpoort (où il habite). Dix-huit kilomètres pas plus. “ J’ai une femme, une belle maison, un fils [Dimitri] qui bosse avec moi, un autre [Frédéric] qui est kiné à la ‘’Quickstep’’ : que voulez-vous que je demande de plus ? ”
“ Je sais que quand je mourrai, la presse ne parlera que de la ‘’poire’’.
Il faut écouter Michel Pollentier, voir battre ses mains noircies sur le plastique de la table de formica, accompagner ses évidences, admettre ses sincérités pour comprendre que le sport – mais oui – peut être une école. Celle de l’humilité, de la simplicité, du partage (les ex-fans du champion ne changeraient pour rien au monde de fournisseur). Du fatalisme aussi.
“ Je sais que quand je mourrai, la presse ne parlera que de la ‘’poire’’. Je suis marqué à jamais. Mais qu’importe. J’ai surmonté tout ça. D’abord peut être, et à l’inverse de la majorité, parce que j’ai reconnu ma faute. ”
Une contrition dont on n’a peut être pas mesuré, à l’époque, la force et, encore moins, la valeur. Le coupable était trop beau pour être absout. Ou, plus précisément, trop idéal. Disgracieux, déplumé, timide, hésitant. “ Quasimodo ” pour celui-ci. “ Zatoppette ” pour celui-là. Bouc émissaire inespéré et dégradé à l’instant même où il venait de décramponner le jeune Bernard Hinault finalement héritier du maillot jaune que lui-même venait de conquérir de si définitive façon.
Au 20 heures de TF1, Roger Gicquel ne pouvait qu’enfoncer le clou :“ Le Tour est sali… ”
Au 20 heures de TF1, Roger Gicquel ne pouvait qu’enfoncer le clou (“ Le Tour est sali… ”) : le sort du condamné sur mesure était scellé. Sauf que l’intéressé encaissa et se rebiffa : “ J’ai fait mes deux mois de suspension puis j’ai repris mon activité. ” Sans broncher, sans en rajouter. Il aura pu nourrir la polémique. Parler de “ pratiques courantes ”, de “ connivence avérée ”, de “ campagne anti-belge ”.
Évoquer comme ses lointains héritiers mille excuses, mensonges ou mystifications. Il préféra marquer un pas de côté et s’astreindre au silence. “ En avouant, j’ai fait ma part. Mes supporters, je crois, ont compris ça. Ce que je voulais, c’est dépasser cet événement. ”
“ Le plus beau cadeau que le cyclisme puisse faire à un Flamand. ”
Deux ans plus tard, le proscrit – aussi bon grimpeur que rouleur, on ne le soulignera jamais assez – signe sa plus belle victoire : un Tour des Flandres d’anthologie arraché du bout des pédales face aux coriaces Francesco Moser et Jan Raas. “ Le plus beau cadeau que le cyclisme puisse faire à un Flamand. ”
Si j’avais vingt ans, je reprendrais le cyclisme. C’est dur. C’est exigent. Mais s’est tellement beau. ”
Sous les combles du garage, une valise métallique, montrée du doigt en dernier ressort, tombe à point nommé pour circonscrire la belle leçon d’un homme qui n’aura finalement eu de cesse que de satisfaire un sacerdoce hérité de l’enfance. “ Dans ce coffre, il y a toute ma vie de cycliste, mes principaux maillots, le jaune du Tour de France bien sûr. Je ne vais jamais y fourrer le nez, mais elle est là. Si j’avais vingt ans, je reprendrais le cyclisme. C’est dur. C’est exigent. Mais s’est tellement beau. ”
Il est 19 heures. Le froid glace des sangs, la pluie tombe sans discontinuer. Et l’on imagine le champion que la mémoire restitue dégingandé mais fier à nouveau en partance. Son honneur en sautoir, sa conscience à la boutonnière et sa valise à la main.
Publié dans l’ Équipe Magazine en février 2015
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