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Syrie : le retour en force des imams

publié le 10/01/2025 par Malik Henni

Chassez le religieux, il revient au galop. Dans les manuels scolaires et les mosquées prévues dans les universités

Le grand flou demeure sur ce que deviendra la Syrie débarrassée du clan des Assad. Sa chute rapide et son remplacement à Damas par un ancien affilié d’Al-Qaïda, qui a gouverné plusieurs années la province d’Idlib, plongent le monde dans l’expectative. Les minorités religieuses et ethniques attendent de savoir quel sera leur sort dans un pays ruiné, où le virage islamiste de l’État pourrait leur porter préjudice. Le nouvel homme fort du pays peut bien abandonner son nom de combattant djihadiste, Abou Mohammed al-Joulani, pour celui d’Ahmed al-Chareh dans le civil, il n’en demeure pas moins un conservateur religieux.

Manuels scolaires expurgés

En témoigne le devenir des programmes scolaires. Symboles de l’endoctrinement des Syriens dans une propagande nationaliste, les manuels d’histoire sont déjà en cours de réécriture. Les longues pages dédiées à la gloire d’Hafez et Bachar el-Assad, dictateurs honnis, seront bien évidemment expurgées. L’histoire de la Syrie, qui fut la plus riche province des empires byzantin et islamique pendant des siècles, ainsi que celle de la nation syrienne devenue indépendante en 1943, ne se confondent pas avec celle de ces bouchers.

Mais le ministre de l’Éducation et ancien responsable de la province d’Idlib, Nazir Mohammad al-Qadri, a décidé que la purge ne devait pas s’arrêter là : les femmes de l’époque préislamique, comme la reine Zénobie de Palmyre, sont effacées. Les dieux des empires polythéistes ne sont plus mentionnés, non plus que le Code d’Hammourabi, le plus ancien texte de loi connu. La période ottomane n’est plus vue comme une « occupation » ou un « régime brutal », sans doute pour souligner le rapprochement avec le principal pouvoir islamique qu’était le califat.

« Juifs et chrétiens qui se sont écartés de la voie du bien »

Exit aussi la référence aux « martyrs du 6 mai 1916 », chrétiens et musulmans nationalistes exécutés par le pouvoir turc de Jamal Pacha à Beyrouth et Damas. Des traductions en arabe moderne du Coran sont également modifiées : « ceux qui ont encouru la colère et ceux qui se sont égarés » est devenu « Juifs et chrétiens qui se sont écartés de la voie du bien ». De quoi inquiéter les minorités et les femmes, malgré le communiqué du ministre qui assure que ces changements de programme ne concerneront que les écoles où les élèves sont musulmans.

Dans une interview, le ministre s’est justifié d’un changement encore plus radical : alors que les programmes précédents voulaient inculquer le respect de « la loi », le nouveau cursus l’a remplacé par « la charia », la loi islamique. « Quelle est la différence entre la loi et la charia ? », a demandé naïvement al-Qadri. Sans doute le fait que les standards démocratiques en matière pénale ont considérablement évolué en plus de 1 000 ans…

Les frères musulmans, proches des Turcs, arrivent en force

Les images de prière de plusieurs milliers d’hommes devant les universités de Damas marquent le retour d’une pratique interdite pendant le règne baassiste. Opposant au groupe HTS, soutien des élections libres et plurielles et très populaire, le Sheikh Osama al-Rifai est rentré après 13 ans d’exil et a été proclamé Grand Mufti de Syrie. Le HTS s’oppose à ce principe, en tout cas pour l’immédiat. Le Conseil islamique syrien, organisme des Frères musulmans et proche des intérêts turcs, envoie dans plusieurs zones du pays des religieux pour peser dans les mosquées et le débat public. Les religieux, exclus du jeu politique pendant plus de 50 ans, redeviennent centraux en Syrie.


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