Syrie : les plaies de la guerre civile
La violence persiste malgré la chute de Bachar el-Assad. Feu de paille ou cassure irréversible ?

La chute de Bachar el-Assad n’a pas mis fin au cycle de violence qui déchire la Syrie depuis 2011. Les Alaouites (10 % de la population) ont été visés dans leur bastion de l’Ouest du pays par des exactions dont les vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux : meurtres et actes de torture diffusés en direct, touchant en majorité des civils, sans qu’un décompte précis ne soit établi. Du 6 au 10 mars, jour de l’arrêt des opérations militaires décrété par le gouvernement de transition, plus de 1 300 personnes auraient été tuées. Des commandos de djihadistes étrangers (Turkmènes, Tchétchènes…) et des éléments pro-Turcs ont déferlé depuis toute la Syrie pour tuer des Alaouites à l’Ouest. L’Observatoire syrien des droits de l’Homme, reconnu pour son sérieux dans son travail sur la dictature, estime que les tueurs sont membres des forces de sécurité et de groupes affiliés. Comment le gouvernement a-t-il pu laisser faire ?
Un pouvoir islamiste sous pression
Depuis trois mois, l’islamiste Ahmad al-Chareh avait tardé à réunir les minorités religieuses et ethniques autour de la table. Il était plus préoccupé par la reconnaissance internationale de son nouvel État : trois jours avant les massacres, il a rencontré le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, à Damas. Aucune chancellerie ne le considère comme l’instigateur du bain de sang : Marco Rubio, la France et le Royaume-Uni l’appellent à « punir les coupables ».
Son discours appelle à l’unité nationale, mais il est sur le fil du rasoir : il doit ménager les plus radicaux, qui lui reprochaient l’amnistie proclamée, tout en pensant à l’avenir de l’État. Les représentants des Églises et des Alaouites se sont rapprochés du gouvernement, signe que sa légitimité n’est pas remise en cause. Les Kurdes de l’YPG ont d’ailleurs accepté de s’intégrer au nouvel État par la signature d’un accord lundi soir : un des verrous les plus difficiles pour la continuité territoriale syrienne a sauté.
Un régime Assad regretté ?
Cela fait-il du régime des Assad une époque déjà regrettée, où les minorités étaient protégées de la vindicte sunnite ? Les propagandistes de la dictature déclament cette antienne depuis des décennies, au mépris des faits. Les Alaouites étaient utilisés comme chair à canon par l’armée loyaliste jusqu’au dernier jour, et la pauvreté régnait dans leurs villages.
Après ces massacres, comment va évoluer la relation entre les minorités et le pouvoir islamiste ? Il est trop tôt pour le dire. Le développement d’une forte autonomie des régions sur des bases ethniques – que les Kurdes viennent d’obtenir, que les Druzes souhaitent créer et que les Alaouites pourraient à l’avenir demander – pourrait offrir un cadre intégrateur à la future Syrie pacifiée.
Au centre d’un jeu des puissances
Reste que la Syrie demeure au centre d’un jeu de puissances qui ne quitte pas l’esprit d’al-Chareh : porté au pouvoir par la Turquie, il se rapproche de l’argent saoudien tout en condamnant purement verbalement Israël et en négociant un possible maintien des troupes russes à Lattaquié. La flambée des tensions des derniers jours pourrait tout aussi bien n’être qu’un feu de paille que le prélude d’une cassure irrémédiable.
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