Témoignage : « Ne venez plus aux États-Unis ! »
Artiste arrêtée pour une erreur de visa, voyageur refoulé en raison de ses opinions… De plus en plus de visiteurs étrangers sont malmenés par la police des frontières américaine

« Le jeu n’en vaut plus la chandelle » affirme une journaliste britannico-palestinienne de The Guardian, résidente à Philadelphie qui, bien qu’elle soit elle-même détentrice d’une “green card”, ne se sent plus à l’abri.
Son témoignage:
Vous aimez vous faire passer les menottes et être fouillé au corps ? Promis, je ne vous juge pas, mais si ce n’est pas votre truc, évitez de partir en vacances aux États-Unis en ce moment. Je ne pense pas avoir besoin de vous le dire. À moins de vivre dans une grotte hermétique à toute information (si c’est le cas, quelle est l’adresse ? c’est possible d’y emménager ?), vous aurez remarqué que l’Amérique de Donald Trump n’accueille pas vraiment les visiteurs à bras ouverts.
Récemment, des Occidentaux blancs – qui échappent d’habitude au zèle des autorités frontalières états-uniennes – ont été placés en détention, expulsés ou interdits d’entrée sur le territoire pour des raisons bien obscures.
Dix-neuf jours en détention
Prenez le cas de Rebecca Burke, une artiste galloise de 28 ans qui a été détenue par les services de contrôle aux frontières (ICE) pendant dix-neuf jours, dans “des conditions atroces”, selon les mots de son père. C’est vrai, la jeune femme n’avait pas rempli les bons documents : c’est un visa de travail et non de tourisme qu’il lui fallait pour être hébergée par une famille d’accueil en échange de tâches ménagères.
Mais c’est inouï de se faire emprisonner pendant presque trois semaines pour une erreur administrative avant d’être expulsée par avion – et menottée ! – vers son pays d’origine, pourtant censé être un allié de longue date.
Les voyageurs transgenres dans la confusion
Plusieurs pays européens ont mis à jour leurs “conseils aux voyageurs”, notamment à l’adresse des personnes transgenres et non binaires désirant se rendre aux États-Unis, rapporte le site Axios. La Finlande, le Danemark et l’Allemagne “ont appelé celles-ci à la prudence à la suite du décret exigeant que le gouvernement fédéral ne reconnaisse que deux sexes”. Le ministère des Affaires étrangères danois écrit ainsi : “Si votre passeport porte la mention de genre X ou si vous avez changé de sexe, il est recommandé de contacter l’ambassade des États-Unis avant votre voyage pour obtenir des conseils sur la marche à suivre.”
Selon Newsweek, la France a également alerté ses ressortissants souhaitant aller aux États-Unis, leur expliquant qu’“ils sont désormais tenus de déclarer leur sexe de naissance lorsqu’ils remplissent une demande de visa ou d’autorisation d’entrée sur le territoire (Esta)”. De fait, précise The Hill, la confusion règne, “alors que le département d’État a suspendu une règle permettant aux Américains transgenres, non binaires et intersexués d’inscrire le sexe de leur choix sur leur passeport”. Si bien que les voyageurs “se demandent s’ils peuvent prendre l’avion en toute sécurité”.
Certains pays mettent en garde leurs ressortissants
La détention pendant deux semaines d’une Canadienne a également défrayé la chronique, après que l’ICE a repéré des irrégularités dans sa demande de visa. Deux touristes allemands ont aussi subi le même sort, et ont dû passer presque deux semaines dans un centre de détention.Certains pays ont donc revu leurs recommandations vis-à-vis d’un voyage aux États-Unis : la semaine dernière, l’Allemagne a mis à jour sa page de conseils aux voyageurs, qui explique désormais qu’un visa ou un permis ne garantissent pas l’entrée sur le territoire ; au Royaume-Uni, le ministère des Affaires étrangères souligne qu’il faut se conformer à toutes les exigences, car “les autorités américaines suivent les règles d’entrée à la lettre et, en cas d’infraction, vous êtes susceptible d’être arrêté puis détenu”.
Choisissez où dépenser votre argent
Pas la peine de redoubler de prudence, ne venez tout simplement pas ici. Pourquoi dépenser de l’argent aux États-Unis, qui menacent d’annexer leurs voisins et sombrent chaque jour un peu plus dans l’autoritarisme ? Croyez-moi bien, je ne dis pas ça à la légère. Le gouvernement et le peuple américain sont deux choses bien distinctes. La majorité n’a pas voté pour Trump, mais seuls 32 % du corps électoral. Dans le secteur du tourisme, ils sont nombreux à être horrifiés par les événements récents, et une chute du tourisme international pourrait les frapper de plein fouet.
Et pourtant, choisir où va son argent demeure un des outils les plus puissants à notre disposition. Continuer à le dépenser dans l’Amérique de Trump, c’est contribuer à normaliser du jamais-vu. Moi-même (une Britannico-Palestinienne détentrice d’une green card, un permis de résidence permanente), si je n’avais pas déjà ma vie à Philadelphie, jamais je n’envisagerais un séjour outre-Atlantique aujourd’hui.
Idées “polémiques”
Ma préoccupation du moment, c’est de savoir s’il est sage d’entreprendre un voyage qui me ferait interagir avec les autorités frontalières. Quand j’ai reçu ma green card il y a dix ans, après avoir déboursé plus de 11 000 dollars de frais et passé d’innombrables heures à remplir de la paperasse, je pensais ne plus jamais avoir à me soucier de mon statut d’immigrée.
Mais désormais, comme le montre bien la détention très médiatisée de Mahmoud Khalil pour son militantisme propalestinien, même les résidents permanents ne sont plus à l’abri. D’autant plus si (comme moi) vous avez exprimé des idées “polémiques”, du type : les Palestiniens sont des êtres humains ; Israël ne devrait pas avoir le droit de tuer des enfants en toute impunité ; le contribuable américain devrait s’indigner de voir ses impôts financer un génocide.
Un résident allemand forcé de subir, nu, une douche glacée…
Tenir votre langue sur la cause palestinienne ne vous sauvera pas non plus. Fabian Schmidt, résident permanent originaire d’Allemagne, a récemment été détenu et “interrogé violemment” par l’ICE – les agents l’auraient forcé à se déshabiller et à prendre une douche glacée – sans raison clairement établie.
Et bon sang, même les citoyens américains ne sont plus à l’abri. Trump a récemment menacé les manifestants contre Tesla d’expulsion vers une prison tristement célèbre d’El Salvador. Avant, je blaguais sur ma potentielle expulsion, mais ce n’est plus un sujet de plaisanterie – c’est devenu une éventualité à laquelle il faut se préparer.
Par Arwa Mahdawi, The Guardian (article republié dans Courrier International)
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