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Tkuma/ L’enfance d’une nation

publié le 24/09/2006 par Jean-Paul Mari

On en a le souffle coupé. Ce n’est pas dû, seulement, aux images d’Israël, de ses épreuves et de ses guerres. Ou au commentaire, froid et sec comme de l’acier trempé dans trop de tragédies. Non , ce qui stupéfait, c’est cette sobriété extrême, ce choix minimalise, précis et fin comme un trait de scalpel sur la chair d’un pays, l’énoncé en moins de deux heures, de toute l’histoire d’Israël et de sa création. Tout défile sous nos yeux, des premiers immigrants jusqu’aux lendemains des accords d’Oslo. Cela produit un effet étrange et fascinant. Ne respirez plus !Voici le jour où Israël est née, où la Palestine est morte, où Israël a failli disparaître. Ne respirez toujours pas ! Voici la bataille de Jérusalem, la guerre des six jours, l’Intifada. Ne respirez pas encore ! Voici l’assassinat de Sadate et de Rabin, voici l’histoire qui bascule, voici….Ce n’est pas un documentaire mais une succession de macros-traumatismes répétés, quelque chose comme une fin de round, où un boxeur déchaîné vous martèlerait pendant deux heures d’affilée . On reste K-O assis. Epuisé . Sans jamais, jamais, avoir envie de mettre les pouces.
Reprenons : en dix ans , les juifs sont passés de l’holocauste à la création de leur Etat ; en cinquante ans, ils sont passés de l’horreur, à l’espoir fou, au grand rêve enfin réalisé, et enfin au scepticisme le plus profond. Remarquez : un pays mythique né il y a un demi-siècle à peine, petit caillou poussé pendant des milliers d’années par des millions d’hommes aux quatre coins du monde, utopie incarnée, devrait fêter le cinquantenaire de son existence par des cérémonies bibliques . Israël devrait jubiler, exulter. Or, la fête semble ne se réduire qu’à un bilan. Sa foi chancelle. Comment triompher quand on a le succès, certes, mais sans la Paix. En quelques rafales d’images, le film nous livre tout ce qui va construire Israël, structurer son imaginaire, son paradis, ses obsessions et ses cauchemars. 1948…33 voix pour, 13 non, 10 abstentions à l’ONU pour la création de l’état. Tkuma, en Hébreu, veut dire renaissance. Et immédiatement la lutte pour la survie face à l’assaut des armées arabes. Moïse s’appelle David Ben Gourion : «des hommes comme cela, il y en a un tous les mille ou deux mille ans », dit un de ses compagnons de route. Il y a six mille morts au combat, un pour cent de la population d’Israël à l’époque. Fantôme de la Shoah…Israël, aujourd’hui encore, ne raisonne qu’en termes de survie. L’avenir passe par la sécurité et donc par la terre qui doit se peupler de juifs. Sécurité et immigration : voilà le dogme. En quatre ans, la population double ! En 1956, le détroit de Tiran est fermé par Nasser, les égyptiens s’infiltrent par Gaza : l’encerclement, la certitude de vivre sur un radeau juif perdu sur une mer arabe déchaînée, voilà un autre thème récurrent d’Israël. Des dizaines de nouvelles naissent, on pompe l’eau du lac de Tibériade. On la prend à l’autre. Nouveau conflit….La guerre de l’eau devient une guerre en soi, véritable nappe phréatique, cachée mais capitale, de toute discussion politique au proche-orient. 1967 : à nouveau, les armées arabes mobilisent. Guerre de trois heures où les chasseurs-bombardiers réduisent l’aviation égyptienne à un tas de cendres ; guerre de trois jours où Tsahal prend le Sinaï, Gaza, occupe la Cisjordanie et le Golan…Enorme victoire ? Oui. Mais aussi une catastrophe pour le million de Palestiniens qui se retrouve sous contrôle d’Israël . La Palestine n’est plus qu’un souvenir. Désormais, Israël se sent fort, imprenable. Il y aura d’autres guerres, l’OLP, Yasser Arafat, l’Intifada, guerre des pierres où les jeunes israéliens , un gourdin à la main, pourchassent des adolescents palestiniens, l’invasion du Liban, jusqu’à Beyrouth, le massacre de Sabra et Chatila, images sales où les officiers, les soldats, le peuple juif perd ses repères. Pourtant, des hommes tombent en faisant avancer la paix, Sadate après son voyage à Jérusalem ; Rabin, après sa poignée de main historique à Yasser Arafat . Tous deux tués par leur propre camp : « Le plus difficile n’est pas de faire la paix avec son ennemi, » dit Shimon Perez « mais d’arriver à un accord avec son propre peuple. Faire la paix nécessite des compromis. »
Meurtres, coups de génie et coup de théâtres, grandeur et crise morale…Le film de Nissim Mossek n’oublie rien ; Et c’est pour cela qu’il a provoqué un tollé en Israël. Parce qu’il a le courage de briser les slogans, en rappelant que la Palestine n’était pas Terra Nullius, que la belle phrase sioniste, « Israël, un peuple sans terre pour une terre sans peuple » est un mensonge historique. Parce qu’il rappelle que déjà, avant 1948, la petite communauté juive de Palestine achetait des terres aux arabes de la région et qu’ensuite on a confisqué par la force la moitié des terres arabes. Le film parle aussi des massacres dans les villages palestiniens, de noms arabes rayés de la carte, des réfugiés, des expulsions, de l’exode forcé, bref du drame palestinien. Pour une fois, sur les écrans de télé israéliens, on expose le réel, magnifique , cruel ou injuste, avec modération et sobriété, mais tout le réel. Ce qui fait bondir la droite et les colons qui crient à l’anti-sionisme. On menace de mort, on insulte les réalisateurs et le producteur, Ariel Sharon parle de « pure propagande arabe », la ministre de la communication a même demandé, sans succès, la censure de plusieurs épisodes. Il faut dire que le film va jusqu’à donner la parole à l’ennemi ! Après avoir traité les prises d’otages, les attentats, les détournements, le sang versé par le terrorisme, on entend des voix palestiniennes et israéliennes dire que le terrorisme était peut-être une étape inévitable, le recours à la force obligé, pour qu’un peuple retrouve ses droits et que les palestiniens puissent rentrer chez eux. Bref, le moment d’une lutte politique.
Dans un Israël puissant mais enfermé dans ses certitudes où on peut passer sa vie, loin des territoires autonomes ou occupés, sans même croiser un palestinien ; au moment où la masse des immigrants russes, si loin de l’histoire de cette région, s’installent en créant leurs propres journaux, leurs radios et leur parti ; où les religieux brandissent la Torah comme unique livre d’histoire, où le doute, le pessimisme, la crise morale secoue les partisans de la Paix, le film de Nissim Mossek, intelligent, sobre et lucide, est une belle pièce à verser au dossier du cinquantenaire d’Israël.

Jean-Paul Mari.


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