Trump élu : menace sur l’état du monde
Mauvaise nouvelle pour la paix. L’isolationnisme de Trump, son «pacifisme», ne peuvent qu’encourager les nations bellicistes
Dans À une sérénité crispée, publié en 1951, recueil de notes et de réflexions diverses, René Char écrit : « Nous sommes, ce jour, plus près du sinistre que le tocsin lui-même. » Aujourd’hui, peut-être, ce poète, homme courageux et lucide, résistant, trouverait que nous ne voulons même pas entendre le tocsin. Pourtant, il sonne aux quatre coins de la planète. Il est, paraît-il, du plus mauvais goût historique de vouloir comparer la « montée des périls » des années 30 à la situation mondiale actuelle. Pourtant, les analogies ne manquent pas : succès grandissant des idéologies d’extrême-droite, nationalisme exacerbé, visées impérialistes, course aux armements…
L’élection de Donald Trump accroît singulièrement toutes les menaces. Elle est un formidable cadeau fait à Vladimir Poutine comme à Benjamin Netanyahou. L’isolationnisme américain fera le bonheur de tous les ennemis de nos démocraties.
Et si les États-Unis se replient sur eux-mêmes ?
Leurs alliés diplomatiques et leurs partenaires économiques vont devoir apprendre à ne plus pouvoir compter sur les États-Unis. Le pacifisme de Donald Trump, qui se vante de mettre fin à toutes les guerres, consistera surtout à se montrer extrêmement conciliant à l’égard de ceux qui menacent leurs voisins, à toutes les volontés d’expansion des nouveaux empires. Au risque de les laisser agir, d’activer les conflits actuels et d’en créer de nouveaux. Aux mauvais souvenirs de la débandade afghane s’ajouterait une reculade généralisée. Le sens du rapport de force du nouveau président américain se limite aux questions économiques. Et là, son protectionnisme exacerbé, arme à double tranchant, risque aussi de créer de rudes tensions, d’affaiblir certes ses partenaires commerciaux, mais aussi l’Amérique elle-même.
Et si l’Ukraine renonce à se battre ?
Privée de l’aide américaine militaire et financière, combien de temps pourra tenir Kiev ? L’Ukraine aurait presque intérêt à réclamer un armistice et des négociations avant que l’avance russe ne se développe encore. Dans tous les cas, l’acceptation de fait d’une prééminence de la force contre le droit ne sera pas sans conséquence. L’OTAN, affaiblie par un retrait des troupes américaines d’Europe, aurait plus de mal à dissuader les Russes de mettre leurs envies d’invasion à exécution, contre la Géorgie, la Moldavie, voire les États baltes. Les appétits irrédentistes concernent non seulement la Russie, mais aussi la Chine. Les États de l’OTAN dotés d’une frontière avec la Russie augmenteraient encore leur effort de défense, réclameraient une totale rupture avec la Russie. Au grand dam de la Hongrie et de la Slovaquie pro-russes, mais aussi de l’Allemagne ou de l’Autriche prêtes au compromis. L’Europe pourrait ainsi se fracturer.
Et si Israël attaque l’Iran ?
Benjamin Netanyahou peut désormais en rêver. L’aide américaine sera totale avec Trump. Et il n’est pas sûr que le nouveau président américain ait, vis-à-vis de la stratégie américaine, les réserves du précédent. Stopper par la force le programme nucléaire iranien, mettre fin au régime des mollahs entre, pour le chef du gouvernement israélien, dans le domaine du possible. Ses succès sur le Hamas et le Hezbollah l’encouragent. Une offensive, très certainement aérienne, quel que soit son succès, ne resterait pas sans conséquence. La Russie laisserait-elle battre son allié iranien, qui lui livre des armes contre l’Ukraine ? Pourrait-elle accepter que le régime des mollahs chute et soit remplacé par un système politique et institutionnel proche de l’Occident ? L’armée russe présente en Syrie recevrait-elle l’ordre de menacer Israël ? Les États-Unis ne pourraient pas l’admettre.
Et si la Corée du Nord met ses menaces à exécution ?
Kim Jong-un promet à son voisin du Sud et à son allié américain le pire des sorts. L’alliance passée avec la Russie le conforte. Le 30 octobre, l’essai d’un missile balistique à très haute performance a permis d’évaluer ses progrès en matière de vecteur. Désormais, il pourrait atteindre la côte californienne. Mais les États-Unis ont surtout réagi avec vigueur à l’envoi de troupes coréennes en Russie vers le front ukrainien. Leur engagement provoquerait un changement de nature du conflit. Même si l’alliance de Pyongyang avec Moscou déplaît à Pékin, les Chinois ne semblent pas pouvoir retenir les Nord-Coréens. Or, les Américains soutiennent jusqu’ici le Sud depuis la guerre de 1953 où ils se sont engagés militairement de façon très importante. La question est de savoir si Trump maintiendra à Séoul un soutien sans faille.
Et si la Chine s’en prend à Taïwan ?
La course aux armements de la Chine est spectaculaire. Elle veut doubler sa capacité nucléaire pour la porter à terme à mille têtes. Sa flotte s’accroît tous les trois ans de l’équivalent de la flotte militaire française. Son agressivité en mer de Chine, et au-delà, est permanente : intimidation de navires croisant dans des eaux qu’elle revendique ; îlots occupés indûment et transformés en bases militaires, etc. Elle multiplie autour de Taïwan les exercices pour montrer sa capacité à faire le siège de l’île sinon à l’envahir. La puissance militaire chinoise inquiète. Mais l’Empire du Milieu ne va pas si bien. La croissance se traîne à 4,6 %. Les ventes au détail n’ont augmenté que de 2 %. Les investissements immobiliers ont baissé de près de 10 %. Plus grave, la démographie est catastrophique. En 2021, le taux de fécondité par femme dépassait à peine 1 %, soit la moitié du taux de renouvellement de la population. Une Chine affaiblie économiquement n’en est que plus dangereuse. Une bonne cure de nationalisme, voire un conflit, aide à oublier les tracas économiques. D’autant que l’animosité économique de Trump à l’égard de Pékin s’accompagne d’une vraie tiédeur quant à la défense de l’indépendance taïwanaise.
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