Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

Quand Trump joue au poker menteur avec l’économie mondiale

publié le 11/04/2025 par Pierre Feydel

Volte-face sur les droits de douane, manipulations, incertitudes. Les trumpistes crient au génie. Les autres, au délit d’initié. Mais la planète n’a plus aucune confiance dans les États-Unis

Le cœur ou le portefeuille ?

Donc Donald Trump aurait un cœur. Lorsqu’il annonce qu’il reporte, à 90 jours, les droits de douane pharamineux demandés aux uns et aux autres, et se limite à 10 % pour tout le monde, ce serait par pure bonté d’âme. Il aurait perçu une certaine inquiétude de la planète, voire des Américains, donc il renonce… momentanément.

La question est que le président des États-Unis a aussi un portefeuille. Lequel, chez lui, semble occuper justement la place du cœur. D’autant que la volte-face trumpienne est déjà entachée d’une forte suspicion de « délit d’initié » qui aurait permis à plusieurs de ses proches, sinon à lui-même, de s’enrichir grassement.

Wall Street s’emballe

Lorsqu’il poste sur son réseau social Truth Social, mercredi matin à 9 h 37 : « C’est le moment idéal pour acheter » – sous-entendu : sur les marchés financiers –, veut-il seulement conjurer le pessimisme général ou bien sait-il déjà ce qu’il va annoncer plus tard, à savoir un revirement sur les droits de douane, et donc certainement une envolée des cours de Bourse ? Et ceux qui savaient auront acheté lorsque les cours étaient au plus bas…

Et effectivement, les Bourses s’emballent quatre heures plus tard à l’annonce du report. Wall Street gagne 10 %. L’action Apple remonte de 16 %, celle de Tesla de 22 %. Elles ne récupèrent que la moitié, à peine, de ce qu’elles ont perdu depuis le début de la crise, mais quand même. Les places européennes et asiatiques suivent. Le soulagement est immense sur l’ensemble de la planète.

Une vidéo embarrassante à la Maison-Blanche

Mais l’hypothèse de la manipulation reste entière. Elle prend même de la consistance lorsqu’une vidéo montre, à la Maison-Blanche, Donald Trump félicitant deux hommes d’affaires amis d’avoir, l’un gagné 2 milliards de dollars, l’autre 900 millions. Et tout ça, grâce à lui, dans la journée.

Qui a bien pu stupidement laisser sortir cette quasi-preuve d’un délit d’initié, qui devrait inciter la SEC (Securities and Exchange Commission), l’organisme de contrôle des marchés aux États-Unis, à intervenir immédiatement ? L’osera-t-elle ?

Un délit d’initié ?

L’opposition démocrate, elle, a enfin trouvé un angle d’attaque. Elle se déchaîne au Congrès par la voix d’Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts, figure de l’aile gauche du parti, très vigilante depuis longtemps sur les fraudes financières, qui a réclamé la constitution d’une commission d’enquête parlementaire.

L’audition de membres de l’administration républicaine à la Chambre des représentants a provoqué des débats houleux, émaillés d’invectives diverses. Les profiteurs du supposé délit d’initié risquent entre 20 ans de prison et des millions de dollars d’amende. Bien sûr, le président serait à l’abri. En tout cas, le temps de son mandat.

Une manœuvre maquillée en stratégie

Dans ce climat politique et économique éruptif, les porte-cotons trumpiens célèbrent le génie de leur maître, qui bien sûr avait prévu de longue date ce revirement. Il s’agissait bien de bouleverser l’ordre commercial mondial et de pouvoir négocier enfin avec les 70 pays (chiffre non vérifiable) qui l’ont demandé. Les autres suivront.

Trump seul face à la Chine

Dans cette tragi-comédie très washingtonienne, les libre-échangistes à la Musk paraissent avoir gagné. Peter Navarro, le dur de dur protectionniste, très fidèle conseiller de Trump, a disparu dans les poubelles de l’Histoire. Mais rien n’est résolu.

Trump peut se vanter d’avoir isolé la Chine. Mais il est seul face à elle. Et leur combat à outrance risque de faire des dégâts collatéraux. « Lorsque les baleines se battent, les crevettes souffrent », dirait un proverbe chinois, certainement inventé.

Trump et ses conseillers – AFP

L’Europe en état d’alerte économique

En tout cas, les crustacés européens ont du souci à se faire. La hauteur des droits de douane entre Américains (+125 %) et Chinois (+85 %) empêche tout commerce. L’Empire du Milieu, premier exportateur mondial, incapable de consommer tout ce qu’il produit, va bien devoir trouver un exutoire. L’Europe est toute désignée. Elle se prépare d’ailleurs déjà à se protéger et garde en réserve sa riposte à Trump.

Une guerre économique froide s’installe

L’ensemble des flux de marchandises dans le monde est déjà en voie d’évolution. Les Européens envisagent d’augmenter leurs échanges avec l’Amérique du Sud, l’Inde et les pays du Sud-Est asiatique. Obnubilé par les « tariffs », Donald Trump semble avoir oublié toutes les misères que peuvent lui faire Chinois et Européens.

Déjà, Pékin a bloqué les exportations vers les États-Unis des terres rares indispensables à l’électronique et à la high-tech américaines. Les Chinois s’en prennent à des entreprises américaines qu’ils interdisent sur leur territoire ou dont ils entravent fortement l’activité. Les Européens peuvent aussi mettre la barre très haut pour contrôler les faits et gestes des GAFAM sur leur sol.

Tensions sur la dette américaine

À la guerre commerciale peut s’ajouter une guerre économique et financière. Lorsque le Japon et la Chine, qui détiennent de la dette américaine (35 000 milliards de dollars) sous forme de bons du Trésor, se sont mis à les vendre, les taux d’intérêt se sont mis à grimper. La dette risquait de coûter plus cher aux États-Unis et le dollar commençait à baisser. Trump n’avait pas prévu cette situation périlleuse qui affalait Wall Street.

L’Empire Trump vacille de l’intérieur

Certes, Donald Trump reste maître des horloges, pouvant à tout moment recommencer à rançonner le monde entier. Cette attitude de domination, ajoutée à son imprévisibilité, ne peut que conduire le reste de la planète, exception faite de son ami Poutine, à limiter les échanges économiques ou politiques avec lui. Il s’en fiche. Mais désormais, son pouvoir est aussi menacé de l’intérieur.

Menace sur l’OTAN, chantage sur l’Europe

Ceux qui l’ont convaincu de changer d’avis – une partie de ses conseillers, des grands patrons, des élus républicains – ont dû le persuader qu’il menait les États-Unis et le monde à la récession. Et que les conséquences politiques pouvaient lui être fatales en termes électoraux. Mais il peut recommencer sous d’autres formes, par d’autres biais. Il n’a, par exemple, pas exclu l’idée de lier la présence de troupes américaines en Europe à des concessions commerciales faites par les Européens. Un chantage de plus, grâce à un mélange des genres de plus.

Arrive-t-il à convaincre ? Pas sûr. Wall Street a rebaissé à l’ouverture, 24 heures après sa remarquable hausse de la veille. En économie, la confiance est essentielle…


Tous droits réservés "grands-reporters.com"