Trump, le petit soldat de Poutine
Politique, sécurité, business, économie, Trump, fasciné par Poutine a, comme candidat ou président, multiplié les déclarations ou les décisions favorables à Moscou

De sa campagne de 2016 à ses déclarations récentes, Donald Trump a adopté une posture atypique pour un président américain, en multipliant les gestes en faveur de la Russie de Vladimir Poutine. Sur le plan diplomatique, il a privilégié le lien personnel avec Poutine au détriment des alliances traditionnelles (OTAN, UE, G7). Sur le plan économique, il s’est montré disposé à alléger la pression sur Moscou, tandis que ses propres intérêts d’affaires brouillaient son message. Sur le plan militaire, ses réticences à confronter la Russie – en Ukraine, en Syrie ou au sein de l’OTAN – ont souvent renforcé la position du Kremlin. Enfin, dans ses déclarations publiques, il a sans cesse loué Poutine et minimisé les fautes de la Russie, y compris contre l’avis unanime de ses conseillers et alliés.
1. Politique et diplomatie
L’OTAN obsolète, l’UE ennemie, la Russie dans le G7
Dès sa campagne, Donald Trump prône un rapprochement avec Moscou. Il critique ouvertement les alliances occidentales au bénéfice d’une entente avec Poutine. En janvier 2017, avant son investiture, il juge l’OTAN « obsolète » car incapable de combattre le terrorisme (Reuters). De même, en 2018, il choque les alliés en qualifiant l’Union européenne de « ennemi » commercial des États-Unis – citant l’UE avant même la Russie ou la Chine parmi les adversaires économiques de l’Amérique (The Independent). Ce discours, qui affaiblit la cohésion occidentale sert objectivement les intérêts du Kremlin. Trump a par ailleurs plaidé pour réintégrer la Russie dans le G7 (ex-G8) dont elle avait été exclue après l’annexion de la Crimée. Il déclare qu’« c’était une erreur » d’en avoir expulsé Moscou et qu’il « adorerait les revoir [dans le G7] » (Reuters). En 2018 et 2019, il propose ainsi d’inviter Poutine aux sommets internationaux, malgré la réticence de ses alliés.
Bienveillant avec Moscou, brusque avec ses alliés
Sur la scène bilatérale, Trump adopte un ton remarquablement conciliant avec Vladimir Poutine. Il organise plusieurs rencontres de haut niveau (par ex. sommets de 2018 à Helsinki et de 2017 à Hambourg) en évitant tout affrontement public. En mars 2018, il appelle Poutine pour le féliciter de sa réélection, malgré des instructions écrites de ses conseillers de « NE PAS FÉLICITER » le président russe ni d’évoquer l’empoisonnement d’un ex-agent au Royaume-Uni. Trump n’a suivi « aucune de ces suggestions », éludant aussi le sujet des ingérences électorales ( Business Insider). D’après le Washington Post, il s’est limité aux « sujets de coopération » et a qualifié cet entretien de « très bon appel » (Business Insider). Cette bienveillance diplomatique contraste avec sa brusquerie envers de nombreux dirigeants alliés. Plusieurs sources ont également révélé qu’en 2018 Trump a envisagé en privé un retrait pur et simple des États-Unis de l’OTAN – ce qui « aurait pour effet de détruire » l’alliance et de « donner le plus grand succès dont Poutine puisse rêver » selon des officiels cités par le New York Times . S’il ne l’a pas mis à exécution, cette seule menace a semé le doute sur l’engagement américain en Europe, au bénéfice de Moscou.
2. Économie et affaires
Une Trump Tower à Moscou ?
Sur le plan économique, Donald Trump et son entourage ont entretenu des liens d’affaires importants avec la Russie, nourrissant l’idée d’une complaisance à l’égard de Poutine. Sa société Trump Organization a longtemps courtisé les capitaux russes. En 2008, son fils Donald Jr. admettait lors d’une conférence immobilière que « les Russes constituent une proportion assez disproportionnée de [leurs] actifs… « On voit beaucoup d’argent affluer de Russie » (Politico). Trump lui-même a organisé en 2013 son concours Miss Univers à Moscou, en partenariat avec des oligarques proches du Kremlin, et a cherché à y développer un projet de Trump Tower. Pendant la campagne de 2016, son équipe négociait discrètement la construction d’une Trump Tower à Moscou, au point que Michael Cohen, son avocat personnel, a admis avoir menti au Congrès sur ce sujet. Il avait affirmé que les pourparlers s’étaient arrêtés en janvier 2016, alors qu’ils ont en réalité continué jusqu’en juin 2016 en pleine primaire présidentielle (POLITICO). Cohen a même confirmé avoir contacté le porte-parole de M. Poutine (Dmitri Peskov) pour faire avancer ce projet (POLITICO). Ces intérêts financiers ont alimenté l’impression que Trump pouvait être indulgent envers Moscou pour des raisons personnelles.
Des transactions lucratives avec des milliardaires russes
Par ailleurs, Trump a noué des transactions lucratives avec des milliardaires russes. En 2008, il revend un manoir en Floride au magnat Dmitri Rybolovlev pour 95 millions de dollars, soit plus du double de son prix d’achat, établissant un record local (Business Insider). Si Trump assure ne « rien avoir à voir avec la Russie », ce type d’affaires – conjugué aux propos de ses fils sur l’importance des fonds russes – montre des liens financiers indirects mais réels. Une fois élu, sa position sur les sanctions économiques contre la Russie a été ambivalente. Officiellement, son administration a maintenu la plupart des sanctions votées après 2014, et même adopté de nouvelles sous la contrainte du Congrès. Cependant, Trump lui-même a régulièrement minimisé ces mesures. En juin 2018, il déclare ne pas exclure de reconnaître l’annexion de la Crimée et de lever les sanctions afférentes – « on verra » répond-il lorsqu’on l’interroge sur un possible assouplissement des pénalités imposées à Moscou.
« La Crimée devrait faire partie de la Russie car ses habitants parlent russe » Donald Trump
Cette même année, lors du G7, il aurait affirmé en privé que « la Crimée devrait faire partie de la Russie car ses habitants parlent russe », suggérant une justification de facto du coup de force du Kremlin. Sur le plan concret, son gouvernement a tenté début 2019 de relâcher la pression économique sur certains proches du pouvoir russe : il a levé les sanctions contre les entreprises d’Oleg Deripaska, un oligarque proche de Poutine, notamment le géant de l’aluminium Rusal, malgré l’opposition d’une partie du Congrès (Reuters). Ce geste – justifié par un accord réduisant la part de Deripaska dans ces sociétés – a eu pour effet d’adoucir les plus fortes sanctions prises contre Moscou depuis 2014 (Reuters).
Globalement, Trump s’est montré peu enclin à adopter de nouvelles sanctions et a souvent laissé entendre qu’une meilleure entente avec la Russie, via des accords commerciaux ou énergétiques, serait préférable à une confrontation économique.
3. Militaire et sécurité
Trump n’a jamais condamné l’annexion de la Crimée
Dans le domaine de la sécurité, les positions de Trump ont souvent semblé alignées sur les intérêts stratégiques russes. Concernant l’Ukraine, dès 2016, l’équipe Trump intervient pour édulcorer la ligne du Parti républicain. La plateforme du parti, qui initialement promettait de fournir des armes létales à l’Ukraine contre l’agression russe, est discrètement modifiée à la Convention : l’engagement se limite à offrir une « assistance appropriée » et une meilleure coordination avec l’OTAN, renonçant à armer directement Kiev. Cette attenuation, encouragée en coulisses par des délégués pro-Trump, va clairement dans le sens des intérêts du Kremlin en évitant de renforcer la défense ukrainienne. Une fois président, Trump a continué d’adopter une ligne relativement conciliante sur l’Ukraine face à Moscou. Il n’a jamais condamné fermement l’annexion de la Crimée. Au contraire, comme mentionné, il a laissé entendre qu’il pourrait l’accepter et a répété que « les gens de Crimée préfèrent être avec la Russie », brouillant le message de non-reconnaissance pourtant porté par la diplomatie américaine.
Blocage de l’aide à l’Ukraine
En 2019, son approche culmine avec l’affaire de l’aide militaire à l’Ukraine : Trump décide de bloquer près de 400 millions de dollars d’aide militaire pourtant votée par le Congrès, afin de faire pression sur le nouveau président ukrainien (Volodymyr Zelensky) pour des raisons politiques intérieures. Ce gel de fonds cruciaux pour la sécurité de l’Ukraine – engagée dans un conflit contre les séparatistes soutenus par Moscou – a conduit à sa mise en accusation (impeachment) pour abus de pouvoir . Bien que l’aide fût finalement débloquée sous la pression du scandale, l’épisode a démontré que Trump était prêt à conditionner le soutien à un pays frontalier de la Russie à ses intérêts personnels, au détriment du front commun contre Moscou.
Pour un retrait pur et simple des États-Unis de l’Alliance atlantique
Trump a également adopté des positions déstabilisantes vis-à-vis de l’OTAN, l’organe central de la sécurité transatlantique. Non content de fustiger les alliés « mauvais payeurs », il a publiquement remis en cause le principe même de la défense mutuelle. En juillet 2018, lors d’une interview, il suggère que défendre un petit pays comme le Monténégro pourrait *« finir en Troisième Guerre mondiale » parce que les Monténégrins seraient « très agressifs » (POLITICO). Ce doute émis sur l’automaticité de l’Article 5 (clause de défense collective) a semé l’inquiétude en Europe et ravi Moscou, qui cherche de longue date à éroder la crédibilité de l’OTAN. Parallèlement, des révélations en 2018-2019 ont indiqué que Trump avait à plusieurs reprises évoqué en privé un retrait pur et simple des États-Unis de l’Alliance atlantique (Vanity Fair). Un tel retrait, s’il avait eu lieu, aurait « effectivement conduit à l’effondrement » de l’OTAN et « offert à la Russie » la réalisation de son objectif stratégique de division de l’Occident (Vanity Fair). Bien que Trump ne soit finalement pas passé à l’acte, ses paroles ont pu affaiblir la dissuasion vis-à-vis de Moscou.
Le retrait de la Syrie : un cadeau à Poutine
Sur d’autres théâtres, Trump a souvent évité de contrer les initiatives de Poutine. En Syrie, il se concentre sur la lutte contre Daech et laisse en grande partie la main à Moscou et à son allié Bachar al-Assad. En décembre 2018, Trump annonce le retrait unilatéral des troupes américaines du nord de la Syrie, sans consultation des alliés. Cette décision est immédiatement saluée par Vladimir Poutine comme « la bonne décision ». De nombreux observateurs y voient « une victoire majeure pour Moscou », estimant que le départ des Américains sert directement les objectifs russes et iraniens dans la région (MIT Center for International Studies). Des diplomates russes se félicitent publiquement que des zones entières puissent « retrouver la paix maintenant que les troupes américaines sont parties », soulignant combien la présence des États-Unis faisait obstacle aux plans du Kremlin en Syrie (MIT Center for International Studies). De façon générale, Trump n’a pas cherché à contrer l’influence militaire russe au Moyen-Orient ou ailleurs – il a même parfois validé des positions russes, par exemple en reprenant l’argument de Moscou selon lequel les États-Unis aussi ne sont « pas innocents » dans les ingérences internationales. Ses quelques décisions allant à l’encontre des intérêts russes (frappe ponctuelle en Syrie après l’usage d’armes chimiques, vente de missiles antichars Javelin à l’Ukraine) furent limitées ou prises sous la pression du Congrès et de son administration, et non mises en avant par Trump lui-même.
4. Prises de position médiatiques et personnelles
Trump salue le « leadership fort » de Poutine
Tout au long de sa carrière politique, Donald Trump a multiplié les déclarations flatteuses envers Vladimir Poutine, tout en adoptant une attitude méfiante à l’égard des agences de renseignement américaines sur le sujet russe. Dès 2015-2016, en campagne, il salue le « leadership fort » de Poutine par contraste avec celui de Barack Obama, et affirme « si Poutine dit du bien de moi, je dirai du bien de lui ». Élu président, il continue sur ce ton inhabituel pour un dirigeant américain vis-à-vis d’un président russe. En février 2017, interrogé sur Fox News sur les exactions imputées à Poutine (opposants assassinés, etc.), Trump refuse de le condamner. « Poutine est un tueur », lui lance le journaliste Bill O’Reilly. – « Nous avons beaucoup de tueurs, nous aussi. Vous pensez que notre pays est si innocent ? » rétorque Trump (POLITICO). Par cette réponse, il établit une équivalence morale entre les actes du régime russe et ceux des États-Unis, un discours bienvenu pour la propagande du Kremlin. Le même jour, Trump souligne qu’il « respecte » Poutine en tant que leader et que « mieux vaut s’entendre avec la Russie que l’inverse ».
Le « respect » d’une « approche autoritaire du pouvoir »…
Trump encense l’homme fort du Kremlin, louant son « approche autoritaire du pouvoir » qu’il juge efficace ( POLITICO), et ne formulant quasiment jamais de critiques à son égard durant tout son mandat. Simultanément, Trump adopte une position de défiance vis-à-vis de ses propres services de renseignement lorsqu’ils pointent la Russie du doigt. Ce fossé éclate au grand jour lors du sommet d’Helsinki en juillet 2018. Debout à côté de Vladimir Poutine en conférence de presse, Trump est invité à commenter l’ingérence russe dans l’élection américaine de 2016, que toutes les agences US ont formellement établie. Il choisit de croire Poutine sur parole plutôt que ses renseignements : « Mes gens [les experts du renseignement] me disent que c’est la Russie… Mais j’ai le président Poutine qui me dit que ce n’est pas la Russie. Je ne vois pas de raison que ça le soit » déclare Trump publiquement). Il ajoute avoir confiance « dans les deux parties » et insiste sur la force du démenti de Poutine : « Le Président Poutine a été extrêmement ferme et puissant dans sa négation aujourd’hui »
Le désaveu de ses propres services au profit de Moscou
Cette scène, perçue comme un désaveu sans précédent des services américains sur la scène internationale, réjouit Moscou – le Kremlin la qualifiera de « succès » – et sidère Washington, y compris dans le camp républicain. Trump reviendra en partie sur ses propos face au tollé, mais sans jamais condamner explicitement la Russie. De fait, tout au long de son mandat, il a qualifié l’enquête du procureur spécial Robert Mueller (chargé de faire la lumière sur l’ingérence russe et les éventuelles complicités côté Trump) de « chasse aux sorcières » et de « canular », refusant d’admettre la réalité des opérations russes. Il a même entretenu publiquement l’hypothèse complotiste d’une ingérence ukrainienne pour disculper Moscou, contredisant ses propres conseillers. En somme, Trump a constamment minimisé ou nié la responsabilité du Kremlin dans les attaques contre la démocratie américaine, envoyant le message qu’il ne tenait pas Poutine pour responsable – au grand dam des agences de renseignement et au profit du récit russe.
Invasion de la Crimée par Poutine : « ce gars est très futé. C’est du génie »
Après son départ de la Maison-Blanche, Donald Trump a persévéré dans ses éloges envers Vladimir Poutine, voire durci son discours pro-Kremlin. En février 2022, à la veille de l’offensive russe en Ukraine, il salue la stratégie de Poutine avec un enthousiasme déconcertant. Sur une radio conservatrice, l’ex-président qualifie de « géniale » et « très avisée (savvy) » la reconnaissance par Moscou de deux régions sécessionnistes ukrainiennes, y voyant une manœuvre astucieuse de Poutine pour envahir l’Ukraine sous couvert de maintien de la paix. « Ce gars est très futé. C’est du génie », insiste Trump en louant la ruse du Kremlin, alors même que la quasi-totalité des dirigeants occidentaux dénoncent une violation flagrante du droit international. Ces propos ont été émis alors que des sanctions massives contre la Russie étaient annoncées par Washington et l’UE – Trump, lui, a jugé que l’attaque de Poutine découlait de la « faiblesse » de Joe Biden et a vanté la « détermination » du maître du Kremlin.
« Poutine est intelligent » et les dirigeants américains « stupides »
Cette attitude post-présidentielle s’inscrit dans la continuité d’une rhétorique personnelle très indulgente à l’égard de Poutine, que Trump oppose à son style abrasif envers les alliés de l’OTAN (POLITICO). Même confronté aux images de guerre en Ukraine, Trump n’a pas retiré ses compliments : il a affirmé que « Poutine est intelligent » tout en traitant les dirigeants américains de « stupides » – des déclarations reprises en boucle par les médias d’État russes. Enfin, fidèle à son refus initial de blâmer Moscou pour 2016, Trump continue de mettre en doute l’ingérence russe passée. Comme le rappelle la presse, il avait déclaré aux côtés de Poutine en 2018 qu’il « croyait » aux assurances du président russe niant toute implication dans l’élection. Cette constante remise en cause des informations de ses propres services au profit de la version du Kremlin constitue l’un des aspects les plus marquants de ses prises de position.
Son modèle: Poutine
Tout ceci fait de Trump le portrait d’un dirigeant américain singulièrement favorable à Moscou, rompant avec le consensus bipartisan de fermeté envers le Kremlin. Avant, pendant et après sa présidence, Donald Trump, petit soldat de Moscou, a souvent adopté des positions alignées avec son modèle : Vladimir Poutine.
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