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Turquie. Et à la fin, c’est Erdogan qui gagne

publié le 14/05/2025 par Malik Henni

Après plus de 40 années de lutte armée, le PKK annonce sa dissolution. Un tournant majeur dans l’histoire kurde, qui consacre la victoire stratégique d’Erdogan

La demande d’Abdullah Öcalan a été entendue. « Apo », oncle, comme l’appellent ses partisans, a appelé depuis sa prison d’Imrali, en mars, à la fin de la lutte armée du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK. Les négociations avec l’État turc et le bras droit d’Erdogan, Abdullah Öcalan, avaient commencé à la fin de l’année dernière, dans un contexte de harcèlement et de pression renforcés de la part des forces armées et policières turques envers les membres du Parti de l’égalité et de la démocratie des peuples (Halkların Eşitlik ve Demokrasi Partisi, DEM), parti soutenant la cause kurde. Assis derrière une table, Öcalan apparaît pour la première fois aux yeux du monde après un isolement disciplinaire de douze ans et est formel : « Tous les groupes doivent déposer les armes et le PKK doit être dissous. »

L’appel a été entendu, et ce lundi 12 mai, la direction du PKK a entériné sa disparition. Le Conseil exécutif du PKK a déclaré : « Le moment est venu pour notre peuple de continuer sa lutte par des moyens politiques. Notre mission armée prend fin. »

Une page se tourne dans la lutte kurde

La géopolitique de l’ensemble de la région s’en retrouve bouleversée. Il faut dire que le PKK et sa lutte dataient d’un autre temps : fondé en 1978, devenu une milice armée en 1984, ce parti d’extrême gauche, marxiste-léniniste, avait pour but de former un Kurdistan indépendant. La misère y a depuis reculé, une classe moyenne y a émergé, et son parti légaliste obtient 10 % des voix au niveau national. Le parti a usé de méthodes terroristes, dont des attentats-suicides, ce qui a justifié son placement sur la liste des organisations terroristes par les pays occidentaux et l’Union européenne. Öcalan lui-même a été arrêté par les Turcs grâce au soutien des renseignements israéliens.

Selon les chiffres du ministère turc de l’Intérieur, confirmés par l’ONG International Crisis Group, le conflit a coûté la vie à plus de 40 000 personnes, dont une majorité de civils kurdes, pendant ces quatre décennies de guerre.

Une paix encore fragile

Et maintenant ? Le processus de paix est enclenché, mais son succès n’est pas garanti. Un premier cessez-le-feu en 2015 n’avait pas tenu, et les combattants ne quitteront pas les montagnes, et encore moins leurs bases arrière au Kurdistan irakien, avant que des mesures législatives concrètes ne soient votées. La libération des prisonniers politiques, dont l’arrestation avait été motivée par leur lien avéré ou supposé avec le PKK, serait au programme. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a réclamé en janvier 2025 « la libération de tous les détenus incarcérés sur la base de simples affiliations politiques ou accusations sans preuve solide de participation à des activités terroristes ».

Pour l’heure, Erdogan est resté en retrait de ce dossier et n’a pas donné de feuille de route. Pour Selahattin Demirtaş, ancien coprésident du HDP (Parti démocratique des peuples) et figure majeure du mouvement kurde, actuellement emprisonné, « la paix ne peut se faire sans reconnaissance politique du peuple kurde. Dissoudre le PKK ne suffit pas. Il faut une solution démocratique complète, incluant les droits linguistiques, culturels et une autonomie locale ».

Erdogan, dictateur et stratège

Depuis 2020, l’influence de la Turquie dans son environnement immédiat bénéficie de garanties de sécurité jamais vues. La Russie a perdu ses positions avancées dans le Caucase avec la fin de l’alliance arménienne en 2021, son allié syrien est tombé en décembre 2024, et sa flotte de Sébastopol est fixée par les forces ukrainiennes. L’héritier de la Sublime Porte se paie même le luxe de proposer d’accueillir les pourparlers entre Russes et Ukrainiens, tandis que les relations avec l’UE se sont passablement réchauffées depuis le retour de D. Trump.

Et sur le plan interne, la mort de son ennemi juré, l’imam Fethullah Gülen, fin 2024 en exil aux États-Unis, pourrait affaiblir son vaste réseau que le pouvoir ne cesse de qualifier de terroriste.

L’ élection 2028 en ligne de mire

Fort de ses succès, Erdogan veut se représenter à l’élection présidentielle de 2028 (il aura 74 ans) et estime avoir besoin d’une paix avec les Kurdes pour faire passer la réforme constitutionnelle nécessaire. Ces derniers n’étaient d’ailleurs pas dans les cortèges de protestation contre l’embastillement du maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu. Malgré les déboires économiques, Erdogan pourrait alors se maintenir au pouvoir, lui qui tient les rênes du pays depuis 2003.

A lire aussi : Ocalan, le prophète enchainé


📌 Chronologie du PKK : de la lutte armée à la dissolution

  • 1978Fondation du PKK
    Abdullah Öcalan crée le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à Diyarbakır. Le mouvement est d’inspiration marxiste-léniniste, avec pour objectif l’indépendance du Kurdistan.
  • 1984Début de la lutte armée
    Le PKK lance ses premières attaques armées contre l’État turc dans le sud-est anatolien. Début d’un conflit long et meurtrier.
  • 1999Arrestation d’Abdullah Öcalan
    Capturé au Kenya avec l’aide des services secrets américains et israéliens, Öcalan est condamné à mort, peine commuée ensuite en prison à vie sur l’île d’Imrali.
  • 2004Reprise des hostilités
    Après une trêve unilatérale de plusieurs années, le PKK relance ses opérations militaires, face à l’échec des négociations avec Ankara.
  • 2013Début du processus de paix
    Depuis sa prison, Öcalan appelle à un cessez-le-feu et à une « lutte démocratique ». Retrait partiel des combattants vers l’Irak.
  • 2015Effondrement du dialogue
    Le cessez-le-feu est rompu après les élections turques. Les violences reprennent avec intensité dans les villes kurdes.
  • 2024Nouveaux pourparlers discrets
    Des contacts sont rétablis entre les émissaires du MIT (services turcs) et les représentants kurdes.
  • Mars 2025Appel d’Öcalan à la dissolution
    Depuis sa cellule, Öcalan déclare que « l’ère de la lutte armée est terminée ».
  • 12 mai 2025Annonce officielle
    Le PKK annonce sa dissolution. Le mouvement affirme vouloir poursuivre son combat par des moyens exclusivement politiques.

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