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Ukraine : quand les frappes russes visent les hôtels de journalistes

publié le 17/05/2025 par grands-reporters

Depuis le début de l’invasion russe, au moins 31 attaques ont visé des hôtels en Ukraine. Objectif : intimider les journalistes les réduire au silence

Les hôtels devenus des cibles

Entre février 2022 et mars 2025, 25 hôtels ukrainiens ont été visés par des frappes russes, selon un rapport conjoint de Reporters sans frontières (RSF) et de l’ONG Truth Hounds. Le rythme s’est intensifié depuis fin 2023, avec un pic entre août et octobre 2024.

Ces établissements n’étaient pas choisis au hasard. « La majorité hébergeaient des civils : journalistes, humanitaires, déplacés », observe Pauline Maufrais, chargée de mission RSF en Ukraine. Seul un cas – le Profspilkovyi Hotel de Tchernihiv – présentait une présence militaire confirmée. Dans tous les autres, aucune cible militaire évidente n’a pu être identifiée.

Journalistes blessés, logistique entravée

Vingt-cinq professionnels des médias ont été blessés lors de ces attaques. Un d’entre eux, Ryan Evans, conseiller sécurité britannique pour Reuters, a été tué le 24 août 2024 dans la frappe contre l’hôtel Sapphire à Kramatorsk. « Ces attaques sapent directement la capacité des journalistes à travailler dans les zones de conflit », alerte RSF.

Un sondage mené auprès de 80 journalistes montre une baisse drastique de la fréquentation des hôtels en zone proche du front. Près de deux tiers des reporters ukrainiens disent désormais éviter ces lieux. Un sur huit affirme que leurs rédactions ont suspendu toute couverture en zones à haut risque.

« Une stratégie pour décourager les témoins »

Les horaires des frappes – souvent de nuit – et le recours à des missiles de précision (Iskander 9K720, missiles de croisière) montrent une volonté de faire des victimes. « Une stratégie de la terreur pour dissuader la présence d’observateurs indépendants », résume un analyste de Truth Hounds.

Les sources russes justifient ces attaques en affirmant viser des « mercenaires étrangers ». « Ce discours revient à assimiler les journalistes à des combattants, ce qui constitue une violation grave du droit international humanitaire », dénonce Antoine Bernard, directeur plaidoyer de RSF.

Kryvyi Rih, l’épicentre

La ville de Kryvyi Rih a été frappée cinq fois en quelques mois. Les hôtels Druzhba, Park House ou Tsentralnyi – tous utilisés par des journalistes ou des humanitaires – ont été touchés. Dans plusieurs cas, les missiles ont frappé à quelques dizaines de mètres des cibles, voire ont visé deux fois de suite (« double tap »), technique prohibée par le droit de la guerre.

« Le missile a secoué tout le bâtiment, soufflé les fenêtres, les portes. Je n’ai vu aucun militaire dans l’hôtel ce soir-là », témoigne Matilde Kimer, journaliste danoise présente lors de l’attaque du Park House.

Appel à la justice internationale

Le rapport conclut à de possibles crimes de guerre, notamment pour « attaque délibérée contre des civils » et « terreur contre la population civile ». Il recommande des poursuites, y compris devant la Cour pénale internationale. « Les États doivent user de leur compétence universelle pour juger les crimes visant les journalistes », martèle RSF.

Au-delà des condamnations, c’est la capacité des journalistes à couvrir les conflits en toute sécurité qui est en jeu. « Sans eux, pas de transparence, pas de responsabilité », rappelle le rapport. À défaut de protection, les frappes risquent de faire taire ceux qui racontent la guerre.


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