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Vie et mort du Soft Power

publié le 10/05/2025 par Pierre Haski

« Hard » ou « Soft » Power? l’un est militaire, l’autre une influence douce. Trop subtil pour un Donald Trump. Avec lui, le concept risque de souffrir ou de disparaître …

« Le Soft Power va souffrir dans les quatre prochaines années », avait écrit Joseph Nye dans un récent article critique du président américain.

Il arrive parfois qu’un penseur mette des mots sur un phénomène qui se développe sous nos yeux : c’est le cas de Joseph Nye qui a trouvé l’expression « soft power » à la fin des années 80, pour décrire la manière dont un État pouvait exercer son influence autrement que par la force économique ou militaire.Pour qu’on le comprenne bien, il avait coutume de dire qu’un psychopathe avait la capacité de tuer ou de terroriser les gens, mais pas celle de les séduire ou de les convaincre.

C’est la différence entre le « hard » et le « soft » power, le pouvoir « dur », en particulier militaire, et l’influence douce.

Joseph Nye s’est éteint cette semaine à l’âge de 88 ans, après une vie passée entre l’administration et l’université, vénérable professeur à Harvard dont il a dirigé l’école Kennedy qui a formé des milliers de cadres américains et du monde entier. Il est resté un analyste respecté des relations internationales jusqu’au bout. Il disparait alors que son concept est en retrait au profit du « hard » power : Donald Trump est en train de lui donner le coup de grâce en misant tout sur la coercition.

Le symbole le plus éclatant de soft power, c’est Hollywood, la machine à rêver du cinéma américain, qui a diffusé dans le monde entier une image enviée de l’american way of life. On raconte que Nikita Khrouchtchev, le numéro un soviétique, a dit à John Kennedy que les États-Unis n’avaient pas besoin de faire de la propagande. « Tout le monde veut vivre comme dans les cuisines et les salons des films américains. Qui veut vivre comme dans les films soviétiques », avait lancé le leader communiste qui ne manquait pas d’humour !

Le concept n’est pas qu’américain, bien sûr

La France, avec ses marques de luxe, ses vins, et les monuments de Paris mis en évidence pendant les JO l’an dernier, dispose d’un Soft Power évident. Autre exemple éloquent : le Qatar et ses investissements dans le sport, notamment le PSG victorieux cette semaine.

Dans les années 90, la Chine, émergeant du maoïsme, avait été séduite par le concept, et avait invité Joseph Nye à des conférences sur le Soft Power. Mais elle n’a jamais réussi malgré ses atouts : le Soft Power ne peut pas être soumis à la volonté de l’État ou d’une idéologie, il vient de la société, même si les gouvernements peuvent l’instrumentaliser.

Joseph Nye lui-même avait fait évoluer son concept avec le temps, lui substituant celui de « sharp power », c’est-à-dire d’une stratégie d’influence incluant des éléments de « soft » et de « hard ». Aujourd’hui, l’heure est clairement revenue au « hard », on le voit avec Donald Trump qui agite les droits de douane, bombarde le Yémen, et menace ses adversaires autant que ses alliés.

Le président des États-Unis a même sacrifié des éléments du Soft Power américain, en supprimant l’aide publique au développement, ou la Voix de l’Amérique, toujours très écoutée dans les pays autoritaires.

Dans un article récent publié dans le Financial Times, Joseph Nye avait expliqué que la formation de Donald Trump dans l’immobilier newyorkais, les deals et les transactions, ne lui avaient pas permis de comprendre les atouts du Soft Power. « Les narcissiques comme Trump ne sont pas vraiment réalistes, le Soft Power va souffrir dans les quatre prochaines années », avait-il écrit.

C’était bien vu : à Washington, Pékin et Moscou, assurément, Carl Von Clausewitz ou Sun Tzi, les penseurs prussien et chinois de la guerre, sont plus d’actualité que le concept de Joseph Nye.

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