Il continue d’être hanté par les massacres chaque nuit, de crier dans son sommeil. Le côté droit de son visage et son cou sont couverts de cicatrices. Abrahaley Minasbo, un danseur de 22 ans dont le corps était un outil d’expression, vit désormais avec une main en partie amputée.
Des membres d’une milice amhara sont venus le trouver chez lui dans la ville de Mai-Kadra le 9 novembre 2020. Ils l’ont traîné dehors, battu à coups de marteau, de hache, de bâton et de machette, puis l’ont laissé pour mort.
Dans cette communauté de réfugiés vulnérables, aux portes du conflit qui fait rage dans le Tigré éthiopien, ceux qui ont fui les combats sanglants ont tous été témoins de l’horreur. Certains ont marché pendant des jours pour atteindre la frontière, avant d’être entassés à bord de bus ou de camions pour un pénible trajet de onze heures jusqu’à un camp.
Alors qu’un véhicule démarrait, un bébé s’est mis à hurler et son frère l’a porté à la fenêtre pour qu’il respire, disant que l’enfant était affamé et déshydraté, que le bus était trop bondé.
Photographe anonyme
« la révolution du printemps » en Birmanie
Des manifestations et une répression meurtrière secouent le pays depuis que l’armée a pris le pouvoir lors d’un coup d’État le 1er février, emprisonnant et évinçant la chef du gouvernement civil, Aung San Suu Kyi.
Après avoir dans un premier temps fait preuve de retenue face aux manifestations pacifiques, aux grèves et à la désobéissance civile, l’armée a fini par faire régner la terreur pour écraser le mouvement pro-démocratie, connu sous le nom de révolution du printemps.
À l’heure où je rédige ce texte, plus de 800 personnes ont perdu la vie aux mains des militaires et de la police, beaucoup d’une balle dans la tête, des milliers ont été blessées, plus de 4 000 manifestants ont été arrêtés et certains ont été enlevés.
Antoine Agoudjian
Arméniens, un peuple en danger
La photographie a ouvert la boîte de pandore d’une mémoire enfouie en moi. Né en France, j’ai entrepris il y a trente ans dans la pénombre une quête vers la lumière en cherchant à mettre en images les récits légués par mes grands-parents rescapés d’un génocide, celui des Arméniens en 1915.
Jusqu’en 2015, j’ai constitué une fresque en noir et blanc chargée de la mémoire d’un monde anéanti, cherchant la trace de vestiges engloutis dans des lieux empreints du vide laissé par l’effacement d’un peuple.
Il y a six ans, j’ai décidé d’ouvrir une nouvelle page dans mon travail en passant à la couleur et initier ainsi une symbiose entre mémoire et histoire. Tout en restant dans l’évocation, je souhaitais par cette rupture esthétique intégrer le réel dans ma démarche, afin que le présent se superpose au passé.
Cynique dialectique de l’histoire où l’on retrouve, avec l’État islamique et sur le même théâtre, l’éveil des stigmates légués par l’Empire ottoman au crépuscule de son existence.
Olivier Jobard
Éthiopie, exils et dérives
L’Éthiopie vacille. Tiraillée de tous côtés par les tensions agraires et ethniques, le pays continent voit sa population s’échapper. Elle fuit à pied, sur les routes de l’exil économique, vers l’Arabie Saoudite. Elle fuit, en famille, la guerre du Tigré. Moustafa, 23 ans, a, pour sa part, dû revenir chez lui. Fauché par une balle en plein exode, ce jeune paysan se rêvait un autre destin. Il incarne désormais, malgré lui, une certaine jeunesse éthiopienne privée d’avenir.
Des centaines de migrants Oromo venus d'Ethiopie franchissent clandestinement les montagnes qui marquent la frontière avec Djibouti à Galafi.
Galafi, à la frontière entre l’Ethiopie et Djibouti, est une des régions les plus chaudes du monde.
Sur la route clandestin, un Oromo s’est effondré. Epuisé, déshydraté, il doit sa vie sauve au courage de ses amis qui le porte sur les derniers kilomètres.
Ce groupe paie le droit de dormir dans une ruine du village de Dikhil. Les Djiboutiens profitent du passage des migrants Oromo à travers leur pays.
La Route des Oromos.
Obock, Djibouti
Chaque nuit un millier de migrants sont convoyés par différents passeurs vers les plages les moins surveillés, au nord de la bourgade.
Face à eux, le détroit de Bab el Mandeb ("La porte des lamentations") qui sépare le Golf d'Aden de la mer Rouge.
Ils attendent les boutres qui les mèneront vers le Yémen en moins de six heures. Ils sont plusieurs centaines par bateau selon leur taille, dont un quart de femmes.
The Oromos crossing.
Obock, Djibouti.
About a thousand people illegally leave Djibouti every night to Yemen from an unwatched shore north of Obock city. Oromos will navigate across the Bab El Mandeb strait (the "gate of lamentation"), separating Djibouti from Yemen.
A dhow can board a hundred people. It takes them about 6 hours to reach Yemen. One out of four migrants there are women.
La Route des Oromos.
Plage au Nord d'Obock, Djibouti.
Après trois jours de marche, tous les migrants arrivent face au détroit de Bab el Mandeb, qui sépare le Golf d'Aden de la mer Rouge.Ces natifs des plaines centrale de l'Ethiopie n'ont jamais vu la mer. La traversée vers le Yémen en boutre prend six heures. Certains de ces bateau traditionnel en bois transportent jusqu'à 300 migrants.
The Oromos crossing.
Obock northern beach, Djibouti.
After a 3-days walk through Djibouti, all the migrants reach the Bab El Mandeb strait, joining the Aden Gulf from the Red Sea. Many of the Oromo people coming from the Ethiopian central plains have never seen the sea. It will take them about 6 hours to navigate between Djibouti and Yemen. Some traditional boats can board up to 300 clandestine passengers.
La Route des Oromos.
Sur le boutre, en direction du Yémen. 70 migrants Oromo ont pris place pour la traversée de quatre à six heures du Bab el Mandeb (la porte des lamentations) qui sépare Djibouti du Yémen. Un espace maritime stratégique, pour les pétroliers et les navires du guerre qui croise au large du Yémen. Chaque année des naufrages de boutre de migrants endeuillent la Mer Rouge.
The Oromos crossing.
On the dhow, navigating towards Yemen.
Seventy people boarded the dhow for a 4 to 6 hours sea journey. The Bab El Mandeb strait is a strategic area for the oil tankers and the war ships navigating between the African continent and the Middle East. Every year, migrants drown in the strait.
La Route des Oromos.
Sur le boutre, en direction du Yémen. 70 migrants Oromo ont pris place pour la traversée de quatre à six heures du Bab el Mandeb (la porte des lamentations) qui sépare Djibouti du Yémen. Un espace maritime stratégique, pour les pétroliers et les navires du guerre qui croise au large du Yémen. Chaque année des naufrages de boutre de migrants endeuillent la Mer Rouge.
The Oromos crossing.
On the dhow, navigating towards Yemen.
Seventy people boarded the dhow for a 4 to 6 hours sea journey. The Bab El Mandeb strait is a strategic area for the oil tankers and the war ships navigating between the African continent and the Middle East. Every year, migrants drown in the strait.
La Route des Oromos
Une jeune adolescente Oromo, dans le boutre surchargé qui l'a mené de Djibouti au Yémen. La route des Oromo est loin d'être fini pour elle, le plus dur reste à venir: traverser à pied et en voiture un pays en guerre.
The Oromos crossing.
On the dhow, navigating towards Yemen.
An Oromo teenager navigating to Yemen on an overcrowded dhow. The hardest part of her trip is yet to come: irregularly travelling across a country at war.
La Route des Oromos.
Côte de Ras Al Arah. Les migrants Oromo entament leur longue marche à travers le Yémen, un pays détruit par la guerre civile.
The Oromos crossing
Ras Al Arah coast.
The Oromos start their long walk throughout Yemen, a country ravaged by a civil war.
La Route des Oromos.
Sur la route de la côte Sud du Yémen, entre Ras el Arah et Aden. Les Oromo traversent en 4 à 5 jours la distance qui sépare leur point d’arrivée de la grande ville du Sud. Les femmes, quatre fois moins nombreuses à migrer bénéficient plus souvent des places payantes en voitures. Mais certaines marchent comme les hommes.
The Oromos crossing.
Between Ras Al Arah and Aden. The Oromo people walk for four to five days to reach Aden, the yemeni economical capital. Most of the women have sufficient money to pay for a car ride to Aden but some of them still have to walk among men.
La Route des Oromos.
Les chanceux qui décrochent une croûte de pain, courent pour la manger seuls. Affamés par les jours de marche qui séparent Ras el Arah d’Aden, les Oromo sans le sou mendient les restes dans un restaurant de route.
The Oromos crossing.
These young men were the lucky ones and run away to eat the little food that was offered to them.
La Route des Oromos.
Migrants voyageant dans une bétaillère. Ce sont les « VIP de la migration » comme disent certains passeurs. Aucun luxe pour cette traversée, mais un espoir plus sérieux de parvenir à destination pour celles et ceux qui peuvent se payer un passage motorisé. Les déshydratation, sont fréquentes, ce voyage, debout, est douloureux.
The Oromos crossing.
A majority of the women travel on livestock trucks. Some smugglers call these trucks the "VIP rides". The possibility to reach their destination is higher but the risk of dehydration too.
Aden, Yémen. Hôpital de MSF.
Moustafa, 20 ans, fauché par une balle en tentant de franchir la frontière en entre le Yémen et l'Arabie Saoudite. Il attend un vol de rapatriement vers l’Ethiopie.
L’aurore sur les haut plateaux rocailleux de Gile Wodesa, à 2500 mètres d'altitude dans la région du Nord Shewa, Moustafa regagne le hameau familial.
Depuis qu’il a reçu une balle dans la jambe au Yémen, Moustafa, 23 ans, est handicapé.
Djamal rend visite au beau père de sa fille qui est mourant. Moustafa l’accompagne.
Gille Wodesa, hutte familiale. La plupart des enfants travaillent aux champs et ne vont jamais à l’école.
Le puit de Gille Wodesa, c’est ici que les hommes et les bêtes trouvent de quoi étancher leur soif.
Moustafa accompagne son beau frère au puit.
Au puit de Gile Wodesa, Moustafa et ses nièces
Sur les haut plateaux rocailleux de Gile Wodesa, à 2500 mètres d'altitude dans la région du Nord Shewa, Moustafa regagne le hameau familial.
Sur les haut plateaux rocailleux de Gile Wodesa, à 2500 mètres d'altitude dans la région du Nord Shewa, Moustafa regagne le hameau familial.
Centre de santé de Gondo Meskel. Un infirmier désinfecte la blessure de Moustafa.
Moustafa fait la manche. En période de Ramadan et de jeune orthodoxe, les passant sont toujours généreux.
Moustafa fait la manche. En période de Ramadan et de jeune orthodoxe, les passant sont toujours généreux.
Rivière Setit, côté soudanais. Ces mamans laissent derrière elles l’Éthiopie en guerre qu’on peut apercevoir en arrière-plan. La plupart des réfugiés du Tigré empruntent ce passage surveillé par l’armée pour entrer au Soudan, vers le camps d’Hamdayet. Rivière Setit, côté soudanais. Ces mamans laissent derrière elles l’Éthiopie en guerre qu’on peut apercevoir en arrière-plan. La plupart des réfugiés du Tigré empruntent ce passage surveillé par l’armée pour entrer au Soudan, vers le camps d’Hamdayet.
Setit river, separates Ethiopia from Sudan. Tigray people walk for days to reach this point. They fled a region in war against their Federal government. Boats brings a constant flow of newcomers who made their first step as refugee people.
Hamdayet refugee camp, Sudan. In the waiting line to get a mats and a blanket. During the day, temperature can reach 39 celsius degrees, but drop drastically at night. Tigray people fled a region in war against their Federal government.
Hamdayet refugee camp, Sudan. Distribution of water. Before reaching Sudan, Ethiopians walked miles to escape the war in their Tigray region against their Federal Government.
Hamdayet refugee camp, Sudan, early morning. In the waiting line to get a mats and a blanket. During the day, temperature can reach 39 celsius degrees, but drop drastically at night. Tigray people fled a region in war against their Federal government.
Habrehaley , 21 from May Kadra Ethiopia. A « massacre » happened in this village against Tigray Amnesty International claimed. Habrehaley was beaten, hit with and left almost dead, by militia related to Federal government. He think he was targeted because of his Tigray ethnicity.
Camp de réfugié d’Hamdayet, Soudan. Centre de Santé de MSF. Danait, 22 ans, son bébé est né il y a six jours sans problème. Elle a fui les bombardements d’Humera pour venir se réfugier avec son mari côté Soudanais.
Hamdayet refugee camp, Sudan, early morning. In the waiting line to get a mats and a blanket. During the day, temperature can reach 39 celsius degrees, but drop drastically at night. Tigray people fled a region in war against their Federal government.
Camp d’Humra Kuba, Soudan. Arrivé après un long voyage en bus depuis la frontière les réfugiés Ethiopiens sont nombreux à choisir ce camp. Plus aménagé il a vocation a les accueillir plus longtemps. Au petit matin, les nouveaux arrivants dorment encore.
Electricity shop in Um Rakuba refugee camp. Sudanese find a good business bringing electricity to refugees in order to charge their phones, install a open air television and sell beverage and ice creams.
Young Ethiopians from Tigray facing their future. A refugee town growing out of nowhere. In the middle of the desert. At three days of walk to the first big city, Um Rakuba camp. Most of the refugees arrived through Hamdayet, 10 hours of bus from there. The UNHCR then push them to migrate here, where the sudanese authorities want to concentrate all the Ethiopian refugees.
En Éthiopie, j’ai découvert un pays au bord du gouffre. Partout, la terre manque. Tantôt asséchés, tantôt inondés, les sols fertiles sont disputés entre les différents groupes ethniques qui contestent les redistributions des régimes passés.
Ce problème écologique et agraire entraîne un exode sans précédent. J’ai accompagné les migrants éthiopiens dans leur voyage vers l’Arabie Saoudite. Un pays qui incarne pour eux un eldorado où ils pourront gagner de quoi vivre dignement. Ils s’y rêvent ouvriers, capables de payer à leurs familles une maison « en dur ».
Le rêve ne se concrétise que pour certains. Partis à pied pour un périple de plus de 2000 kilomètres, la route se révèle une épreuve aux risques mortels. Les morts de déshydratation ou par noyade pendant la traversée de la Mer Rouge sont nombreuses, les affrontements ethniques s’y reproduisent.
La torture est presque un passage obligé dans un Yémen en guerre, livré au règne des milices locales et des mafias éthiopiennes de la migration. Pour beaucoup, la route s’arrête à Aden, capitale du Sud Yémen, où les migrants atterrissent en n’ayant plus de quoi payer la suite du périple.
Dans ce pays à l’avenir incertain, je me suis attaché au destin de Moustafa. Migrant, il rêvait d’échapper à sa condition de paysan. Il a été fauché par une balle au Yémen, alors qu’il allait passer la frontière avec l’Arabie Saoudite. Après six mois de galères dans un pays en guerre, il a été rapatrié en Éthiopie.
Il vit désormais de la mendicité car son vieux père est trop pauvre pour s’occuper de lui. Moustafa rêve d’un « petit exil » à Addis Abeba, la capitale, pour ne pas déshonorer sa famille en mendiant . Sa trajectoire à la dérive m’apparait comme l’incarnation d’une jeunesse éthiopienne sans horizon, pour qui la fuite à tout prix reste l’unique option.
Pour d’autres Ethiopiens, ce fut même l’exode. Fin 2020, une guerre éclair au Tigré a conduit des dizaines de milliers de familles à tout quitter. En un jour, combats et bombardements les ont poussées vers le Soudan voisin. Dans ce pays parmi les plus pauvre au monde, les Ethiopiens sont devenus réfugiés, sans savoir s’ils pourront un jour regagner leur pays. Là encore, les profonds désaccords agraires nourrissent une violence aux motifs politiques complexes. Le nouveau pouvoir tente de se débarrasser de l’ancien. Une nouvelle distribution des terres s’opère dans la violence. Ces récentes graines de la discorde emportent dans la bataille une paix si fragile.
Ces reportages ont également été réalisés avec l’aide du Figaro Magazine et de La Croix Hebdo.
MAJID SAEEDI
Afghanistan
Durant toute ma vie professionnelle, je n’ai cessé de passer d’une zone de conflit à une autre. Mais l’année dernière, pour ce projet, je me suis concentré exclusivement sur ces hommes et ces femmes dont la vie a été anéantie par la guerre en Afghanistan, un pays où je me rends depuis plus de dix ans.
(…)
Majid Saeedi
Eric Bouvet
1981-2021 : 40 ans de photographie – Hors cadres
L’horloger mesure la course du temps, le photographe l’arrête. C’est autant sa liberté que sa contrainte. Libre de mettre le monde en pause le temps d’une image. Contraint par un cadre technique dont il doit s’affranchir pour embrasser du regard l’étendue de la terre. Car, pour exercer le plus beau métier qui soit, il y a un prix à payer : celui de porter une immense liberté créative au service de la stricte documentation de l’humanité.
C’est l’essence du photojournalisme. Un objectif merveilleux. Une gageure. Dans la pratique, le monde n’est jamais noir ou blanc, mais tout en nuances de gris. Ses peurs tues, le chasseur d’images crues doit concilier deux réalités antagonistes : aimer le monde et le montrer tel qu’il est. Chercher le contraste, cette opposition de deux choses dont l’une fait ressortir l’autre. Mais laquelle choisir ?