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« Visa pour l’Image »: Les murs ont des yeux.

publié le 03/09/2014 | par Jean-Paul Mari

L’envoyé spécial de grands-reporters.com suit en direct à Perpignan le 26ème festival de photojournalistes. Expos, entretiens, témoignages…

Déranger…

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Je me sens bien à Perpignan. Pas seulement grâce à la météo. Tempête de ciel bleu, grand soleil et une tramontane qui adoucit les trente degrés Celsius. Oui, la ville est belle aujourd’hui. Il y a trente ans, c’était un trou de province coincé contre les Pyrénées. Le centre-ville a été restauré, plutôt avec goût, les églises et les couvents transformés en musées, en lieux d’expositions.

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Je me rappelle avoir fait un reportage dans une prison archaïque du centre, la plus vieille et la plus repoussante de France. Tout puait l’enferment, la crasse, l’abandon. Les matons eux-mêmes l’avaient surnommé « Calcutta ». Un jour, j’ai voulu revoir l’endroit et, à l’emplacement de l’ancienne porte blindée, j’ai été accueilli par une hôtesse qui m’a offert un dépliant sur l’expo de photos en cours. Étrange.

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Les rues ont pris des formes et des couleurs, plutôt élégantes, peut-être grâce à « Visa pour l’image », le festival du photojournalisme, à force de poser son regard sur la ville et d’interroger l’esthétique.
Je me sens bien ici au milieu des 200 000 visiteurs – d’où sortent-ils ? – qui ont fait le voyage pour voir …des photos d’actualité, celles dont les magazines ne veulent plus – ou ne veulent plus payer – parce qu’elles dérangent.

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Déranger… « Disturb », c’est le nom de la première expo que je découvre sur les murs de la ville. Cela a commencé à Paris début février. Des photographes qui en ont assez de passer des mois en reportage et de voir une ou deux de leurs images publiées. Alors, la nuit, armés de seaux et de pots de colle, ils ont commencé à afficher des tirages géants, sauvages, sur les murs de la ville.

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Je marche dans les rues au hasard, en partant des briques rouges du Castillet. Ici, ils ont travaillé en plein jour, sous l’égide de Visa et avec les encouragements des autorités, comme une exposition de plus portée par les murs.

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Rue Ramon Lull, Cathédrale Saint-Jean, rue François Rabelais…les premières affiches. Les murs disent la Tchétchénie, la folie de la Centrafrique, les femmes à Gaza, un procès en Égypte, un raid contre une église du Nigéria, la guerre d’Indochine, les enfants de Sarajevo. Ils nous parlent, nous arrêtent, nous obligent à lire la légende.

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Les images surgissent au coin d’une rue sombre, au fond d’un square planté d’oliviers, sur la façade d’un immeuble, encadrant une fenêtre où le linge sèche. Le monde vit, bouge, se raconte. Rien à voir avec les graffitis noirâtres qui occultent les murs des grandes villes. La rue devient intelligente. On se dit qu’il faudrait donner à voir ces images à tous, partout. Et pourquoi pas afficher en grand les pages des quotidiens sur les murs des cités, pour les offrir à lire.

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Au fait, « Déranger », est-ce le but premier, est-ce qu’on en a le droit, est-il indispensable de renverser le cendrier noir du monde sur la belle nappe blanche des habitants des villes en paix? Sans doute pas. Mais « Déranger » plutôt en intriguant, en permettant au public, aux passants – comme ces deux-là, rue Saint Joseph, lui, en short et bras tatoués, elle, gracile, étudiante, un carton à dessins sous le bras – de s’arrêter un instant devant une image, de regarder, de se parler, d’argumenter puis de se quitter avec un petit geste de la main. Une image, une rencontre.

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« Déranger », « Dysturb », en anglais, ça fait plus chic, parfois, l’expression reprend tout son sens quand, dans une rue adjacente, une main en colère a arraché partiellement les trois affiches posées côte à côte où on ne voit plus qu’un visage, une main tendue et une femme dans le soleil. Ce qui reste encore une image du monde.

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Surtout ne pas déranger !
Pour ceux qui refusent de voir, Visa à Perpignan dérange, forcément.
Voilà pourquoi aussi on se sent bien ici.

À suivre…


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