2025 : UNE NOUVELLE AFRIQUE ?
La fin de la présence militaire française en Afrique et la montée d’un souverainisme signent-elles le début d’une « nouvelle Afrique »?

La fin de la présence militaire française en Afrique
Cette fois, c’est fait, ou presque Mais ce qui aurait dû apparaître comme un acte volontaire et déterminé de la France, bref comme un acte politique, s’est transformé en une déroute diplomatique pour un pays naguère influent. Pourtant, un tel retrait était déjà la conséquence logique du discours de Ouagadougou tenu en 2017 par le président français. Transformer la Françafrique en autre chose, en respect des souverainetés et en coopération intelligente, devait commencer par la fermeture de bases militaires que plus rien ne justifiait. Mais pendant six ans, il ne s’est rien passé, du moins dans les actes volontaires de la France. Pendant ce temps, alors que grossissait la menace djihadiste sur le Sahel et que les juntes militaires s’emparaient du pouvoir, la même inaction demeurait.
Même des pays qui comptaient parmi les alliés les plus proches…
Ce n’est qu’au début de 2023, lors d’un discours tenu cette fois à l’Élysée, mais déjà poussé par les événements, que le président français formalisait explicitement sa volonté de fermer les bases, à l’exception de celle de Djibouti. Deux ans plus tard, il apparaît clairement que l’initiative est plus que jamais du côté africain. Ce ne sont plus seulement les juntes militaires des trois États du Sahel ou de Guinée qui chassent l’armée française, mais aussi des pays que l’on aurait pu croire parmi les alliés les plus proches. Ainsi, au Tchad, où la France avait espéré un repli tranquille depuis le Sahel, le président français, qui avait pourtant pris soin de ne pas condamner le coup d’État du fils Déby, s’est heurté à la fois à un sursaut de souverainisme, mais aussi à un vrai désaccord sur la question du Soudan.
Le Tchad, l’ultime bastion, est tombé
Déby, qui a vu affluer au Tchad un nombre impressionnant de réfugiés (plusieurs centaines de milliers), soutient en effet Hemetti dans sa guerre contre Burhane, le chef de l’armée «régulière» du Soudan, et se trouve ainsi allié de fait des Émirats arabes unis, qui soutiennent fortement ce même Hemetti. Déby, ayant besoin de l’argent des EAU, espère ainsi monnayer son soutien. La France n’a pas voulu suivre cette position, préférant, comme la plupart des autres puissances occidentales, attendre de voir l’évolution du conflit.
Le Sénégal et la Côte d’ivoire ont demandé le retrait des troupes françaises
Puis, de manière presque synchrone, le Sénégal tirait les conséquences de sa volonté de souveraineté nouvelle et de relations internationales plus respectueuses. Ses dirigeants priaient donc la France de retirer ses troupes. Rien de plus logique à entendre les discours du président sénégalais Diomaye Faye ou de son Premier ministre, Ousmane Sonko, et leur claire volonté de se démarquer de leur prédécesseur Macky Sall. Enfin, la Côte d’Ivoire, allié fidèle, se met au diapason lorsque, dans son discours de Nouvel An, le président Alassane Ouattara demande lui aussi à la France de retirer ses troupes. Demande étonnante dans le pays d’Houphouët-Boigny. Ce qui montre à quel point l’Afrique de l’Ouest a changé. Sans doute y a-t-il des enjeux internes, électoraux, dans ce changement de cap du président ivoirien, ou des enjeux liés aux contacts répétés de l’armée américaine pour loger ses propres troupes.
La montée du « souverainisme »
Il est frappant de voir aujourd’hui à quel point le continent s’est transformé, sous l’effet des jeux d’influence qui s’y exercent et des conflits qui s’y déroulent.
Le Nord n’a peut-être jamais été autant déchiré : Maroc et Algérie sont quasiment en guerre autour de la question du Sahara occidental, la Tunisie sombre dans un régime dictatorial aux relents islamistes, la Libye est en proie au chaos, tout comme le Soudan où menace une nouvelle sécession du Darfour, tandis que l’Égypte joue sur tous les tableaux avec son récent rattachement aux BRICS.
Le chaudron africain
Vers la Corne de l’Afrique, plus au sud, la situation n’est guère meilleure. Les rébellions de tous ordres s’y succèdent, provoquant une instabilité permanente des régimes et des territoires, se prolongeant jusqu’au Mozambique.
En Afrique centrale, l’instabilité guette toujours. Au Cameroun, s’annonce la fin du règne du président Paul Biya, et le pays est loin d’être à l’abri de pressions séparatistes. Au Gabon, le mystère sur les intentions de la junte militaire se poursuit.
Le Congo, dans sa version Kinshasa, n’est pas seulement en conflit avec son voisin rwandais autour du Kivu, mais il voit aussi la Chine et les États-Unis se disputer ses très riches gisements de minerais stratégiques du Katanga et leur acheminement vers les ports les plus proches en Angola ou en Tanzanie via la Zambie.
Il peut paraître difficile de trouver un point commun à tous ces conflits, sinon d’être l’expression d’un continent qui, deux générations après les indépendances, cherche encore la voie de son émancipation, alors même que ses richesses continuent d’être exploitées par toutes les puissances, grandes ou moins grandes.
Un combat post-indépendantiste au nom de la souveraineté
D’une certaine façon, c’est bel et bien un combat pour la souveraineté qui est en train de se produire. Ce sursaut post-indépendantiste, pourrait-on dire, apparaît à la fois comme un combat pour la souveraineté contre les anciens colonisateurs (français, anglais ou autres), et comme un combat d’émancipation contre des structures étatiques héritées. Ces combats sont attisés par les jeux d’influence déjà évoqués. On ne comprendrait sans doute pas grand-chose à ce qui se passe dans tous ces pays si l’on se contente d’y voir une répétition infinie de guerres tribales.
Cette nouvelle Afrique pourrait ainsi voir bouger des frontières que les indépendances avaient finalement choisi de préserver, et donner un nouveau contenu au panafricanisme.
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