Allemagne, Autriche : le noir fait tache
Leur influence gagne du terrain, la tentation demeure, les tabous se lèvent, le spectre de l’extrême-droite est de retour outre-Rhin

Quand la CDU tend la main aux néo-nazis
Cela aurait pu être le moment de la rupture du cordon sanitaire le plus puissant depuis 1945. Le futur chancelier Friedrich Merz a voulu surfer sur la vague d’extrême-droite qui balaie l’Europe à quelques semaines des législatives qui devraient le porter au pouvoir. Il a en effet présenté au Bundestag une motion non contraignante visant à durcir la politique du pays, notamment concernant les refoulements à la frontière.
Cette proposition a été votée grâce au soutien de l’AfD (‘Alternative pour l’Allemagne), le parti le plus à droite de l’échiquier politique et dont plusieurs membres radicalisés sont surveillés par le renseignement allemand. La CDU (L’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne) a sciemment tendu la main à un parti que l’on qualifiait encore, il y a quelques années, de « néo-nazi ».
Créditée de 22 % des voix, soit plus que le SPD (Parti social-démocrate d’Allemagne) sortant et moins que les 30 % de la CDU, l’AfD a connu une progression fulgurante ces dernières années à la faveur de la hausse des prix de l’énergie, des attentats islamistes et de l’image de dirigeant faible d’Olaf Scholz. Elon Musk s’est même affiché par visioconférence à l’un de ses meetings, signe flagrant d’ingérence d’une puissance étrangère dans les élections d’un État souverain.
Face à l’AfD, les Berlinois descendent dans la rue
La réaction populaire ne s’est pas fait attendre : entre 160 000 et 250 000 citoyens ont défilé à Berlin contre ce que beaucoup voient comme une trahison. Il ne faudrait cependant pas surestimer l’efficacité du devoir de mémoire et du sentiment de honte de la nation allemande. Olaf Scholz lui-même l’a déclaré, un spectre demeure : celui d’un scénario à l’autrichienne, où la droite conservatrice et l’extrême-droite s’allieraient pour gouverner.
L’avertissement venu d’Autriche
Le petit pays catholique connaît en effet une crise politique où l’alliance entre l’ÖVP (Parti populaire autrichien, parti conservateur) et le FPÖ ( Parti de la liberté d’Autriche, extrême-droite) semble être la seule en mesure de former un gouvernement. Le président écologiste Alexander Van der Bellen a accepté le principe de négociation entre les deux partis, arguant qu’un « nouveau chemin [pouvait] s’ouvrir ». Une forme de coalition qui n’est pas sans rappeler celle qui a mené Adolf Hitler au pouvoir en 1933.
Une dénazification incomplète
« Le génie des Autrichiens, c’est d’avoir réussi à faire croire que Mozart était autrichien et qu’Hitler était allemand. » Derrière cette boutade pas tout à fait exacte – Mozart étant né à Salzbourg – il y a un fond de vérité dérangeant : la dénazification n’a pas été complète en Autriche. L’exemple de l’ancien criminel de guerre nazi sur le front des Balkans, devenu Secrétaire général de l’ONU puis Président de l’Autriche, Kurt Waldheim, en est un exemple parmi d’autres. Cela est dû à une confusion que les Alliés ont accepté de maintenir en 1945 : en tant que petite nation annexée en 1938 (l’Anschluss), l’Autriche était estampillée comme étant une victime du nazisme plutôt que son creuset.
Le petit pays catholique a donc connu la réémergence d’un parti d’extrême-droite bien plus tôt que les autres pays d’Europe de l’Ouest. La participation de l’ÖVP au gouvernement ne serait pas une nouveauté (2000-2006, 2017-2019), mais la nomination de son chef à la chancellerie serait un séisme : 28 % des Autrichiens avaient voté pour ce parti en septembre, et 35 % se déclarent prêts à le faire aujourd’hui.
De lourdes conséquences internationales
L’AfD allemande et le FPÖ autrichien sont de grands admirateurs de Vladimir Poutine et de Donald Trump. Leur arrivée aux responsabilités pourrait sonner le glas de l’aide occidentale à l’Ukraine.
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