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Haïti : « Assistance mortelle ».

publié le 19/04/2013 par Jean-Paul Mari

Le réalisateur haïtien Raoul Peck dresse le constat impitoyable de la gabegie internationale qui a servi en lieu et place de l’aide qui devait être accordée à son pays après le séisme qui a fait quelques 230.000 morts en janvier 2010. Sur Arte.

Étrangement, les grandes catastrophes sont des moments de grâce de l’humanité. Rappelez-vous. Le séisme en Haïti, le choc des premières images, les piles de cadavres sur les trottoirs, la ville de Port-au-Prince à moitié rasée et l’horreur des chiffres : 230 000 morts, 300 000 blessés, un million et demi de sans-abris. Deux fois Hiroshima en soixante-quinze secondes. La stupeur, voilà le premier sentiment. Et tout de suite après une immense compassion, un fol élan du cœur, l’humanité prête à donner, à adopter, à accueillir un enfant du malheur, la volonté farouche d’aider, sans retenue et sans calculs.

Du plus profond de l’horreur nait alors cette idée folle et réconfortante que la nouvelle catastrophe sur cette terre « maudite » est en réalité une régression fertile qui va lui permettre d’oublier son noir passé et de renaître de ses gravats, belle et heureuse. Un instant de grâce. Ensuite, le temps passe, l’émotion retombe, le nombre des morts s’efface devant les chiffres en dollars, les hommes, les institutions et les états redeviennent ceux qu’ils sont. Et c’est beaucoup moins bien.
« Assistance mortelle », le titre du film de Raoul Peck est déjà un paradoxe.

Pour le décliner, le cinéaste haïtien, auteur de « Lumumba » et ancien ministre de la Culture de son pays, en a la légitimité. Il est d’abord cinéaste et la qualité de ses images le montre. Témoin ces scènes captées par des vidéos de surveillance qui montrent des hommes chancelant sur une terre démontée, les colonnes d’un palais présidentiel qui s’effondrent, la poussière blanche qui noie tout, une femme couchée dans son jardin et qui attend la fin. Et puis les fosses communes, gueules grandes ouvertes, qui n’arrivent pas à avaler le trop de morts. Et ces croix extraordinaires, en bois ou en métal, emmaillotées de lingerie blanche, ondulant au vent, entre fantômes et voiles de madone. Le cinéaste sait filmer mais il est là, d’abord, pour dresser un réquisitoire : « Pourquoi, malgré des milliards de dollars déversés sur cette petite île, la vie ici reste toujours un fardeau insoutenable ?»

La suite est un dossier, d’accusation, implacable. On voit défiler les sauveurs, les premiers GI’s, les stars au grand cœur, Angelina Jolie, Brad Pitt, Sean Penn et Georges Clooney, les déclarations de présidents, de Sarkozy à Clinton, et les acronymes des institutions et des ONG …4000 instances internationales au total qui se proposent de sauver cette île en ruines. On promet de l’argent, une montagne de dollars, – 5 milliards en 18 mois, 11 milliards en 5 ans,- et pour piloter tout cela, Bill Clinton, star politique américaine, théoriquement main dans la main avec le premier ministre d’Haïti. En réalité, tout le film va s’appliquer à disséquer un échec cinglant, nourri par le mépris, le paternalisme, la gabegie, les intérêts particuliers, la concurrence des lobbys, le non-respect des promesses et l’urgence de l’éphémère. Les exemples fourmillent.

La capitale est engloutie sous 20 millions de mètres cubes de « débris », vingt fois le World Trade Center, dont personne ne veut financer le déblayage, parce que ce n’est pas une action… « visible ». On construit un hôpital moderne, à 300 mètres à peine d’un établissement de la santé publique, en parfait état. On fait venir des tonnes d’eau minérale, 50 fois plus chère que ceux des commerces locaux. Quatre ONG différentes curent le même canal, font et refont le même travail, des hommes aux pieds nus descendent dans les égouts pelleter une ordure noire et gluante que la première pluie, faute de ramassage, rejette dans les mêmes cloaques.

On crée un « Camp Corail », paradis en pleine nature, pour désengorger les bidonvilles de Port-au- Prince. Et on déménage 7000 sans-abris, en oubliant de prévoir l’eau, l’électricité et du travail sur place. Résultat, un an plus tard, 200 000 déplacés squattent le « paradis » devenu un enfer… Arrêtons-là. Le pire se joue à la CIRH, commission pour la reconstruction, où les Haïtiens sont réduits à l’état de figurants. Où est-ce que cela se joue ? Ailleurs. Aide et politique sont intimement liées. L’argent promis n’arrive pas, les lobbys se battent avec férocité pour leur part de gâteau, les ONG pullulent, les idées folles aussi, les politiques cherchent à exister, les élections tournent à la déconfiture, le populisme et l’avidité l’emportent. Et les Haïtiens crèvent sous leurs tentes en plastique.

« Dictature de l’aide », « monstre du paternalisme », « pornographie humanitaire », les qualificatifs sont implacables. Ce que ne dit pas Raoul Peck dans sa charge, – juste -, contre le système international, c’est que tout le monde se méfie d’Haïti la corrompue, de l’État privatisé, du dictateur Duvalier, – zombie de retour serrant la main au président -, de cette élite créole qui se fout de son peuple et des vices d’une île qui creuse aussi sa propre tombe. Si la moitié des immeubles sont tombés, c’est aussi parce que les entrepreneurs trichaient sur le ciment et construisaient sur du sable. Et après ?

L’arrogante communauté internationale ne fait pas mieux. Quarante pour cent des fonds sont repartis…vers les pays donateurs. Une autre forme de prédation, tout aussi brutale. Alors ? Reste l’échec. Et le constat de l’incompétence. Agendas généreux, impacts insignifiants, malgré toutes les bonnes volontés, la machine a dévoré ses acteurs. Personne n’y croit plus: « Après 60 ans d’aide internationale, il faut savoir tout arrêter. Et surtout, arrêter de faire semblant » dit le cinéaste. Quelle entreprise, quel péché d’orgueil, quel échec ! Et pour constat final, cet haïtien, citant un écrivain créole : « Tu meurs. Et en plus, ils t’insultent. »


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