Ces empires qui veulent détruire l’Europe
États-Unis, Russie, Chine. Trois puissances, trois méthodes, un objectif commun : affaiblir, diviser, voire démanteler l’Europe. Heureusement, ces prédateurs sont plus rivaux que partenaires

«Il faut qu’il soit le prochain président de la Pologne. Vous m’avez comprise ?
L’élection à la présidence de la République polonaise de Karol Nawrocki — figure nationale-populiste — a été précédée d’une campagne marquée par les ingérences étrangères. Installer à Varsovie un trumpiste eurosceptique, ou du moins capable de freiner l’unité européenne, constituait une opportunité rêvée pour les adversaires de l’Union européenne.
Kristi Noem, gouverneure du Dakota du Sud et fidèle de Donald Trump, en déplacement en Pologne, n’a pas hésité à intervenir publiquement : « Je viens juste de rencontrer Karol et il faut qu’il soit le prochain président de la Pologne. Vous m’avez comprise ? » Cette déclaration, à la tonalité impériale, était assortie d’un chantage limpide : le soutien militaire des États-Unis dépendrait du bon choix électoral — en clair, d’un virage conservateur.
Seuls 6,6 % des habitants de la planète vivent dans une démocratie aboutie
La Russie, elle, a activé son appareil numérique. L’Institut polonais de surveillance des réseaux numériques, NASK, a détecté plusieurs centaines de faux comptes propageant des messages anti-immigration, anti-européens et anti-ukrainiens. Le jour du scrutin, plus de 10 000 comptes relayaient des menaces terroristes. Une offensive coordonnée.
Pourquoi tant d’hostilité ? Parce que l’Europe dérange. Démocratique, pluraliste, libérale, elle incarne ce que les régimes autoritaires détestent. Sur 193 pays, seuls 71 sont considérés comme démocratiques par The Economist Intelligence Unit. Vingt-cinq d’entre eux seulement le sont pleinement. Dix-sept sont européens. Résultat : seuls 6,6 % des habitants de la planète vivent dans une démocratie aboutie. L’Europe est donc, par essence, une anomalie — et une menace pour les empires.
Washington demande aux Européens …un changement de régime
Mais l’Europe, c’est aussi un poids économique : 450 millions de consommateurs, 18 % du PIB mondial. Moins que les États-Unis (26 %), plus que la Chine. Pour Trump, elle est une concurrente. Pour Poutine, une ennemie. Pour Xi Jinping, une cible économique.
À Washington, certains cercles conservateurs appellent ouvertement à une « alliance civilisationnelle » avec des partis européens d’extrême droite : Rassemblement national (France), AfD (Allemagne), PiS (Pologne). L’objectif ? Un changement de régime. Une Europe des nations illibérales, sur le modèle de la Hongrie de Viktor Orbán. Parmi les promoteurs de cette idée, Samuel Samson, haut fonctionnaire américain, dont le discours idéologique efface les Lumières et trahit les fondements de la République américaine.
À terme, l’Europe pourrait être vassalisée.
Ce projet n’est pas sans écho du côté russe. Vladislav Sourkov, ancien conseiller et idéologue du Kremlin, prône un « Nord global » réunissant les États-Unis, l’Europe et la Russie dans un club autoritaire. Pour lui, la guerre en Ukraine n’est qu’une étape. À terme, l’Europe pourrait être vassalisée. Trump ne dirait pas autre chose.
La Chine, elle, se positionne en prédatrice économique. Pékin ne respecte aucune des règles du commerce international. Elle a déjà fait tomber plusieurs bastions industriels européens : les panneaux solaires d’hier, l’automobile d’aujourd’hui. Demain ? Le textile, via une fast fashion ultra low-cost, produite dans des conditions inacceptables, qui noie le marché européen sous des milliards de pièces.
Les ports européens tombent les uns après les autres dans l’escarcelle chinoise
Pékin investit aussi dans les infrastructures stratégiques. Terminaux du port du Pirée (Grèce), Trieste (Italie), Barcelone (Espagne), Rotterdam (Pays-Bas) : les ports européens tombent les uns après les autres dans l’escarcelle chinoise. Autant de jalons posés pour les nouvelles routes de la soie. Même le canal de Panama inquiète Washington.
Le retour des sphères d’influence
Les empires rejouent la vieille partition des sphères d’influence, comme à Berlin en 1884. À une différence près : cette fois, c’est l’Europe qui est visée. Mais ces puissances — États-Unis, Russie, Chine — ne s’entendent pas. Elles se méfient, s’affrontent, s’épient. La Russie, par exemple, supportera-t-elle longtemps la domination chinoise ? Et que dire des tensions croissantes entre Pékin et Washington, qui vont bien au-delà des différends commerciaux ?
Les carnivores contre les herbivores
L’Europe n’a que deux options : rester une proie ou devenir un acteur stratégique à part entière. Faut-il espérer que les carnivores se dévorent entre eux et laissent les herbivores en paix ? Ou que les herbivores se dotent enfin de crocs ?

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