Vu de l’hôpital : « jamais vu quelque chose d’aussi contagieux (1)
Chronique de la bataille des hommes en blanc.
Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.
Nous y sommes. La déferlante, comme l’appellent les médecins ici. Le début d’une vague énorme. Attendue dans un, deux, trois jours au plus. « On la prévoyait, on la voit venir et on ne peut rien faire pour l’éviter », dit le Professeur Michel. L’homme est solide. Cheveux en bataille et poches lourdes sous les yeux qui détonnent avec un regard bleu, précis. Après une longue carrière d’urgentiste, peu de choses l’impressionnent. Mais là…il regarde les tableaux de statistique et la courbe à la verticale: « c’est effrayant, presque fascinant.
Les Chinois nous ont promenés sur au mois deux paramètres, la contagiosité et la gravité des symptômes ». 700 appels par jour aux urgences. Plus 20 % d’admissions dans le service de réanimation. Il lui reste deux lits de libres sur vingt-quatre. Deux jours au mieux. Après ? Faudra installer les malades graves partout où l’on pourra, en Maladies infectieuses, en Hématologie ou en Traumatologie, façon de gagner quelques jours sur l’embouteillage.
Et le matériel spécialisé, les indispensables respirateurs ? Et les soignants, infirmières ou médecins qu’on ne forme pas à la science sophistiquée de la « réa » en deux jours ?
Les soignants précisément. Il y a ceux qui ont déjà craqué psychologiquement, portés malades, aides-soignantes, infirmières, voire médecin. Déjà, dans les conditions « normales », le travail était infernal. Personne ne leur en veut. Et il y a ceux qui sont là, la grande majorité, prêt à faire double, triple tâche. Ce sont les premiers que le professeur salue, en arrivant tôt ce matin. Et il lit l’angoisse sur leurs visages. Pas de masques de protection. Ou si peu, surtout les FFP2, en bec de canard, plus sûrs, qu’on tient sous clé comme une denrée rare. Le Corona Virus flotte dans l’air infesté des couloirs, exhalé par les malades qu’ils manipulent, auscultent, intubent.
« Prof… » interroge un soignant. Oui, il a compris. Il réunit l’équipe logistique et fait ses comptes. Vu l’effectif complet de l’hôpital, à 4 masques par jour, plus la nuit…Il faut 1200 protections par jour. À la pharmacie, verrouillée, un stock, réduit. La responsable a découvert deux caisses vides sous une pile de cartons, vidés et soigneusement refermés. Volés. Tant pis. Le professeur dicte une note de service. Élan contredit par une autre note, venue d’en haut, qui en limite strictement l’usage aux soignants en contact direct.
« Ah non, pas lui ! » Un coup de téléphone interrompt la conférence. Le chef de cardiologie a 40° de fièvre. Deux jours plus tôt, les trois médecins du service qui ont examiné un œdème pulmonaire, apparemment classique, ont été contaminés par un vrai Covid-19. Bilan : plus de service de cardiologie.
Nouveau coup de téléphone une heure plus tard. Une infirmière et un médecin régulateur, toux sèche, dyspnée, fièvre de cheval. Hors d’état. À quoi bon arracher un lit supplémentaire sans soignant ? De Lille, on apprend la mort du premier médecin urgentiste. L’équipe encaisse le choc.
« Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi contagieux » reconnaît le professeur. »
– « De toute façon, nous allons tous l’avoir », souffle un médecin.
– « Bon, ça va. Régulation, Urgences, Réanimation…on reprend tout. »
( Coronavirus : «Jamais vu quelque chose d’aussi contagieux» Photo Anne Chaon. AFP)
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