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Vu de l’hôpital. Coronavirus : «Allo? vous respirez mal?…on vient Monsieur» (2)

publié le 25/03/2020 | par Jean-Paul Mari

Vu de l’hôpital. Chronique de la bataille des hommes en blanc.
Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.


Le premier choc, c’est ici qu’il faut l’encaisser. Dans cet espace réduit envahi par les ordinateurs et une quinzaine d’étudiants en blouse blanche, casque sur les oreilles. Des « bébés médecins » volontaires pour aider à trier les 5000 appels qui déferlent 24H sur 24H. Les appels généraux, urgents-pas urgents, Covid- non Covid, graves-pas graves. En bout de chaîne, six ou sept médecins régulateurs qui prennent l’ultime décision. Énorme responsabilité. La nuit est longue. Et le Dr Patrick va la passer collé à son écran, en prise avec toute la détresse du monde. Une sonnerie de téléphone, une fiche de renseignements et une géolocalisation sur une carte. Sonnerie- décrocher -écouter- analyser – décider- noter l’indication choisie sur la fiche – raccrocher – sonnerie…infernal carrousel. Toute la nuit.

Il y a bien sûr la pathologie des heures sans épidémie, le gosse qui a fait une chute sur la tête, la grande qui a avalé de petits morceaux de verre, le mari diabétique agité, la dame opérée récemment qui fait une crise d’angoisse. On sait faire. Mais 80% des appels concernent le Covid-19. Là, il faut faire le bon choix. Les ambulances, les médecins, les lits disponibles, tout est rare, précieux, vital.

Sonnerie : – « Bonsoir…oui…non… je comprends mais nos ambulances sont réservées au Covid. Allez à l’hôpital S-D demain. »

Sonnerie : « Allo ? Bonjour, je suis médecin. Qu’est-ce qui vous arrive ?…Vous avez un peu de mal à respirer, mais pas de fièvre …votre médecin ? Ah, il n’est pas joignable. Bon, je vous en envoie un dans la nuit »

Sonnerie : – « Allo ? Vous avez perdu l’odorat ? Et le goût ? Oui, vous avez le Covid, c’est un signe d’atteinte bénigne. Cela se récupère lentement. Restez confiné. Isolez-vous de votre famille. »

Sonnerie : – « Bonsoir…votre fille 16 ans…gêne respiratoire…quoi ? Non, arrêtez les corticoïdes. Ah, elle est asthmatique grave ? Bon, continuez… Si ça va pas, surtout rappelez-nous. »

Sonnerie : – « Allo ? Ah, gêne respiratoire forte, des douleurs dans la poitrine, du mal à parler…50 ans. Ça va aller. On vient, monsieur. »

Et puis il y a ces appels, terribles, qui viennent des EPAD, les maisons de retraite, avec parfois plusieurs cas au même étage. Il faut classer les vieillards par niveaux d’autonomie. GIR1: grabataire. GIR2 : fonctions mentales pas altérées, besoin d’aide permanente. GIR3 : besoin d’aide seulement plusieurs fois par jour. GIR4 : capable se déplacer.

Sonnerie : – « Allo ? Elle étouffe. Mettez-la sous oxygène, à fond… Non, désolé, on ne prend plus les GIR1 et 2 à l’hôpital. »

Sonnerie : – « Oui ? Elle a 85 ans…forte fièvre…désaturation… GIR4 ? Ok. Vous envoie une ambulance. Oui, tout de suite. »

Quatre heures du matin. Le monde normal n’existe plus. La vue se brouille. Le Dr Patrick doit se faire remplacer. Moulu, vidé, abattu : « Cette nuit, je viens de condamner trois personnes âgées à mort… ». Ou plus exactement, vu leur état, à mourir dans leur institution, plutôt qu’à l’hôpital. Dur d’accepter ça pour un médecin.

– Dernière sonnerie : « Allo ? Très essoufflé ? Je l’entends monsieur. Quel âge ? Vous envoie les pompiers en urgence. »

Il raccroche : « Lui, dans deux heures, il sera intubé. Si on veut essayer de lui sauver la vie. » Sur l’écran, reste 250 appels en attente.

 

 

 

 


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