Édito: « Face au nouveau tsar », par Laurent Joffrin
Face à l’agression, les démocraties de l’ouest se trouvent fort démunies.
Personne en Occident au demeurant, ne souhaite mourir pour Kharkiv ou Marioupol…
D’abord la condamnation, abrupte, claire, sans ambages, de l’agression poutinienne en Ukraine. Pour la première fois depuis 1945, ou depuis 1939, un dictateur belliciste entreprend de déplacer les frontières reconnues jusque-là par le droit international en déchaînant une violence militaire écrasante. Ce sont les installations de défense de l’Ukraine tout entière qui sont depuis de matin sous les bombes russes, tandis que chars et troupes pénètrent son territoire par l’est et le nord.
Menaçant l’Europe d’un conflit « jamais vu dans votre histoire », selon ses propres mots, le tsar au cheveu ras veut faire entrer de force ce pays indépendant, contre la volonté majoritaire de son peuple, dans la prison d’un empire russe ressuscité.
Arguant du précédent historique, Poutine se met dans les pas d’un impérialisme immémorial, de Catherine II à Joseph Staline en organisant par la force et sous sa coupe les marches de la vieille Russie, caressant toujours le rêve sinistre d’une sanglante extension vers l’ouest et vers les mers chaudes.
Ses buts de guerre ? On ne sait encore. Sans doute l’amputation du territoire ukrainien de la province du Donbass, qui va bien au-delà des deux républiques autoproclamées dont il a reconnu l’indépendance, et la réunion le long de la côte de cette nouvelle conquête avec la Crimée annexée il y a deux ans. Peut-être aussi, folie pour folie, la mise en place d’un régime fantoche dans l’ensemble du pays, appuyé sur l’armée russe et soumis par définition aux oukases du Kremlin, en dépit de la volonté de liberté de tout un peuple ukrainien.
Après tout, Kiev fut jadis le berceau du peuple russe : voilà un argument tiré du lointain Moyen-âge qui peut servir de justification à une occupation générale. Poutine fait surtout référence à la reconquête de l’Ukraine par l’Armée Rouge face à la Wehrmacht au prix de 500 000 morts, ce qui aboutit au même résultat. Une Ukraine qui avait, dans les années trente, payé d’une famine génocidaire sa soumission à l’URSS de Staline.
À la tête d’un géant militaire qui n’est qu’un nain économique – le PIB de l’immense Russie équivaut à celui de l’Espagne et son niveau de vie atteint à peine celui d’un pays pauvre. Peu importe à Poutine. Comme souvent, l’exaltation chauvine trouve sa récompense en elle-même, quitte à sacrifier le bien-être du peuple. « Le nationalisme, c’est la guerre », disait François Mitterrand. L’aphorisme trouve aujourd’hui une nouvelle et effroyable application.
Face à l’agression, les démocraties de l’ouest se trouvent fort démunies. L’Ukraine n’est pas dans l’OTAN et les États-Unis, lucides sur les intentions de Poutine, ont néanmoins annoncé par avance qu’ils n’enverraient pas un soldat sur ce nouveau front de l’est. Personne en Occident au demeurant, ne souhaite mourir pour Kharkiv ou Marioupol… Sauf à rester totalement inertes, les sanctions économiques projetées par l’Europe et les États-Unis sont la moindre des choses.
Une réflexion sur la future défense européenne s’imposera aussi. Leur efficacité est douteuse, mais il faut bien que, d’une manière ou d’une autre, le régime russe paie un prix pour sa violation insigne de la paix en Europe. Et si les Ukrainiens résistent à l’invasion – ils en affirment hautement l’intention – il serait légitime de les soutenir par une aide matérielle et, le cas échéant, par la fourniture d’un armement moderne qui rendrait cette occupation coûteuse au Kremlin.
N’oublions pas que dans leur offensive, les troupes russes se rapprochent de la frontière polonaise, c’est-à-dire celle de l’Union européenne. En tout état de cause, l’alliance occidentale doit réitérer ses garanties aux nations voisines désormais menacées par l’irresponsabilité guerrière de la Russie, à commencer par les pays baltes, lointains alliés en position fragile, eux-mêmes nantis de minorités russophones qui peuvent servir de prétexte à une autre agression.
En France, dans l’immédiat, il faut clarifier les positions des uns et des autres, à quelques semaines d’une élection décisive. Un lobby pro-russe, informel et pernicieux, qui va de Zemmour à Mélenchon, en passant par Fillon et quelques autres affidés de la Russie poutinienne, tente de faire porter la responsabilité du conflit aux démocraties occidentales. L’extension de l’OTAN vers l’est, disent-ils, a déclenché l’ire moscovite.
Il faut tout de même rappeler que l’adhésion à l’OTAN de certains voisins de la Russie découle, non d’une action agressive, mais de la volonté des peuples concernés de trouver une assurance face à la menace russe, dont les événements actuels montrent qu’elle n’avait rien d’imaginaire.
Poutine invoque la sécurité de son pays. Mais qui imagine une seule seconde que l’Estonie ou la Bulgarie nourrissaient un quelconque projet d’attaque contre la Russie ? Instruits par l’histoire, ces anciens pays satellites de la Russie ne demandent qu’une chose : l’indépendance et le libre choix de leur régime politique.
À cet égard, les déclarations de Jean-Luc Mélenchon, tout à ses vieilles lunes anti-occidentales, ont quelque chose d’insensé. Après une condamnation de principe de la guerre – tout de même – il demande le départ « des troupes étrangères » hors d’Ukraine, comme si d’autre armées que la russe étaient présentes dans le pays. Faux équilibre qui sert avant tout la propagande poutinienne.
Il propose une « conférence sur la paix », tandis que les bombes tombent autour de Kiev, et une discussion « sur les frontières », ce qui revient à entériner d’avance la partition de l’Ukraine. S’il est logique avec lui-même, il pourrait demander que la conférence en question se déroule à Munich…
Les crises guerrières, c’est une constante, profitent en général aux gouvernements en place. En dépit de ses palinodies diplomatiques, pendant lesquelles il s’est fait rouler dans la farine par Poutine, Emmanuel Macron devrait voir sa position confortée par l’inquiétude ambiante et le réflexe d’unité nationale. La crise ukrainienne sert en l’occurrence de révélateur au futur paysage politique français.
Les électeurs doivent le savoir, l’effacement de la droite et de la gauche de gouvernement divisera le pays en deux camps : un pouvoir pro-européen installé au centre de l’échiquier, attirant à lui une théorie d’opportunistes soucieux de leur place, et une double opposition régressive et grimaçante de part et d’autre, les nationalistes Zemmour et Le Pen d’un côté, Mélenchon enferré dans son populisme anti-américain de l’autre. Tous anti-européens et pro-russes. Sombre avenir que seule une réaction des électeurs raisonnables de droite et de gauche peut conjurer.
Laurent Joffrin
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