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Édito: « La fausse guerre des civilisations », par Laurent Joffrin

Edito publié le 03/03/2022 | par Jean-Paul Mari

La criminelle agression de Vladimir Poutine contre l’Ukraine, chacun l’aura remarqué, est aussi une guerre fratricide. Mille liens culturels rattachent Russes et Ukrainiens.

Kiev fut jadis le berceau de l’ancienne Russie, les deux peuples ont la même religion et leurs traditions ne sont guère éloignées. Souvent le président Zelensky s’adresse à ses ennemis dans leur langue, comme pour bien marquer sa proximité avec l’âme russe.

Voilà qui mérite réflexion. Ce qui sépare Russes et Ukrainiens, ce n’est pas la culture, c’est la politique. Ce ne sont pas deux civilisations qui s’affrontent mais deux systèmes politiques. Les uns vivent sous une dictature, les autres ont goûté à la liberté et veulent la conserver. Tel est l’objet du conflit.

Voilà qui vient heurter la conception géopolitique qui semblait jusque-là dominer. Il y a trente ans, Samuel Huntington, intellectuel conservateur, diagnostiquait une naissante « guerre des civilisations » opposant de grands ensembles culturels – Occident, aire musulmane, espace orthodoxe, territoires asiatiques.

Cette guerre devait structurer, telles des plaques tectoniques formées par l’Histoire, les affrontements à venir. En 2001, le tournant du 11 septembre semblait confirmer sa prophétie. On dissertait alors sur l’opposition millénaire entre islam et chrétienté. Voyant le retour des empires, on soulignait le conflit entre revanche chinoise et décadence occidentale, entre Europe de l’Ouest agnostique et réveil orthodoxe.

Dans un grossier syllogisme, les extrêmes droites européennes s’en emparaient, en France notamment, pour exalter la défense de l’identité chrétienne contre l’immigration musulmane. Deux civilisations s’affrontent sur notre sol, conclut Éric Zemmour, appelant de facto à la guerre civile contre l’islam conquérant.

Pourtant d’autres remarquaient que la montée islamiste divisait le monde musulman autant qu’elle était un défi à l’Occident, que les printemps arabes mettaient aux prises deux conceptions du monde musulman, que les « révolutions de couleur » à l’est scindaient l’espace slave ou orthodoxe, que les défenseurs des droits humains se recrutaient dans toutes les civilisations, ou encore que les Chinois de Hong-Kong, résistant à Pékin, préféraient les valeurs démocratiques à l’identité chinoise.

La guerre de Poutine vient confirmer leur contre-diagnostic. Elle simplifie en un sens l’affrontement : ce sont bien, d’un côté les combattants de la liberté et de l’autre des dictateurs identitaires, qui sont aux prises, y compris au cœur de la Russie, comme le montrent les manifestations d’opposition à Poutine suscitées par la guerre jusqu’à Saint-Pétersbourg.

Quoique sur la défensive face à l’entreprise islamiste, ou bien devant les prétentions de la Chine ou de la Russie, les grandes démocraties continuent d’exercer leur attraction sur les peuples placés sous un joug tyrannique.

Et si les dictateurs se raidissent, en Russie, en Chine, en Iran ou en Corée du Nord, s’ils choisissent l’offensive pour se défendre, c’est aussi parce qu’ils craignent comme la peste la contagion de la liberté, valeur universelle.

Voilà une raison de plus de résister à Poutine : en s’opposant à cette agression brutale, les Européens ne défendent pas seulement leur sécurité ou les principes du droit international et certainement pas une civilisation contre une autre. Ils brandissent le drapeau de la liberté, qu’on croyait effiloché, mais qui sert en fait d’oriflamme à tous ceux qui soutiennent la résistance ukrainienne, comme à tous ceux qui, partout dans le monde, résistent à l’oppression.

 

Laurent Joffrin
http://www.engageons-nous.org/


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